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  • mars 2005 /
    Verone
    L’Interview

    réalisée par gdo

Interview réalisée en Mars 2005. Merci à Fabien et à Martingale.

En préambule nous voulions vous dire que pour la première fois de l’histoire de notre webzine, un album c’est vu chroniqué deux fois et cela pour offrir les deux visions totalement différentes que nous pouvions avoir de ce disque. De ce fait les deux chroniqueurs y sont allé de leurs questions auxquelles verone a répondu..

Ainsi que vous avez pu (ou pas) le lire, je n’ai pas été sensible à l’ensemble de l’album. Il me semblait que la finesse de vos compositions aurait transparu plus nettement en allant dans le sens de l’épure et non de l’électro à gogo. Depuis, je n’ai fait que me demander si lors du passage en studio vous aviez été totalement maîtres de l’étape finale…

— Nous sommes entièrement responsables de la production de notre premier album, nous et Tom Fury (d’Alpha Jet), qui nous a rejoints depuis à la batterie. Nous avons choisi de réaliser un album électronique... parce que c’est ce que nous voulions faire à ce moment-là (ce qui ne veut pas dire que le prochain ira dans la même direction...). Le mixage du disque a été réalisé par Yann Arnaud (qui a travaillé pour Syd Matters et Air), et le mastering par Chab (de Cocosuma), mais nous avons également participé à ces deux dernières étapes. Produire un disque implique à mon avis de prendre des décisions claires et tranchées : nous avons supprimé beaucoup d’idées enregistrées avant de mixer. Désolé que le résultat ne soit pas assez minimaliste pour tes oreilles...

Le traitement électro donné à vos chansons conduit à penser, sans doute à tort, que vous avez des prétentions arty alors même qu’on sent derrière ce traitement l’honnêteté d’un groupe qu’on pourrait dire plus folk que pop. Qu’en pensez-vous ?

— Verone est un projet de chansons : peu importe qu’elles soient jugées électroniques, folk ou reggae. Nous fuyons les étiquettes comme la peste. Nous essayons simplement de faire des disques qui nous plaisent, en dehors de tout courant de mode : nous travaillons en parfait accord avec notre label, et sommes indépendants à 100 %.

Je ne connais pas vos premiers efforts mais est-ce que ce serait une tentative ridicule et maladroite de ma part que de vouloir absolument vous imaginer comme un groupe folk contrarié sur cet album ?

— Daniel Presley, producteur américain installé en France (Cali, Luke, Spain...), nous avait signés en 2000 sur son label, Juno Music. Nous avons commencé avec lui à la campagne l’enregistrement d’un disque de folk-rock acoustique, lequel n’ a jamais vu le jour. Quelques mois plus tard, Delphine, Stéphane et moi avons décidé de produire un album électronique en prenant le contre-pied de ce que nous avions commencé. Nous avons réenregistré certains morceaux, en abandonnant ceux qui ne se prêtaient pas à l’exercice de la re-production, et apporté de nouvelles chansons (dont "J’ai vu des chevaux sous la mer" et "Retour au zoo"). Ce faisant, nous avons quitté les rivages américains pour dériver vers l’Europe, et plus particulièrement l’Allemagne de Tangerine Dream et de Kraftwerk. Disons que Verone est, sur "Retour au zoo", un groupe d’électrofolk voyageur.

— Sur scène, nous sommes désormais quatre, avec Tom Fury à la batterie. La plupart des morceaux du disque ont été réarrangés de façon très différente, plus acoustiques et sur l’os. Il y a aussi pas mal de nouvelles chansons, ainsi qu’une reprise de "L’Arbre Noir" de Nino Ferrer. Les mini-films que nous projetons ont été coréalisés avec Thibauld Mazire, artiste laqueur, et viennent compléter chaque titre, sans forcément illustrer directement les paroles.

Vous bénéficiez d’échos un peu partout dans la presse sous toutes ces formes, comment vivez-vous le décollage d’un projet que vous nourrissez depuis dix ans semble-t-il ?

— Le disque a été très bien accueilli, aussi bien par la presse que les radios, alors oui, c’est sûr que ça fait plaisir.

Pouvez-vous-nous en dire un peu plus sur votre parcours jusqu’à Retour au Zoo ?

