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En bons aficionados de Laetitia Shériff, nous nous devions de profiter de la sortie du nouvel excellent album Stillness pour échanger avec Laetitia et Thomas sur l’air du temps, la musique, le son et toutes ces sortes de choses si essentielles à la saveur de la vie.

Une foultitude de raisons – COVID et confinements à répétitions oblige - nous ont amené à prendre notre temps pour publier cette interview qui date de novembre dernier. Les frémissements d’un retour des concerts nous semblent propices pour partager ce bon moment avec vous.

ADA : L’album sort pendant le 2nd confinement, on est ravi car il est magnifique, mais frustré de ne pas le voir sur scène.... Concerts reportés, une période prévue pour rejouer ?

Laetitia : La tournée d’automne est en partie reportée en 2021, d’autres dates viennent se greffer. Il y a 4 scénarios possibles jusqu’à ce que la crise sanitaire ne soit plus là : certains endroits vont décider de fermer provisoirement ; certains ont encore la "gniak" pour reporter (il faut l’avoir parce que c’est un travail d’équipe, il faut tout coordonner, c’est un sacré casse-tête) ; d’autres reportent en fin d’année prochaine ; et il y a d’autres projets parallèles de diffusion qui se préparent dont notamment des concerts sans public, sous forme de session live… Il y a une grosse fatigue, pour plein de corps de métier : les directeurs de salles, les programmateurs, les tourneurs, les labels, etc. Toutes les équipes qui sont avec les musiciens essaient de trouver une autre manière de fonctionner sans faire l’impasse sur l’émotion que ça génère chez chacun. Que ce soient nos vies privées, notre rapport au monde, aux autres, tout ça rentre dans les discussions pour la suite. On n’est pas axé uniquement sur nos activités mais aussi sur ce qui va se passer dans le monde dans quelques temps. Quand on arrive à se réunir, on essaie de rester optimistes, mais avec un gros questionnement sur la façon dont les choses sont gérées par les décisionnaires : les politiques, mais aussi nos porte-paroles. Est-ce que nos métiers sont bien compris ? Il y a tout un travail de pédagogie à fournir à ceux qui voudront l’entendre. Donc ça fait beaucoup de choses à gérer en même temps.

ADA : Le label (Yotanka) et vous avez décidé de maintenir la sortie malgré tout ?

Laetitia : Tout au départ au 1er confinement, dans cette association de personnes, le label, le tourneur (François des Tontons tourneurs), l’attaché de presse, les musiciens (Thomas, Nico, et maintenant Xavier de Totorro), des gens bienveillants, il y avait des optimistes qui se disaient : de toute façon, les gens vont continuer à écouter de la musique. On se l’est dit avec Thomas cet été : il faut garder cette sortie d’album, parce que de toute façon, on va prendre le temps de réinventer les choses. Le concept disque / tournée est complètement biaisé. On va se retrouver avec pas mal de productions de gens qui ont réussi à créer, des gens qui avaient leurs sorties d’album qui vont continuer de pousser jusqu’au bout pour pouvoir enfin se retrouver à le partager, à être en interaction avec un public. Il y avait ce point important de ne pas être dans cet embouteillage à venir et ne pas se dire : parce que le disque va être reporté, on aura la tournée qui va avec. À la rentrée on s’est dit qu’on gardait le 6 novembre. On était en résidence pendant cette période avec Nico, Xavier, et l’équipe technique pour préparer le live, en version spéciale Covid. Cette résidence était prévue depuis longtemps, mais il fallait aussi qu’on soit en interaction avec le directeur technique & les techniciens de cette salle (le BBC) pour apprendre à avoir les bons gestes. Mais aussi à synthétiser le set pour des concerts plus courts, de raconter une histoire en 50 minutes, de privilégier les morceaux de Stillness et rajouter 2-3 morceaux en attendant. J’ai aussi invité une scénographe qui travaille beaucoup dans les festivals (et donc en chômage forcé) pour créer une ambiance un peu moins… médicalisée. Après l’Aéronef a mis le paquet avec son concept du concert avec le public à 360°. On a tous mené des ateliers, et j’avais envie d’être active dans ce sens-là. Ce qui a été fait il y a 2 semaines [fin octobre 2020, NDLR] est reporté à l’année prochaine.

