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Est-il possible de chroniquer le septième album des montréalais d’Arcade Fire sans évoquer les accusations de « comportements sexuels déplacés » (à escient, je reprends la terminologie utilisée par Les Inrockuptibles – fins connaisseurs en la matière, confère la funeste Ligue du Lol) lancées à l’encontre de Win Butler ? Distinguer l’œuvre de l’artiste, débat sans fin, qui ne dépendra que de ceux qui tracent la frontière : l’on se rappellera le Pendez les Blancs de Nick Conrad, acceptable sous couvert de fiction, quand par ailleurs l’on fustigera Tolkien pour ses tendances essentialistes – pauvre Gollum, qui n’en demandait pas tant. Si rédemption (musicale) il y a sur Pink Elephant, elle passe par le morceau éponyme – intro souffreteuse, guitares cra-cra, batterie mate, au bord du lo-fi, refrain apaisé et lumineux, théâtralité réduite, on respire, doucement – et Year of the Snake, au tempo plus rapide, portée par des motifs répétitifs, une basse linéaire, des guitares délayées réverbérées (pas pour rien que Daniel Lanois – aux manettes derrière le Joshua Tree de U2 – produit l’album), et surtout un refrain délicieux, sur lequel le chant de Régine Chassagne fait des merveilles ; qui d’autre qu’elle pourrait se targuer de vocaliser aussi faussement juste ? A l’aune de ces deux titres, Pink Elephant serait très correct – surtout si l’on ajoute le conclusif Stuck in my Head, du pur Arcade Fire, sept minutes de mélopée ascendante / déstructurée tournant sur deux accords, taillée pour les stades ; malheureusement, à force de trop lorgner sur le spectaculaire, on en oublie d’écrire de véritables chansons – mais il y a le reste : trois plages instrumentales parfaitement superfétatoires (Open Your Heart or Die Trying ; Beyond Salvation ; She Cries Diamond Rain), et les traditionnelles bouillies électroniques (Circle of Trust, Alien Nation – le retour du big beat, que personne ne réclamait). Malgré ses jolies timbales, la ballade folk éthérée Ride or Die ne sauvera pas les meubles d’un opus aussi paresseux que peu inspiré : ce qui interpelle, à l’écoute de Pink Elephant, c’est – en matière de production – son absence d’homogénéité, comme si les pistes (notamment le chant) avaient été enregistrées séparément, à des heures et des jours et des saisons différentes, Win et Régine ne faisant qu’en studio se croiser, dialoguant peu, ou pas, chaleur au ralenti, hermétisme froid, quelque chose d’ingrat, que je ne saurais quantifier, mais qui s’entend : tout est cloisonné. Flagrante, l’absence d’alchimie mais n’oublions pas qu’Arcade Fire est aussi une machine à cash, pour qui le live est une fin en soi – un album anecdotique a-t-il tué les carrières de David Bowie, Neil Young et Morrissey ? Voilà ce qui va artistiquement plomber Win et Régine : non pas un énième opus mollement critiquable, mais bien l’idée que quoi qu’il arrive, l’on remplira un stade ivre de benêts addicts aux scies des débuts. Pink Elephant décline la rédemption à toutes les sauces, mais paradoxalement ça ne fonctionne pas - Régine finira par larguer Win, vous le lirez ici en premier (mon côté gossip visionnaire) : j’ai hâte d’entendre le premier album solo de Régine Chassagne.