— Delphine, Stéphane et moi avons fondé Verone en 1998. Pendant deux ans, accompagnés par Romain Viallon (maintenant dans Luke) ou Mark Kerr (Rita Mitsouko, Ben’s Symphonic Orchestra, Mellow) à la batterie, nous avons surtout fait de la scène, dont les premières parties de Grandaddy, John Cunningham ou des Walkabouts. C’est à l’issue d’un de ces concerts (Natacha Tertone, qui chante sur l’album, jouait avec nous ce soir là, c’était sur une péniche) que Daniel Presley est venu nous féliciter et nous proposer un enregistrement... De cette collaboration est né un CD quatre titres, sorti sur Poplane en 2002, et il reste également quelques chansons inédites .

Fabien, ton écriture possède quelque chose d’automatique, dans quelles conditions écris-tu les paroles ?

— Sur cet album, les musiques ont été composées avant les paroles. Par exemple, la musique d’"Alaska" a été faite l’été dans le Sud de la France, et j’ai écrit le texte à Paris des mois plus tard. Pour "J’ai vu des chevaux sous la mer", les paroles sont inspirées d’un rêve fait par Delphine, qu’elle m’a ensuite raconté. Actuellement, j’ai inversé le processus : pour les nouveaux morceaux, je commence par les textes, pour un résultat, j’espère, très différent... Dans tous les cas, il n’y a pas de recette ; à un certain moment, tu arrives à focaliser ton énergie, et les paroles viennent toutes seules. Pour moi, l’inspiration vient par périodes de quelques semaines, séparées parfois par des mois d’inactivité.

Tu confies le chant à des voies féminines. Lors de la phase de composition, imagines-tu déjà tes paroles chantées par d’autres ?

— L’idée de faire intervenir d’autres voix sur quelques titres est venue au stade de la production du disque, pas de sa composition (sauf sur "Tout est léger", chanté par Sandra Escamez, qui en a écrit les paroles juste avant l’enregistrement). En cohérence avec notre choix de réaliser un album électronique, nous avons "instrumentalisé" les voix en les remontant, en les filtrant, en les samplant et en les rejouant parfois. Comme pour les boîtes à rythmes, les guitares et les synthés, nous avons alors ressenti le besoin d’élargir la palette sonore des voix. "Penser tout haut" était par exemple initialement une ballade bluesy à la Spain, que nous avons finalement produite comme du Madonna, en traitant la voix de Sandra de façon à obtenir le résultat voulu : l’impression de flotter sur des nuages cotonneux. Cela n’aurait pas été possible si j’avais chanté le morceau...

On qualifie parfois ton chant de maniéré. Est-ce un effort d’interprétation afin que la voix colle pleinement au morceau ou cette remarque n’a-t-elle pour toi aucun sens ?

— Mon élocution doit être plus trainante que de coutume en France. J’aime beaucoup les voix de Gene Clark (Byrds), ou Chrissie Hynde (Pretenders), qui ont tendance à chanter "derrière", comme disent les musiciens, c’est à dire de façon traînante.

Pouvez-vous nous dire si vous écoutiez de la musique durant l’enregistrement et si oui, quels étaient vos cds de chevet ?

— Au moment de l’enregistrement, pour trouver de l’énergie quand j’en manquais, j’écoutais Aphex Twin, Can, Tangerine Dream, Robert Wyatt, Kraftwerk. Beaucoup de musique planante des années 70 en fait... Delphine est également fan de Pink Floyd.

La comparaison avec Manset vous gonfle pas un petit peu ? D’ailleurs un papier comme celui de Bayon dans libé ce n’est pas à double tranchant, ce n’est pas le risque de paraitre précieux ?

— Pour être honnête, au moment de l’enregistrement du disque, je ne connaissais Gérard Manset que de nom. Un journaliste nous ayant comparés à lui, je me suis plongé dans ses disques, une compilation d’abord, puis ses albums, et j’ai été impressionné par l’envergure des chansons, et aussi le personnage... un chanteur de variétés qui ne fait pas de concerts et ne montre pas son visage... Vu la qualité de son travail, être comparé à lui est plutôt flatteur....

La première fois que je vous ai entendu chez Lenoir j’ai cru au retour de Jad Wio ? ce qui est fou c’est que vous paraissait totalement renfermé et capable de grandiloquence ?

— C’est vrai, c’est un paradoxe... je suis plutôt timide au naturel, mais je ne pense pas que ça se ressente dans notre musique. C’est peut-être une façon de compenser....

En vous écoutent je ne peux m’empêcher de penser au cinéma, à la théâtralité des mots. Mais cela reste le grand écart on vous sent si loin et si prêt d’Eustache et Besson, de Marienbad et d’une BO pour un Jeunet ? C’est assumé ce grand écart ?

