Interview réalisée via mail en fevrier 2003
Sans faire contrôle de police peux tu te présenter ?
— Je suis un peu comme Valentin le désossé, celui qu’on voit sur quelques tableaux de Toulouse Lautrec, un peu sec, un peu cassant. On pourrait dire tordu, avec des jambes de lucky luke et les dents de devant en avant. Pourtant je ne suis pas un monstre, je suis preneur de sons de formation et musicien autodidacte. Je joue des tourniquets, de la kalimba, des percus en polystyrène, de la scie musicale, de la guitare, du toy piano, du casse noisette, du tambourin, du siège qui grince et j’en passe.
D’où t’es venue cette idée de sculpteur sonore, et par la même occasion peux tu nous présenter Maron Bouillie ?
— J’ai une formation de preneur de sons comme je l’ai dit, j’ai été amené à écouter les sons de plus près, à y faire plus attention. Quand j’ai rencontré Maron Bouillie, issue d’une formation d’arts appliqués, école Boulle et Duperré, elle détournait les objets pour le plaisir d’y voir autre chose. J’ai agi dans le même sens, pour le plaisir de créer un univers différent, je suis un rêveur. Je voulais jouer sur de nouveaux instruments, je me suis donc mis à chercher, à poser mes micros partout, fabriquant de l’incongru, de l’immatériel, du surréaliste me proclamant chef d’orchestre d’un monde plein de bruits. C’est donc à la manière d’un plasticien, que j’ai commencé ce grand jeu de construction.
De quelles tendances de la musique actuelle es tu proche ?
— Je dois dire que je me suis beaucoup éloigné des tendances de musiques dites actuelles, je me sens beaucoup plus influencé par la radio, par le théâtre d’objets, le théâtre d’ombres, de rue, le nouveau cirque, le jonglage, par les arts en général. Bien sur il y a dans ma discothèque quelques disques incontournables mais c’est un beau mélange de jazz, de rock progressif ou pas, de musique électro-acoustique et de chanson française. En ce moment je me sens plutôt proche de la Tordue pourtant il n’y a pas de parole dans mon univers sonore.
Si on te retrouve dans le rayon enfant d’un disquaire, cela te gonfle ou l’optique est malgré tout là, toucher l’enfant, mais aussi celui qui est en nous les " grands " ?
— Il y a des milliers de choses intéressantes dans les rayons enfants, comme ces livres destinés avant tout aux parents, pourquoi pas mon disque. Ce qui me gènerait plus c’est d’y figurer parmi une mauvaise sélection, mais pour l’instant c’est encore nous qui plaçons les disques.
Ta démarche n’est pas sur le long terme une démarche castratrice, ou pour toi le chemin est encore tellement long que l’horizon est vaste ?
— Le CD est sorti le 7 novembre dernier, pourtant cette démarche je l’ai commencé en 1998, vous découvrez ce que j’entreprends depuis près de cinq ans, autant dire que j’ai pris de l’avance... Ma musique évolue, je change comme le monde change, elle continue à s’ouvrir sur d’autres horizons, d’où cette attirance pour la création d’émissions radiophoniques, voir plus large que l’écran de cinéma comme dirait Orson Wells.
Tu comprends si je te parle de Tiersen ou de Comelade et des connexions possibles entre vos approches ?
— C’est difficile d’être comparé à Tiersen et à Comelade, je les trouve plutôt triste et ma musique est joyeuse. Ce n’est pas parce qu’on entend un peu de toy piano chez l’un comme chez l’autre qu’il faut nous mettre dans le même sac. Je préfère Pierre Bastien que je connais assez peu mais qui en parle ?
Si tu devais donner envie d’écouter ton disque tu partirais de quoi ?
— De la pochette ! J’ouvrirais délicatement la boite et je dirais cette râpe à patate imprimée sur le CD fait du bruit quand vous l’insérez dans votre platine disque, qu’elle rouille quand on y met ses doigts mouillés. En soulevant le disque je hurlerais : “attention Gribouillis, Gribouillis !” et je balancerais un bon coup de Yup sur le volume de l’ampli. Je dirais vous savez ici, ce sont des sons de vers de terre que vous entendez, et là un son de pince à crouic et je m’arrêterais seulement quand j’aurais fini de faire le tour de la maison de Coupru où j’enregistre tous ces bruits.
D’où est partie l’idée de " mets tes gants sur ta tête " ?
— D’une crise d’euphorie encore une fois. Presque tous les jours à la même heure j’ai besoin de rire, dans mets tes gants sur ta tête je riais tout seul alors j’ai pris le micro et puis je me suis mis à dijoncter. “Allez mets tes gants sur ta tête et puis les chaussettes, pirouette, c’est la fête ! Allez, allez, roulez jeunesse...” S’imaginer devant la glace avec des gants sur la tête imitant une poule, c’est un peu ça aussi. C’est une pièce d’exception, un peu comme la troisième émission du carnaval des parasites que nous avions produit pour France Culture avec Marie Breton, nous enregistrions des voix de petites bêtes au dictaphone, nous n’arrivions plus à nous arrêter de rire, nous avons gardé la séquence pour le plus grand plaisir des auditeurs. Je crois que ma musique a besoin de rire pour s’envoler. “je sautille, je rebondis, je m’agrippe, je remonte dans le sens du poil...”
Tu n’as pas peur d’être vite catalogué de fou par ceux ne relevant pas la poésie de ta démarche et de ton disque ?
— Catalogué fou, faire des catalogues de fous, créer des grandes manifestations de fous pour les fous ça me plait bien, les autres à vrai dire sont certainement plus fous que moi, il faut savoir que je m’en fous. Un rayon Fous chez les disquaires serait le bienvenu, on pourrait mettre Zappa, Marcoeur, Gong, Magma, les VRP... Il faut savoir que j’ai choisi mes premiers Roland kirk parce qu’il avait troix saxophones dans la bouche, je ne pense pas être le seul à avoir fait cette découverte en voyant la pochette. ç’aurait été plus facile tout de même s’il y avait eu un catalogue.
On peut te souhaiter quoi dans les mois à venir ?
— De tenir le coup, de ne pas me démobiliser pour pouvoir continuer avec Glen Ropars, du label depuis la chambre, à faire vivre ce CD, à faire découvrir cette musique. Il y a aussi ce concert au divan du monde le mercredi 28 mai prochain, coup de coeur du directeur Bernard Fargeau, j’espère que vous serez nombreux, il y a 500 places.
Avant de partir, tu n’y échapperas pas, tu écoutes quoi en ce moment, et qui places tu en haute de tes références musicales
— Albert Marcoeur, je ne vois que ça. Albert Marcoeur et Albulm à Colorier en têtes de l’affiche, c’est qu’il est bien allumé lui aussi. Thelonius Monk, celui qui s’arrête de jouer et qui se met à tourner en rond sur lui même, c’est mon pianiste préféré. Pierre Schaeffer, toute son oeuvre musicale, la coquille à planète... Notre papa à tous. Inland Stimmhorn – Deux suisses à vous couper le souffle, encore des fous. La Tordue avec le vent t’invite – N’ont-ils pas fait un album qui s’appelle t’es fou ?