ADA : Tu as déjà joué devant un public assis et masqué ?

Laetitia : J’ai joué avec le Ballon Rouge [un ciné-concert que Laetitia joue avec François Ripoche et Stéphane Louvain - NDLR] il n’y a pas longtemps, dans un théâtre. J’ai été très émue, parce que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas retrouvé. Et j’ai vu tout le temps qu’on était sur ce lieu une équipe s’affairer, travailler pour que tout puisse fonctionner à l’ouverture des portes. Il y avait des petits enfants avec leurs grands-parents… et ça n’a rien altéré du spectacle. Les gens étaient vraiment présents, la seule différence c’est qu’à la sortie de la représentation, le public était invité à quitter les lieux directement. Pouvoir retrouver les gens après les concerts est quand même quelque chose que j’apprécie…

ADA : Thomas, tu as joué aussi cet été et en début d’automne ?

Thomas : Oui, des concerts avec Arm et en solo, avec un peu tous les scénarios : il y a eu des festivals en plein air, les salles avec public assis et masqué, d’autres en mode cabaret, assis et non masqué, des salles pleines, des salles quasi vides aussi. Mais à chaque fois c’est cool de jouer, ça fait vraiment du bien, je pense que les gens étaient contents d’être là aussi. Il y avait un seul truc constant, c’est que les gens ne se lâchaient pas vraiment, même en plein air. J’ai joué au festival Teriaki au Mans, et il y avait des groupes qui invitaient plutôt à danser, les gens dansaient un peu mais c’était sage… bon après tant mieux, ils respectaient bien les distances, tu sens qu’ils ont besoin de ça mais ne peuvent pas se le permettre… qu’il y a aussi quelqu’un qui surveille… on vit un peu dans le monde big brother depuis quelques années, et ça a franchi un nouveau stade, et je trouve ça un peu flippant.

Laetitia : Le plus frustrant dans tout ça, c’est le rien. Malgré ce que dit Thomas, et l’échange qu’on a ensemble, ce qui m’a rendu à fleur de peau est l’empêchement d’interaction avec l’autre. C’est le plus terrible qui puisse nous arriver.

Thomas : Chaque date était un cadeau, j’étais hyper heureux de jouer.

Credit Photo : Lise Gaudaire

ADA : l’album a été composé et fini d’enregistrer avant tout cela… du coup comme as-tu procédé ? Est-ce que la création a été étalée sur 5 ans ? Ou alors plutôt sur une période assez courte avant l’enregistrement ?

Laetitia : Ça a été ramassé sur l’année 2019. J’ai commencé vraiment à m’assoir à ma table avec tout ce qu’il me faut pour écrire, même si j’avais collecté 2-3 bricoles auparavant. Et en janvier 2019, je me suis dit qu’il était temps que je fasse le disque, et il a été enregistré au mois de décembre 2019. On a fini les dernières prises de voix le 10 mars, juste avant le 1er confinement. Le dernier mix a été fait le 10 mars, envoyé au mastering le 11 mars. Du coup on recevait le master à la suite, et on avait tout l’espace-temps idéal pour pouvoir réécouter le travail de mastering de Peter Deimel [Studio Black Box, NDLR]. Et aussi de me prendre une grosse torgnole à réaliser que ce que j’avais écrit dans Stillness était un écho voire un larsen de l’époque. Ça m’a beaucoup émue. Il y a eu aussi le travail sur l’artwork avec Estelle Chaigne qui m’a tenu pendant 2 semaines. Je savais comment m’adresser à Estelle, et c’est hyper motivant des 2 côtés d’arriver au bout et d’avoir la pochette au bout de ce temps-là. En août, Eric Mahé s’est occupé du travail graphique avec la mise en valeur du travail d’Estelle, l’organisation de la pochette. Du coup ça m’a permis de rester concentrée sur la sortie du disque et de tenir vraiment à la sortie du 6 novembre.

Thomas : Et la typo !

