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Manuel Plaza s’est prêté au jeu du titre par titre à l’occasion de la sortie de l’album MIQUEL de son groupe MY FAVORITES HORSES.

Ce groupe, composé de musiciens chevronnés (ensemble depuis 2016), a trouvé sa place dans la production indie-rock actuelle grâce à un style à la production musicale recherchée et à des textes ciselés. L’auditeur attentif ressentira directement le plaisir et l’osmose artistique qui transpirent des morceaux. Manuel nous y parle de l’évolution du style musical d’un son folk à un son plus groovy, du choix d’un intrumental, du son d’un clavier Fender Rhodes et on aime. Vous serez parfois surpris ou amusés des influences très variées qui sont citées ; Blur, Roland Barthes, Lee Hazlewood, The Stranglers ou encore Here We Go Magic.

Alors maintenant, on se pose, avec une p’tite boisson (et je n’ai pas insinué de boire de l’alcool, il y a des tas de boissons sympas en soft, si si) et on lance les 10 titres de l’album accompagné des commentaires morceau par morceau ?

C’est parti !

01 - En somme

Je n’avais pas réalisé à quel point ce titre d’ouverture fait un peu office de pont avec le « MFH d’avant ». D’abord, parce que c’est le seul morceau dont il existait une démo assez ancienne, enregistrée par Alex, pas très éloignée du résultat final. Ensuite parce qu’on y entend brièvement son jeu caractéristique de guitare folk, qui était un peu une de nos marques de fabrique des débuts, et enfin parce que c’est un des titres les plus mélodiques du disque. J’aime beaucoup les arrangements de cordes, très frais et British, écrits par Olly (batterie) et Jean (guitare). Et le groove un peu « entravé ». Et la mélodie de synthé très 80’s d’Alex, sur le pont.

02 - La rivière en été

Un de mes préférés, et je pense qu’on est tous assez d’accord. Ce titre déroule une dynamique qui m’épate à chaque fois. C’est tendu, urgent, hypnotique et légèrement anxiogène, avec une suite d’accords de Fender Rhodes presque contre-intuitive qui me hérisse littéralement l’épine dorsale, comme dans ces cauchemars où vous vous sentez poursuivi, mais par quoi, au juste ? Le texte se conclut par ces mots : « assurer ses arrières », et il me semble que ça colle parfaitement à l’ambiance. Le long épilogue instrumental constitue un voyage assez fou, avec une guitare fantastique qui fait penser à des barbelés, et l’apaisement recherché avec un arrangement de cordes dont je dois bien m’avouer assez fier, si vous me permettez !

03 - Les confins

Là, on souffle un peu. Premier instrumental du disque, premier instrumental à apparaître sur un disque de MFH, même. Au début, j’ai gentiment bataillé avec les autres qui étaient sceptiques quant à la pertinence de laisser des titres sans voix. « Pas des vrais morceaux », qu’ils disaient ! Ici, Alex, compose et joue seul ces deux mélodies de piano un peu irréelles, spectrales, qui dialoguent de loin, l’une restant très ténue, à peine audible. « Les confins », c’est un peu polysémique, avec cette idée de frontière, de lointain, mais on peut penser évidemment à « confinement », à cette distance impensable qui s’est momentanément installée dans nos vies, pour un temps dont on n’avait aucune idée.

04 - Comme un hôtel II

Comme un droit de suite, aussi. « Comme un hôtel » est un titre qui figurait sur le précédent EP. Le texte reprend donc les choses là où on les avait laissées, dans une sorte de non-lieu indéfini, un enfer tiède, des limbes, plus ou moins, où le très familier vire tantôt au morne, tantôt au très inquiétant. Dans un des teasers annonçant l’album, je me suis permis un rapprochement (très perso) avec l’extrait d’un cours de Roland Barthes au Collège de France où il évoque La Montagne Magique de Thomas Mann. Ça vaut ce que ça vaut, hein… On est ici piégés dans un groove un peu lancinant, circulaire, sans éclat, né d’une impro cévenole qui lorgnait vaguement du côté de Here We Go Magic. Un autre de mes « fav’ tracks » !