— Effectivement, les paroles de cet album décrivent souvent des impressions visuelles, des images mentales qui s’apparentent d’une certaine manière au cinéma. Ensuite, comme en musique, je suis très méfiant vis-à-vis de la distinction faite entre cinéma grand public et cinéma d’auteur ; je crois plutôt au cinéma de genre. Wes Craven est-il moins un auteur que Georges Franju ? Pas sûr...

Vous avez pensé déjà quoi en parlant de retour au zoo ?

— Comme titre d’un premier album, "Retour au zoo" est une blague puisque nous ne revenons de nulle part... C’est aussi notre façon de dire : "Hé, nous l’avons finalement terminé ce disque, maintenant nous n’allons pas nous arrêter là !". Dans la chanson, "Retour au zoo" signifie que la vie perd son sens quand tu abandonnes tes rêves. Gare aux compromis !

Le chant est assumé dans ses périodes d’emphase ?

— Oui, je pense que les meilleurs chanteurs sont aussi des acteurs (Brel, Dutronc, Bowie, Jagger...).

Le processus d’écriture est il long pour arriver à ces textes entre mélancolie et surréalisme ?

— Ce qui est long, c’est de se préparer à écrire un texte, pas de l’écrire. Tu peux passer des mois à musarder, juste observer ce qui t’entoure ou t’imprégner d’une certaine ambiance, pour finalement, au moment où l’inspiration arrive, écrire ce que tu voulais en quelques dizaines de minutes.

Le chant de fabien peut être surprenant, mais ce n’est pas la seule façon de s’adapter à ces chansons ?

— Je n’ai pas de réponse à cette question, n’ayant pas entendu d’enregistrement de nos morceaux par d’autres musiciens... Je pense tout de même que quand une chanson se tient, tu peux l’interpréter de plusieurs façons différentes sans qu’elle perde son intérêt.

Vous pouvez nous raconter l’histoire d’un morceau comme " j’ai vu des chevaux sous la mer " ?

— C’est la dernière chanson que nous ayons enregistrée pour l’album. C’est aussi une des seules qui a directement été créée dans sa forme finale, sans passer par des étapes intermédiaires comme ça a été le cas pour la plupart des autres titres. Delphine m’a raconté un matin le rêve qu’elle avait fait où, en nageant sous l’eau, elle observait des chevaux morts, de couleur bleue, et des chevaux rouges, vivants. De ce rêve à la chanson, il n’y a eu qu’un pas... Quand on écoute attentivement l’enregistrement, on peut remarquer qu’il y a plusieurs lignes de guitare électrique qui se mélangent, certaines jouées à l’envers, avec des réglages de delay différents, pour retranscrire l’impression d’être sous l’eau. Les cordes mellotron ont été ajoutées par Delphine. Différentes boîtes à rythmes, filtrées ou non, interviennent à des moments précis. La partie de basse est jouée par Stéphane sur un vieux synthé analogique. Pour la scène, nous avons réarrangé le titre de façon très différente, plus folk 70’s et plus directe, avec de la batterie

On ne peut qu’être fasciné par l’artwork de l’album ou du EP. C’était inévitable cet épure dans le dessin, cette ligne claire ?

— L’artwork est l’oeuvre de Jean-Michel Tixier, dont on avait remarqué le travail sur le premier Syd Matters. Dans notre logique d’artisanat, nous voulions que la pochette soit réalisée à la main par un illustrateur. Après écoute du disque, la première idée de Jean-Michel a été de proposer la vision d’un homme regardant à l’intérieur de son corps. Ce premier jet, retravaillé, a fini par aboutir à la pochette finale, psychédélique mais minimaliste. Notre volonté était d’obtenir un graphisme dépouillé, très zen, qui corresponde à ce que nous avions recherché musicalement... Chez moi, je n’accroche rien sur les murs, pour garder les murs blancs et éviter toute fatigue visuelle !

De qui vous sentez vous proche actuellement musicalement ?

— J’apprécie le travail de différents musiciens sans m’en sentir proche : Benabar, Thomas Fersen, Jacques Higelin (époque "Alertez les Bébés" et "No Man’s Land"), Daniel Darc, Bertrand Belin, Vic Chesnutt...

Le dernier mot reste à l’invité ?

— Merci de votre intérêt, soyez créatifs... et venez nous voir sur scène.