Laetitia : Oui la typo qui s’appelle Stillness, c’est le cadeau que m’a fait Eric Mahé : il a fait tous les caractères, à la main, une police complète.

L’inspiration première de Stillness, ça part d’un projet particulier où lors d’un concert de cristal Baschet (https://fr.wikipedia.org/wiki/Crist...), on était plusieurs à découvrir cet instrument et l’effet qu’il faisait sur les gens, et arrive la fameuse phrase d’Olivier Mellano : "Mais c’est des sons immobilisants, Laetitia !" (rires). Du coup j’étais partie sur un projet, je voulais utiliser des thèmes que j’avais imaginés pour cette pièce, mais ça n’a pas marché. Je suis repartie sur des choses nouvelles parce que j’avais vraiment besoin que cet album soit basé sur la guitare. Je n’ai pas laissé tomber ce projet de sons immobilisants avec un rassemblement d’instruments atypiques qui formeraient tous ensemble la note qui nous mettrait tous d’accord, je pense le faire plus tard. Mais en tout cas, j’ai juste gardé la sensation d’immobilité et ça a été le départ de l’album.

ADA : On a noté une atmosphère moins sombre et moins mélancolique que sur le précédent. On a l’impression d’un album plus combatif, plus impliqué sur le monde…

Laetitia : En fait, je pense que depuis que je fais de la musique, il y a toujours un fil rouge : j’essaie d’aborder le monde comme je le vois. Avec Pandemonium [le précédent album "Pandemonium, Solace and Stars", NDLR], je suis allée très loin dans les affres des romans d’anticipation et des films. Et je pense que ce fil rouge m’amène à regarder le monde comme j’aimerais qu’il soit. Avec tous les outils qu’on a en main, j’en arrive à craindre qu’on nous fasse oublier cette capacité qu’on a à voir le monde. On essaie de mener des vies avec le rythme de la société, qui fait qu’on a le droit de se poser quand tout le monde est en vacances, on a le droit de se détendre le samedi soir, et pas le lundi, mardi, mercredi : "Fini la bamboche !". J’avais vraiment pas envie d’écrire un album avec des choses moralisatrices. Ce qui va développer ma vision du monde va passer par la musique, c’est pour ça que c’était important que ce soit un album à guitares. En mars 2019, on est allé voir un concert de Sunn o))) avec Thomas (ça faisait très longtemps qu’on n’était pas allé voir un concert tous les 2), et il n’y avait pas de texte, pas de voix… on a été complètement cueilli, 2 heures et quart de concert, et on ne savait plus où on était, avec un travail de lumières et de son hallucinant. On est reparti fort de ce concert-là. Donc, je voulais développer les émotions en créant des riffs, en jouant de la guitare, en étant dans quelque chose de plus énergique et impliqué. Et du coup, j’attendais aussi l’implication de Nico et de Thomas au moment de passer à la structuration des morceaux et aux arrangements. Quand on est arrivé aux répétitions pour l’enregistrement, c’est comme si on ne s’était pas quitté depuis la dernière tournée.

ADA : Dans le live vidéo #Basique sur France 4, on t’a vu à la guitare, on avait plutôt l’habitude de te voir à la basse ou baryton... Etait-ce une envie de changer d’instrument ?

