À l’écoute (distraite) de l’introductif God Gets You Back (nuée d’arpèges synthétiques ; sonorités électroniques, planantes et vrillées ; batterie feutrée à la dynamique linéaire ; chant nimbé de réverbération et de chorus), je me suis demandé dans quel album de M83 m’étais-je égaré, quand bien même la feuille de presse avait – maladroitement :« Daft Punk traqué par My Bloody Valentine » (WTF ???) – tenté d’amortir le choc.
Il faut dire que le Mogwai que je chéris depuis la grosse claque Young Team (1997 – mes enceintes s’en souviennent encore) et que j’ai par mégarde abandonné (je devais être trop occupé à ne rien faire) après l’estimable Hardcore Will Never Die, But You Will (2011) a depuis rencontré un succès inattendu, voyant As The Love Continues atteindre en 2021 le sommet des charts britanniques, nomination au Mercury Prize à la clé (prix remporté par une certaine Arlo Parks, chépacéki).
En mon absence, le quatuor écossais a-t-il vraiment changé de braquet ? Les chiffres de vente de leur onzième opus semblent confirmer que The Bad Fire – dont l’intitulé se perçoit comme une conjuration contre les avanies subies ces dernières années par les membres du groupe – est le digne successeur de son prédécesseur. Et rassurez-vous, les chantres du post-rock n’ont pas définitivement quitté les rives d’un registre qu’ils ont contribué à transcender : dès Hi Chaos, Mogwai remet les pendules à l’heure, avec un instrumental ternaire sublimé par une suite d’accords tout à fait mélancolique et des stridences diffuses. (Petit) classique instantané, mais il en faudra plus pour me convaincre, après la sortie de route inaugurale.
Plus lent, l’étrange What Kind Of Mix Is This ? sonne comme la version post-rock de la musique d’ascenseur, les distorsions écrasées, pétries de curieuses harmonies quasi-pop, remplaçant les nappes de violons sirupeux, tandis que l’énergique, lyrique et bien trop enjoué Fanzine Made Of Flesh se fait le mix entre Grandaddy et le Jónsi de Sticks & Stones (oui, la chanson du film Dragons), pollué par des gros riffs lourdingues et la voix de Stuart Braithwaite passée au vocoder (ils ont fait un pari avec Alan Sparhawk, ou quoi ?).
Décidément, The Bad Fire est totalement imprévisible : alors que je me mets à entendre Mark Knopfler sur Pale Vegan Hip Pain (titre marrant, ceci dit), le somptueux If You Find This World Bad, You Should See Some Of The Others permet aux Glaswégiens de repasser du bon côté de la force, avec un instrumental efficace, puissant et arc-bouté sur les atouts du quatuor – entrelacs de motifs répétitifs, grosse ligne de basse, rythmique lourde, variations climatiques.
Plus loin, lorgnant vers le shoegaze et les mélodies éthérées à la Ride, 18 Volcanoes convainc – nulle batterie à l’horizon, tout repose sur la basse – mais la suite est un désastre : l’électro sautillante (un chouia jungle, argh) et paradoxalement lourdingue de Hammer Room (quelle horreur, ces claviers MIDI martelant chaque temps) ; le fastidieux Lion Rumpus, qui parvient à faire pire que son jumeau Fanzine Made Of Flesh ; le conclusif, étiré, liquide, évaporé Fact Boy, dont je décide de ne rien penser, marre, j’abdique.
Le temps de me reposer les oreilles, j’ai parcouru les chroniques rédigées par mes confrères et, ÉVIDEMMENT, tout le monde trouve The Bad Fire génial. Tout le monde trouve le dernier Nick Cave génial, tout le monde trouve le dernier The Cure génial, tout le monde trouve le dernier Indochine génial. J’ai les oreilles bouchées, ou quoi ? Et non, je ne suis pas snob, et non je ne cherche pas à me distinguer ou à faire le malin, et oui il m’arrive de me tromper, d’encenser des disques pas terribles, et oui je raconte parfois n’importe quoi, et là je suis de mauvaise humeur à cause de Mogwai, parce que je ne peux pas faire autrement que de me comporter en brute épaisse et conclure ainsi : The Bad Fire n’est pas terrible.