05 - Brujo Là aussi, ça vient d’une impro dans un esprit un peu « Blur », une pure récré où les instruments avaient été échangés. Bon, pas moi, parce que je lâche difficilement la basse. Le synthé modulaire, je me méfie, c’est très addictif et ça rend foufou dès que vous tripotez les potards. Au mixage, comme il n’y avait pas de chant, j’ai proposé ce montage sonore réalisé à partir d’une curiosité piochée dans la formidable sonothèque UbuWeb : un DJ américain des années 50 qui a publié un 45 tours à l’usage de ses collègues, pour leur indiquer la bonne prononciation des titres de ballets et d’opéras européens. Le côté absurde que j’ai pu évoquer ici ou là tient essentiellement dans ce genre d’exercice assez nouveau pour le groupe. Genre : « Hey, on sait aussi déconner, les gars ! »

06 - Braves à bout

On a un peu déconné là-dessus, aussi. Ce n’est pas forcément évident au début, le texte n’est pas le genre de truc qui pourrait cartonner dans les banquets de mariage ou les fêtes de village, et ça démarre vaguement krautrock (un genre assez éloigné de la gaudriole, comme on sait), mais petit à petit se sont greffés des éléments perturbateurs, des riffs assez cliché, des claviers qui n’auraient pas détonné dans l’indicatif de Champs-Élysées, des chœurs résolument crétins (on se plaît à imaginer des skinheads en tutu) et des entrelacs de sax limite incongrus. On n’est pas très loin de la satire anti-viriliste, de l’assemblage inadéquat, mais à la fin, ça ne fonctionne pas trop mal, presque miraculeusement. C’est notre boisson énergisante, disons.

07 - Un temps comme celui-là

On se reprend. Là, c’est notre petite perle, notre (modeste) Summer Wine. Très beau texte et interprétation très juste, très sobre, très sensible par notre invitée Astrid, en duo avec Alex. On a été littéralement bluffés. « Oooooh… trop beau ! ». « Un temps comme celui-là », c’est extrêmement évocateur sans jamais trop en dire. Le mellotron qui ouvre et qui ferme, les arpèges magnifiques de Jean, la mélancolie pas trop ramenarde de la mélodie qui débouche sur la colère sourde du finale, pardon, mais j’adore. La basse un peu minimaliste et étouffée m’a fait penser rétrospectivement au JJ Burnel de Feline, que bien sûr, je ne prétends pas le moins du monde égaler, ni là, ni ailleurs, ni jamais…

08 - Sans rien faire

On jouait déjà ce titre avant les sessions cévenoles, sans rien (en) faire. On a poussé la logique légèrement jazzy en invitant Alexandre Augé au sax pour un résultat qui me séduit beaucoup, même si ça nous sort d’une forme d’orthodoxie rock indé. Pour l’anecdote, on a formé ensemble notre premier groupe au lycée, après quoi il est devenu l’arrangeur (et directeur artistique, je crois) de Regg’lyss… Bon, on est quand-même assez loin de « mets de l’huile », là, je trouve ! L’élégance qu’on évoque parfois au sujet de notre musique, il me semble l’apercevoir ici.

09 - Mas Miquel

Quand nous avons enregistré ces vignettes instrumentales, je pensais à la place très particulière que ce genre de titre occupe sur des albums que je chéris : Seventeen seconds de Cure, Spazio de Fabio Viscogliosi, certaines expérimentations des Beach Boys (même si ceux-là ont plutôt tendance à dégainer les harmonies vocales même sur des « instrumentaux » !). Par ailleurs, Louis, l’auteur des textes et moi sommes deux grands fans de Comelade. Ici, on en est très loin, mais pour moi, la musique instrumentale n’a rien d’un « bouche-trou ». Ce titre, c’est l’instantané d’une fin d’après-midi caniculaire au Mas Miquel (le lieu-dit où nous avons enregistré) qui conserve toute sa valeur et sa puissance évocatrice.

10 - À ceux qui bourdonnent tout autour

Un texte brillant, désinvolte et crâneur sur une compo née là encore d’une session d’impro, dans un registre très inhabituel pour nous. La première partie tire presque vers les Stones de Exile on Main Street, ce qui est loin d’être une référence évidente pour le groupe. Du coup, ça instaure une sorte de distance ludique dans le jeu-même, puisqu’on sait bien que l’orthodoxie blues rock ou boogie reste pour nous hors d’atteinte. Après, ça dérape avec un synthé modulaire très titubant, approximatif, incontrôlable, comme si des bébés Daft Punk trituraient leurs machines en louchant sur la notice, avant d’exulter en pseudo-grunge quasi-parodique. On s’est marrés comme des dingues en l’enregistrant et ça reste un gros kif de le jouer. Et puis, nouveau miracle, ça a une allure folle. Enfin, on l’espère. En tout cas, ça reflète assez fidèlement la notion de plaisir qui a été au centre de cet enregistrement, à tous les étages de sa conception, et aussi le désir qui a été le nôtre de nous aventurer sur des terres un peu vierges, pour le dire pompeusement.



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