Laetitia : People Rise Up, je l’ai écrite à la guitare, et généralement je compose mes petits "sketches" à la guitare aussi, ça part rarement de la basse. Pour l’album d’avant, j’avais imaginé Olivier Mellano jouer les guitares. Et pendant la réalisation, Thomas m’a donné tous les outils possibles pour que je puisse faire ces guitares. Avec Thomas, on a co-composé Friendly bird. Je pense que ça m’a mis un pied à l’étrier à ce moment-là. Pour l’enregistrement du nouvel album, j’ai laissé les guitares à Thomas, parce que ça s’est fait comme ça, j’avais besoin de n’être qu’avec Thomas et Nico, pour qu’on puisse aller au bout de chacun des morceaux, et du coup c’est vrai que le power trio fonctionne bien en guitare / basse / batterie. J’utilise très peu la baryton sur l’album, uniquement sur Go to Big Sur et We are you. Sur la tournée, Thomas ne sera pas avec moi, en tout cas pour le moment, et du coup c’était important de trouver quelqu’un qui ne fasse ni du Olivier Mellano, ni du Thomas Poli. Du coup en ayant l’idée de Xavier Rosé de Totorro, qui joue de la basse, dont j’aime bien l’énergie, je voyais déjà la combinaison Nicolas Courret / Xavier Rosé, comme étant un socle, et qui me permettrait d’être plus à l’aise sur mes parties de guitare. Et il se trouve que le premier instrument de Xavier est la guitare. Donc il prend aussi la guitare dans le set, il a repris des parties enregistrées par Thomas, et on alterne basse / guitare l’un et l’autre. J’aimais bien aussi l’idée qu’on puisse faire basse / basse / batterie ou baryton / baryton / batterie… La formule baryton / baryton va arriver 1 ou 2 fois dans le set. Il se trouve que j’aime jouer de la guitare et que je suis de plus en plus décomplexée, et je suis aidée aussi parce que j’ai des modèles à la maison… c’est un instrument que j’utilise beaucoup quand je compose.

ADA : Mais est-ce que le fait de chanter avec une guitare au lieu d’une basse n’apporte pas des sensations différentes ?

Laetitia : Oui, mais la frustration actuelle pour ma part est de travailler ce rapport à la guitare et au chant en n’essayant pas d’être dans une technicité de malade, mais en étant plus dans le son et dans l’énergie, dans la justesse des choses que je vais proposer en voix/guitare. Tout en sachant qu’il y a toujours Nico et Xavier, en trouvant le lien idéal entre nos 3 instruments et les voix. Je dis les voix parce qu’il va y avoir des chœurs aussi. C’était une totale surprise : pendant les répétitions je leur ai proposé de faire les chœurs et j’ai été bluffée. On joue ensemble depuis 2009 avec Nico, et je ne savais pas qu’il chantait. La seule faille possible, ce sera le trac et l’émotion intense de retrouver les gens.

Thomas : Ou l’autotune qui plante (rires).

ADA : Thomas, peux-tu nous dire comment s’est déroulé l’enregistrement au studio Impersonal Freedom & Balloon Farm ?

Thomas : Alors en fait ça fait un an que j’ai installé ma régie au Balloon Farm. On utilise leurs locaux live, et j’ai construit une pièce à côté où j’ai ma console et mon studio. Du coup on a des facilités pour enregistrer des groupes de tout type. On peut adapter plein de formules différentes : si c’est vraiment un travail de studio, du mixage, enregistrer des machines ou des productions électroniques, comme je fais, c’est dans le studio, mais s’il y a de l’acoustique à faire, il y a trois pièces différentes [au Balloon Farm], et je suis câblé partout…

ADA : C’est une envie de longue date d’avoir un studio comme ça ?

Thomas : J’enregistre des groupes depuis longtemps mais je n’avais pas de studio pour le faire : on a enregistré Pandemonium dans notre maison en centre ville, c’était pas toujours évident. Ensuite, on a atterri en appartement, et je n’avais plus de studio. C’est à ce moment-là que Vincent Le Couplier de Balloon Farm, m’a proposé de construire mon studio à côté. C’était hyper absorbant à faire, j’ai passé plusieurs mois à ne faire que ça, c’est assez petit, modeste mais c’est le truc de mes rêves. On a fait tout le disque là.

Laetitia : C’était la première fois que fonctionnait l’association de la régie du studio de Thomas et du studio que proposait Vincent.

Thomas : il fallait que cette connexion entre les 2 soit 100 % opérationnelle pour enregistrer Stillness, et qu’on ait un vrai studio "full analog" qui marche. Il y a une nouvelle console, des nouvelles enceintes, il y a eu une accélération dans l’équipement. J’y passe beaucoup de temps, c’est top ! Et c’est à 2 minutes de chez nous.

ADA : on a l’impression que les morceaux sont construits un peu différemment, avec différentes parties assez distinctes, est-ce que c’est une direction voulue ?

