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Sorti en février dernier, l’album « Sextape » s’est tellement fait démolir par certains que l’on mit du temps avant d’y poser une oreille. Quels furent les reproches adressés aux sœurs jumelles Kincy et Antha ? Pour faire vite (car la liste des attaques dépasse l’entendement), superficialité, pornographie, coup monté, flow rap défaillant, instrumentation à la ramasse… Une première écoute parfaitement dubitative écarquille en grand les yeux de l’auditeur : référence à la poudre sur chaque titre, incitation batcave au culte satanique, volonté de se définir en tant que putes, apologie du cul dans toute sa trivialité… Déjà, rien que pour cela, on adore ces deux gonzesses issues du 91. Musicalement, c’est de la folie pure : beats et synthés hyper cheap (du préhistorique qui déchire), vocaux qui partent dans tous les sens (jusqu’à devoir parfois répéter le même mot pour ne pas perdre le rythme). Mais au moins, Kincy et Antha assument leur truc jusqu’au bout. Lors des premières écoutes, on est même grave content de tomber sur une version trash destroy de l’insupportable Yelle. Douze chansons qui ventent les délices de la coke, les joies de la sodomie et le glauque des nuits parisiennes (lorsqu’il est impossible de se payer un taxi car toute la thune est partie dans les narines), voila qui sort de l’ordinaire bien trop courtois, bien trop sage de la musique française.

La troisième ou quatrième écoute de « Sextape » (parce qu’on veut piger l’idée dans ses moindres détails) permet de relier Orties à l’actuelle production rap française. Un point saute tout de même aux yeux : là où beaucoup de performers écrivent sur leurs volontés d’utiliser le rap à des fins subversives (sans ne jamais préciser la nature de la subversion), là où beaucoup écrivent sur le fait qu’ils font du rap (écrire sur soi en train d’écrire, en somme ; ce qui brasse beaucoup de vent), Antha et Kincy se contrecarrent des joliesses ; plutôt que de se perdre en explications égocentriques, elles vont droit dans la viande. Naturelles et punks (elles ne citent pas Taxi Girl au hasard sur « Paris Pourri », évident hommage à « P.A.R.I.S » - un Daniel Darc juvénile apparait même dans le clip), les deux sœurettes envoient chier, avec jubilation, le rap propret comme il s’en conçoit malheureusement de plus en plus en France depuis quelques années. Au bout d’une dizaine d’écoutes (parce qu’on vire accro), l’extravagance et les extrêmes de « Sextape » laissent deviner une sacrée ironie, une malice bien sentie, une distanciation à la Warhol. Des phrases gothiques telles que « je pratique le sexe après la mort » (« Plus Putes que Toutes les Putes ») ou tellement explicites que ne pouvant renvoyer qu’au pastiche (« limousine d’un soir / cocaïne / piscine » sur l’évidemment parodique « J’ai le Fun ») laissent à penser qu’Orties est au rap français ce que les Ramones furent au punk : un cartoon déglingué, une apologie du basique, un pur concept (et comme les Ramones personnifièrent l’un des meilleurs groupes punks de tous les temps…).

Car peut-être tout ceci est-il faux. Peut-être les deux filles d’Orties ne sont pas sœurs jumelles. Viennent-elles du 91 plutôt que des beaux quartiers parisiens ? Aucune importance, le pari se gagne à tous les niveaux. Ou bien Orties n’est-il qu’une parodie s’amusant des clichés inhérents au rap (autotune en mode exagération, chansons baignant dans la sainte trinité cul / dope / bagnoles) et le groupe s’apparenterait alors au plus radical des gestes punks entendu depuis longtemps (« vous n’avez pas la sensation de vous être fait avoir ? » comme le proclama Johnny Rotten lors du dernier concert des Sex Pistols au Winterland) ; ou bien les hymnes à la défonce d’Orties n’ont rien de factice et feraient ainsi des sœurs jumelles… les plus belles punkettes découvertes depuis le premier bouquin de Virginie Despentes. Dans les deux cas, on respire : le punk, qu’il soit sincère ou factice (but who cares ?), est enfin de retour.

En même temps, pour qui prenant soin d’écouter « Sextape » avec vigilance, on remarque, au fur et à mesure de l’enchaînement des titres, un subtil glissement vers le sérieux, le bizarre, voire le dérangeant. A partir d’« Autotune Automne », Orties devient insaisissable. Si les sept premiers morceaux du disque y vont à fond niveau destroy, les cinq suivants dévoilent un univers beaucoup plus intime, beaucoup plus troublant et cryptique (à l’image des puissants « Les Fleurs Bleues à Paillettes » et « Orgasm », qui prouvent que même les sorcières peuvent avoir le vague à l’âme). Ouais, les pourfendeurs d’Orties n’ont pas cherché à voir plus loin que deux jolies filles s’enfilant des lignes et s’habillant avec des cuirs marqués Lucifer. Dommage : Antha et Kincy ont bien plus à offrir qu’une image gothique (qu’elles ne prennent elles-mêmes guère au sérieux, simple continuation d’une enfance où il était naturel de se déguiser en mère des ténèbres)…




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