Voici, sous vos yeux ébahis, la chronique la plus facile à écrire du monde. Si facile à écrire que je pourrais même m’abstenir de l’écrire, ou me contenter d’affirmer, sans pour autant écouter le douzième opus de Mono, que OATH déchire tout sur son passage, et ce pour deux raisons toutes bêtes : le lyrique et acéré, d’une beauté confondante, Hymn To The Immortal Wind (2009), est sans nul doute l’un des meilleurs albums de post-rock de l’histoire du post-rock, et leur prestation à Cergy lors du défunt et bariolé Furia Sound Festival (bariolé parce que dans la même journée vous pouviez entendre The National saccager leur répertoire naissant – en live, ils sont nuls, c’est comme ça – et subir les rots de la distinguée Mademoiselle K), malgré un passage en fin d’après-midi sous une petite tente mal sonorisée, figure dans la short list de mes concerts préférés de tous les temps, oreilles qui saignent à l’appui, même si un peu plus tôt The Dillinger Escape Plan avait placé la barre très très haut. En outre, sachant que OATH est produit par le regretté Steve Albini – présent deux décennies durant au chevet du groupe tokyoïte –, l’on ne peut qu’attendre monts (Fuji) et merveilles des onze compositions de Takaakira Goto et ses comparses.
Avec grâce, le nouvel album de Mono s’ouvre sur le stellaire Us, Then, ambient minimaliste et néanmoins poignant qui pourrait illustrer le mésestimé Sunshine de Danny Boyle (bon sang, j’adore ce film !!!), dont la trame mélodique se prolonge sur Oath, lente montée de cordes, de nappes et de cuivres appuyée par un beat au flow relâché, étonnamment groovy, avant l’irruption des guitares électriques et des roulements rageurs chers au quatuor japonais, toute fièvre déclinante en un Then, Us en forme de decrescendo.
Ces trois titres, imbriqués les uns dans les autres, servent tout à la fois d’introduction et de vade-mecum : Mono interroge le temps, le temps qui passe bizarrement (la crise sanitaire), le temps qui passe mal (la perte des êtres chers), le temps qu’il nous reste (queue dalle), et quoi en faire (rien). Existentialisme et distorsion font bon ménage.
Et ce rapport au temps dilué, le temps tonnant ou questionnant, le temps qui brûle, qui brûle les amarres que l’on croyait à tort solides, au vu des 70 minutes de OATH, Mono se l’approprie pleinement : avec Run On, le groupe entre dans le vif du sujet – lenteur plombante, harmonies hypnotiques survolant la noirceur, rythmique martiale, western industriel, un chouia monotone. Plus loin, noyé de réverbération, Reflection s’appuie sur des arpèges de piano basiques pour offrir aux guitares délayées un espace de jeu peut-être un peu trop sage, tandis que Hear the Wind Sing avec économie dévoile ses charmes : certaines parties guitaristiques rappellent The Cure psychédélique mid-80s, des glissements harmoniques évoquent Arcade Fire (Am / G / F – banal). Certes, la puissance sonique de l’ensemble lie le tout (pour citer mon ami David S., on parlera de « capacité sonore »), mais curieuse sensation de monolithisme, là où justement Mono savait auparavant délivrer des mélodies fabuleuses, magnifiée par les contrepoints, le travail sur la tierce, la quinte, les climax et les atténuations.
Jusqu’à présent, l’on besogne la météorologie post-rock de base, tandis qu’en coulisses patientent astres et ciels orageux au bord de l’explosion.
N’oublions pas qu’une des clefs du post-rock, c’est la possibilité du silence. Et là, Hourglass se pointe – cordes, claviers, rien d’autre – et remporte la mise, préparant le terrain à un Moonlight Drawing, où enfin l’on retrouve l’ivresse des fameuses Friday Night Lights (lecteur avisé d’ADA, je t’épargne la fastidieuse et néanmoins pertinente référence). S’ensuivront des titres de facture classique, pas forcément enthousiasmants, mais valeureux : Holy Winter et son piano répétitif à la Mogwai, le final très Nier Automata de We All Shine On, l’ébouillanté Time Goes By, irréprochable.
OATH est un bon album, mais un bon album de post-rock. Le truc, avec le post-rock, genre hautement balisé, si hautement balisé qu’il a fait le tour de lui-même en quelques disques (comme le trip-hop), c’est que même un album moyen de post-rock reste un bon album. Ce qui fait que dans un tel registre, puisque tout est à peu près bon, les albums exceptionnels sont rares : OATH n’en fait pas partie mais ne boudons pas le plaisir de retrouver Mono, ne serait-ce que pour se dépoussiérer les oreilles.