Laetitia : Comme je vous disais tout à l’heure, je souhaitais qu’on se retrouve avec Nico et Thomas pour engager des répétitions, des mises en place des morceaux. J’avais des mélodies, mais les textes n’étaient pas finis, donc on était dans la musique pure et dure. Il fallait retrouver une énergie de groupe. On a essayé qu’au moment de l’enregistrement, on ait les structures. Il s’est trouvé qu’il y a eu quand même un peu de montage mais pas tant que ça. On a retiré des choses quand c’était un peu trop long, ou quand ça cassait le rythme ou le sens du morceau, mais on n’a pas mis une partie avec une autre, sauf pour l’introduction de Sign of shirking : on a commencé l’enregistrement par cet hommage à Sunn o))) Thomas et moi.

Thomas : Souvent on jouait les morceaux soit par portions, soit de A à Z sans trop réfléchir à une structure : on se mettait d’accord sur une structure grossière où Laetitia pouvait placer toutes ses mélodies. Parfois on a gardé comme ça, parfois on a choisi dans les meilleures prises par tronçons. Le but était de ne pas être contraint en tant que groupe, c’était plutôt assez fluide, on a enregistré de manière assez spontanée. On a pu parmi les 3 prises qu’on faisait par titre trouver de quoi faire un morceau. Quand il y avait une mesure qui se répétait et que ce n’était pas nécessaire, on se sentait libre de couper, ce qui fait que l’album a un côté impulsif aussi, il y a une énergie, un truc qui trace tout le temps. Quand on commence à s’installer dedans, ça part sur autre chose. Un truc très spontané, années 70. On a aussi beaucoup écouté les Beatles pendant le confinement, et c’est fou à quel point leurs morceaux sont tronçonnés !

Laetitia : Il y a vraiment quelque chose qui est assez grisant pour moi, au moment d’enregistrer les voix, en dehors de la nécessité d’aller au bout des textes et de la chanson, c’est le sentiment soit de prendre un train qui commençait à partir, de rentrer dedans, d’être super contente d’être dedans, soit de prendre le temps d’installer, de poser la voix, de tester des choses. On a passé 2 semaines d’overdub et c’est la partie que j’ai adorée avec Thomas, avoir le temps de se demander si c’était juste ou pas de rajouter ceci ou cela. Pour les arrangements de cordes au synthé modulaire de Thomas sur People Rise Up, on a eu le temps d’écouter la version en power trio… Même avant que ce morceau existe il y avait le travail sur l’album de Dominique A, Toute Latitude. Du coup j’avais dit à Thomas "Qu’est-ce que je rêverais d’avoir ces cordes orientales pour pouvoir illustrer encore plus fort le propos du morceau, un clin d’œil à ces événements qui marquent un temps, comme le printemps arabe"… La base de People Rise Up était un tapis sur lequel Thomas a pu poser ses cordes directement, en une nuit.

Thomas : À la base, on s’est fixé chacun un kit très simple, il ne fallait pas quelque chose de trop compliqué, si c’était le cas on laissait tomber, et on simplifiait. Le but était d’avoir un truc très puissant au niveau de la batterie, d’avoir une guitare claire, limpide, directe, un câble, un ampli, une guitare. C’est avec les mains qu’on fait ça. Et après on pouvait rajouter des choses plus complexes ou plus ciselées au niveau du son. J’ai vu le groupe Motorpsycho travailler au studio Black Box il y a un moment, et ils m’avaient impressionné par cette simplicité, ce côté ultra direct qu’ils avaient. C’est peut-être les meilleurs musiciens de la planète, j’ai halluciné, ils sont trop forts ! C’était inspirant de voir ça. Ils font de la musique de maboul, un peu du Zappa d’aujourd’hui sans le côté barré ou élitiste, ou déjà super compliqué à la prise, c’était un truc d’énergie brute à la prise. Nous en trio on a un peu cette énergie-là, on n’est pas des grands techniciens, c’est pas quelque chose qui nous branche de faire 3000 notes… On a pris cette voie-là à la 1e session de 5 jours en décembre 2019, et la 2e session en janvier. Après on a fait une semaine d’overdub et une semaine de voix.

