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  • 2 décembre 2016 /
    Elton John
    au Zénith de Cournon d’Auvergne - 29 novembre 2016

    réalisée par Witold Bolik

Hier on est allés voir Elton John au Zénith. Ca fait une bonne quinzaine d’années que je vis à Clermont et c’était mon premier concert au Zénith. Un cadeau de mes beaux-parents que je tiens à remercier ici.

Elton John est une vedette internationale de variétés pas complètement pourraves (pour que Margo Guryan souligne son talent d’écriture, ça ne peut pas être pourrave). Avec Bernie Taupin ils ont écrit quelques standubes (parfois appelés "tubdards" ou "tubes d’art") comme "I’m still standing" ou "I guess that’s why they called it the blues" ou encore "Sorry seems to be the hardest word". Pour ceux qui ne connaissent pas encore le concept (que certes, je viens d’inventer), le standube est un tube qu’on a d’abord écouté mille fois dans différents contextes sociaux, d’abord dans l’enfance, avec une simple et vraie joie, puis assez vite avec ce mélange de tendresse nostalgique et de condescendance antalgique dont le temps nous presse de nous armer. C’est là la définition du tube, mais la couche supplémentaire qui transforme le tube en standube ou tubdard est ce qui "nous" pousse à écouter "I’m still standing" saoul (ou pas, hein) à quatre heures du matin, dans le contexte le plus asocial qui soit, aka : seul, par envie, par un mystérieux besoin que n’importe quelle justification gâcherait, par plaisir. C’est toujours un tube mais ça devient alors presque un standard. Laissez passer un ptit siècle et c’en sont (des standards, pas Véronique).

Ils ont aussi écrit des daubes, des chansons ratées, moches, mal foutues et même pas drôles, dont "Candle in the wind", l’oraison funèbre ikéa, modulable, qui clôt sur une note larmoyanto-tarte ce concert (au moins, merci Elton de nous en avoir épargné la présentation), représente à mon sens un des fleurons. Ils ont aussi écrit un paquet de chansons que je ne connaissais pas, dont "The bitch is back", réjouissant règlement de comptes avec un journaliste homophobe qui nous donne l’occasion de chanter en choeur le mot "Bitch" venant clignoter à point sur un écran géant qui fait office du prompteur d’un karaoké à 5000 (si j’en crois la Montagne), moment d’une exquise délicatesse s’il en est. Bitch ! Bitch ! The bitch is back !

Ce qui m’a fait plaisir dans ce concert, c’est que là où je m’attendais à voir un show à l’américaine, millimétré, j’ai vu un club de vieux potes qui prenaient du plaisir à jouer ensemble. Le fait même qu’ils ne soient pas fichus de chanter le même chœur ensemble sur "Sorry seems to be the hardest word", ou qu’Elton massacre le fantastique solo de guitare d’"I’m still standing" en tapant approximativement sur son piano à cet instant, les impros du genre "mais où veut-il en venir", le Steinway qui m’a semblé sonner comme un synthé cheapos qui saturait pendant une bonne moitié du concert, toutes ces imperfections, toute cette liberté et cette fragilité à ce (concert de) stade c’est agréable.

Là où c’était millimétré et pas très joli, c’était la disposition de la salle selon le prix (exorbitant, de 70 à 300 !) de la place, la chauffeuse de salle, genre de Sisyphe au sourire forcé en guise de pierre à trimballer, les groupies qui tapaient des mains sur le temps fort, ce qui gâche tout, mais bon (une bonne fois pour toutes, camarades de la rangée de devant : quand ça fait poum-tchak faut taper sur le tchak, sinon c’est laid). J’en connais qu’on confine à l’underground le plus pointu, à l’indie le plus érudit, à toutes ces conneries sans plus écouter la musique, en ne cherchant qu’à juger les gens ; j’en connais qui s’en soucient au point de se pourrir la vie à chercher à plaire, et à ne plus faire au fond que ça ; on emploie souvent l’expression "sombrer dans le mauvais goût" mais on peut atteindre, sinon le sublime, au moins le tubdard en assumant parfaitement sa voie et en s’en tenant à quelque chose d’essentiel qui marche aussi bien pour les auditeurs que les musiciens, prendre du plaisir à partager des chansons : moi, en écoutant Elton John en concert, je me suis dit qu’au moins, lui ne sombrerait jamais dans le bon goût, et oui, j’aimerais en prendre de la graine.

Respect Tonton, et à plus bitches !



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