Ils étaient deux. Depuis hier il n’en reste qu’un. Des phares sont nécessaires, surtout quand comme moi on est un navigateur à la petite semaine, un capitaine de fortune qui essaye de faire flotter sa coquille sur cet océan sans pitié qu’est la vie. Mes deux phares sont comme des étoiles, nous les savons éteintes, mais elles vivent encore, illuminant notre ciel, nous servant de sextant quand le ciel se fait carte.
Depuis hier un phare s’est éteint. Certes il ne donnait plus de nouvelles, mais j’en attendais toujours, à chaque instant, des secondes comme l’indécence de la médiocrité qui s’installe nous éloignant de ce qu’il y a de plus grand de plus profond. La lumière n’a jamais vacillé, elle était et restera toujours présente. Ma vie, les marqueurs de celle-ci sont entiers dans ses chansons, des moments les plus forts, les plus douloureux, aux instants qui guideront le reste de celle-ci.
Toute entière sa musique était déjà là, même aux prémices, pendant cette première vie de lumière qui pouvait lui bruler les yeux. Il n’y avait pas à chercher le basculement, tout était déjà là, le big bang , la naissance d’un monde unique, celui de Mark Hollis. J’ai souvent pleuré en l’écoutant, je n’imaginais pas pleurer autant en sachant que plus jamais je ne pourrais l’entendre avec l’espoir d’un écho nouveau.
J’espère que les enfants de la classe de Miss Speake qui chantent "After death it’s so much fun" sur "Happiness Is Easy" ont raison, que Mark ne se souciant plus de la lumière peut noyer son tendre regard dans ce qu’il a fait de mieux, un espace musical dans lequel il sera impossible de ne pas vivre. La mort chez Talk Talk m’a souvent chatouillé, et ce "dead to Respect to Respect to be born" » de "After The Flood " comme une épitaphe qui s’imposait à moi devenant avec le temps la phrase de la peur, celle des corps aimés que nous regardons dormir en guettant les soubresauts de la respiration pour soulager notre peur.
Cette voix qui semblait souffrir dans l’embryon de la pop, aura fini par se trouver un havre de paix possible dans une recherche sonore dans laquelle le silence prenait toute son importance. Car Mark Hollis n’avait peut être qu’un ennemi le bruit. Il le chassait, laissant la place à ce qui m’accompagne depuis toujours.
Depuis hier soir vingt heures je prends conscience du bruit, et le silence de Mark hollis n’en est pas devenu assourdissant, il est la mélodie que je me souhaite encore et toujours si les enfants de l’école disent vrai.
Il va s’en écrire, s’en dire. On ne pestera même pas contre les résumés rapides d’une vie d’artiste qui dans ce monde ne peut se résumer qu’à la hauteur des sommets. Mark Hollis était depuis longtemps au-dessus de tout cela, au-delà de tout. Il nous laisse avec ses silences, avec des notes et des sons autour, avec une oeuvre dans laquelle il nous sera impossible de partir. IIs étaient deux, plus le silence.