ADA : On a beaucoup aimé la version de People rise up pour la session Sourd’oreille. Et ce qui est très beau c’est que le montage montre les sourires des musiciens, les connivences…

[NDLR : en préambule, Thomas précise que cette session a été enregistrée au studio Balloon Farm]

Laetitia : C’est cool que vous ayez remarqué ça parce que c’était une journée vraiment incroyable, et il y a beaucoup de regards, ça me donne des frissons rien que d’en parler. C’est le fait de se retrouver aussi, tous les 7 + Samuel Petit le réalisateur et Victor Blondel le chef-op, plus les gens du label qui attendait dehors, et en régie Clément Lemennicier qui a assisté Thomas. On était en cercle, on a dit à Samuel : "on joue autant que tu veux, tu nous dis", et on a fait le morceau 7 fois, avec la même intensité, avec la même joie d’être ensemble, avec les mêmes sentiments d’une partie à une autre, et rien que d’en parler ça me met les larmes aux yeux parce que ça m’a permis de voir ce morceau-là bien en face, les cordes jouées par des cordes, de me prendre ça de façon gentiment brutale, j’avais envie que tous les morceaux soient revisités en formation XXL. People rise up c’est vraiment le 1er morceau que j’ai voulu faire, j’arrêtais pas de jouer la partie de fin quand j’étais toute seule dans le local de répétition l’été dernier, je le bouclais, je jouais de la batterie, et pareil pour toute la 1ère partie du morceau, je commençais mes répétitions avec ces accords. J’avais pas tout le texte mais je savais que c’était "I see a line…", comme un mantra, ça me mettait dans un état un peu spécial, et en écrivant le texte petit à petit, j’ai voulu vraiment rendre hommage à tous ces gens qui arrivent à surmonter ensemble des combats. Et j’ai commencé à rêver qu’on puisse le faire, d’unifier tous nos combats. Je pense au post-confinement [en mai 2020, NDLR], quand on a vu ces jeunes personnes assises ayant le poing levé pour lutter contre le racisme et les violences subies. À Rennes, le rassemblement était toléré mais pas la manifestation, et on a vu des centaines de jeunes ensemble, par petits groupes, ça nous a vraiment chamboulé.

ADA : en faisant une recherche sur Bandcamp, on est tombé sur "Big Sur" dans une version radicalement différente avec Régïs Boulard à la batterie - sorti en 2013 (In my bed compilation). Comment est venue l’idée de retravailler ce titre ?

Laetitia : Ça vient de Mathieu Cozanet de In my Bed et du groupe Formica. Ils avaient fait une compilation il y a quelques années et j’avais eu envie d’inviter mon ami Régïs Boulard à faire de la batterie, depuis le temps qu’on en parlait… Du coup j’avais maquetté un titre qui s’appelait Big Sur à l’époque. Du coup j’ai repris le thème de Big Sur pour pouvoir écrire ce morceau-là pour Stillness. C’est un morceau qui m’entêtait mais effectivement, c’est plus du tout la même chose.

ADA : on se demandait quelle était l’origine de ce titre, la thématique, l’ambiance ?

Laetitia : Ça parle d’amour, mais c’est pas une histoire d’amour, c’est plus familial, et je m’en suis aperçu au moment de l’enregistrement. Big Sur c’est cet endroit magnifique en Californie, sorte de paradis perdu dans lequel va se réfugier Kerouac dans le roman du même nom, il se sauve parce qu’il est dans les affres de tout ce qu’on peut imaginer, du trop… dans le roman il y a un voyage de nuit où on ne sait pas trop où il arrive, c’est un peu inquiétant, et finalement le jour se lève, et on découvre la petite cabane qu’on lui prête, là où il a l’intention de se refaire. Mais c’est un leurre, parce qu’il invite d’autres personnes à venir et il retrouve son instabilité. Je trouvais que c’était un sujet inspirant le fait de se retrouver, de se rater. C’est devenu une histoire familiale au final et j’étais scotchée le jour où j’ai enregistré ce morceau-là, parce qu’un peu à la Kerouac, à la Ginsberg qui s’amusent de la sonorité des mots sans forcément qu’il y ait de sens, et Kerouac qui jouait aussi sur le sens franco-anglais, du coup "Sur", ça veut dire sœur pour moi, histoire de famille comme il y en a tant d’autres. Je ne voulais pas utiliser l’album pour parler de choses comme celles-ci, mais l’idée du voyage me plaisait bien, d’un endroit idéal pour se retrouver, d’un endroit rêvé mais que ce soit un leurre, mais que finalement il y ait une pousse d’optimisme, que ce soit comme une vague qui s’échoue et qui repart. Tout est mélangé, c’est toujours délicat parce que je n’ai pas de fiche de lecture, de signification de tous mes textes, et de toutes mes émotions mélangées. Faire un disque c’est vraiment une occasion rêvée de pouvoir mettre tout ça. J’ai jamais de frustration d’un album à un autre, ça annonce toujours une suite. Ce que je n’arriverai pas à vous expliquer aujourd’hui, j’y arriverai peut-être demain, avec des mots plus clairs (rires).

ADA : tu as participé à une série d’émissions sur Euronews "Notes from the USA". Tu nous parles de cette expérience ? Ça a été une matière, une inspiration pour tes compos ? Y a t’il une résonance avec la situation actuelle ?

Laetitia : Un message est arrivé sur ma boîte mail Facebook, j’ai d’abord cru que c’était un spam, mais ça n’en était pas un. L’idée était de partir visiter plusieurs états américains, le tout vu par une européenne, dans l’idéal artiste / musicienne pour découvrir la culture de chacune des villes visitées, sous toutes ses formes : culinaires, musicales… Alors j’ai dit oui ! Après, le travail qu’on me demandait n’était pas aussi simple que ça parce que je devais faire le tour d’horizon de chacune des villes que je visitais, et que ça s’intègre dans un scénario qu’ils avaient prévu. Du coup j’ai dû faire des recherches, j’ai fait des découvertes musicales et d’autres choses. Ce que je ne savais pas c’est que j’allais y aller seule, retrouver l’équipe de tournage, et que ça allait durer à peine 15 jours. Je suis arrivée dans le Minnesota pour la 1e étape, j’ai rencontré le réalisateur (que j’avais eu au téléphone avant) et l’équipe de tournage de la NBC ! Personne ne parlait français alors j’ai commencé à avoir un moment de panique parce qu’il y avait des termes techniques que je ne connaissais pas. Après, c’était quelque chose d’assez répétitif donc j’ai pris mes marques assez rapidement. On était une équipe de 10 personnes, et tous les gens que j’ai rencontrés dans chacune des villes ont été incroyables ! Je n’ai pas rencontré de gens malveillants, ou avec des propos dégueulasses, tout ce que colporte Trump et son électorat (enfin, il faut faire gaffe aux médias, c’est parfois biaisé), j’ai juste vu les cousins et tontons d’Amérique. J’ai remarqué une certaine pureté, il y a une sorte de chauvinisme mais beaucoup moins qu’en France. Au départ c’est le boss d’une grosse agence de tourisme qui a fait la commande à Euronews, pour attirer les européens qui depuis l’élection de Trump étaient moins chauds. Avec des yeux d’européenne, j’ai juste vu des… européens, en fait, car à part les native americans, ils ont tous des origines africaines, européennes, etc. En fait ce que j’ai aimé autant que j’ai détesté, c’est que tout était "super" : les gens quand ils te rencontrent : "c’est super", tu dis que t’es français : "c’est super"… Les conflits sont toujours évités, en même temps dans le contrat je n’avais pas le droit de parler ni de politique, ni de religion, des tensions qui n’ont pas lieu d’être autour d’un concert, ou autour d’une table. C’est quelque chose qu’on ne sait pas faire en France : enfin si, on parle de bouffe en mangeant. 
J’ai été très contente, petite je rêvais de voyager, partir, prendre l’avion, le train, et c’était comme une petite croix à mettre sur la todolist. 
Peut-être que ça a inspiré quelques lignes de mon album dans l’idée d’encourager les gens à pouvoir ouvrir les portes et se libérer d’une certaine manière de voir les choses. Jamais on n’aurait imaginé que je puisse un jour sortir de mon quartier par exemple.

ADA : Enfin, petite question rituelle, quels sont vos derniers coups de cœur artistiques ?

Laetitia : Suite au concert de Sunn o))) , j’ai continué à les suivre dans leur projet de tournée, et du coup j’ai découvert grâce à eux Anna Von Hausswolff qui a fait certaines de leurs premières parties, et je suis encore en train de la découvrir. Elle vient de sortir un album "All Thoughts Fly". Elle est organiste mais sur la tournée elle joue de la guitare, c’est un sacré challenge aussi, avec un groupe. L’ambiance est assez dingue.

Thomas : Le Oneohtrix Point Never qui vient de sortir, qui a l’air top. C’est super ce qu’il fait Daniel Lopatin. J’ai découvert via lui un mec qui s’appelle John Rafman qui fait de la vidéo, qui a fait une sorte de journal entre le jeu vidéo, la vidéo 3D et l’art contemporain. Il avait fait une expo qui avait bien marché avec des snapshots faits sur Google Earth, des trucs tous bizarres. Il fait aussi un truc qui s’appelle Dream Journal que j’avais découvert il y a 2 ans, je trouve ça super bien mais dark, lynchien.
En parlant d’orgue, il y a Kali Malone une musicienne qui mélange les grandes orgues avec du synthé modulaire.
En faisant des dates avec Vîrus, j’ai découvert un peu plus le gars, ses textes. Il a fait une tournée avec Dreyfus (pour une adaptation du soliloque du pauvre de Jehan Rictus), et c’est un gai luron !

S’en suit un défilé de pochettes de disques, Thomas nous montrant ce dont ils parlent : c’est un des rares avantages de l’interview en visio…
On y croise Kelly Lee Owens, Squid, The Dale Cooper Quartet…

Thomas développe : The Dale Cooper Quartet est un groupe brestois, excellent (Laetitia confirme). Ils ont sorti 4 albums sur un label polonais [Denovali, label allemand, en fait NDLR] avant d’être sur le label brestois Music from the masses du disquaire Bad Seeds.
L’album Drop Out de Vincent Malassis, c’est la BO d’un film d’Hoël Duret, c’est un super disque, c’est un mec génial. On a fait 2-3 trucs au studio ensemble.

Un grand merci à Laetitia et Thomas pour le temps passé à échanger, et après ce petit tour d’horizon de recommandations à explorer, il ne nous reste plus qu’à espérer pouvoir enfin découvrir les nouveaux titres de l’album en live, en vrai, en vivant (on n’a jamais autant eu besoin de ça, ces derniers mois, vous ne trouvez pas ?) lors de la tournée, reportée en grande partie cet automne. Fingers crossed et cœur avec les mains.

Merci également à Jean-Philippe Béraud.

Les dates de la tournée : 05/06/2021 - DIEPPE (76) - Scène Nationale

24/09/2021 - BORDEAUX (33) - Krakatoa - Mérignac - Report de la date du 18/03/21

09/10/2021 - VESOUL (70) - Echosystem - Scey/Saône - Report de la date du 20/03/21

05/11/2021 - ST BRIEUC (22) - Festival Sons d’Automne - Quessoy

06/11/2021 - LA-ROCHE-SUR-YON (85) - Fuzz’Yon - Report de la date du 13/03/21


13/11/2021 - VANNES (56) - Echonova - Report de la date du 12/03/21

19/11/2021 - LE MANS (72) - Excelsior Allonnes - Salle J.Carmet - Report du 13/02/21

20/11/2021 - DIJON (21) - La Vapeur
27/11/2021 - NEUSSARGUES (15) - Fest. Hibernarock - Ste Anastasie - Report du 05/03/21

03/12/2021 - MONTLUÇON (03) - Le 109 - Report de la date du 30/01/21

04/12/2021 - CASTRES (81) - Lo Bolegason - Report de la date du 17/03/21

05/12/2021 - PAU (64) - Ampli Billère - Report de la date du 14/03/21

10/12/2021 - LE HAVRE (76) - Tétris - Report de la date du 11/02/21

17/12/2021 - BELFORT (90) - Poudrière - Report de la date du 26/03/21 D’autres dates reportées sont en cours de re-planification