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Interview réalisée entre octobre et novembre 2005.

Qui a eu l’idée le premier de monter un label et qu’est-ce que cela signifiait pour vous ?

— Gerald : C’est moi qui ait eu l’idée de créer le label. Lors de mes études supérieures à l’INSA de Toulouse,j’ai commencé à m’impliquer dans le milieu musical, avec notamment l’organisation des dernières édition du festival les 24H de l’INSA (en 1998 et 1999). C’est aussi à l’INSA que j’ai rencontré Gilles, en 1ère année. On avait une passion commune pour le même style de musique, ça nous a rapprochés, et on est devenu amis. Ensuite, lorsque je suis rentré dans la vie active, le contact avec le milieu musical me manquait terriblement. Or au même moment, Gilles finissait son premier album solo dont j’adorais la musique. Je lui ai donc proposé de monter notre propre structure et de sortir son 1er album. La signification que ce projet avait pour nous se retrouve dans notre manifeste de départ : répondre radicalement à une uniformisation insidieuse des créations et promouvoir une musique singulière, loin de tout art-marchandise, et qui a également su conserver un caractère intime et complexe.

Est-ce que la frustration a créé cette envie ?

— Gerald : Pour moi la frustration comme je l’ai dit ci-dessus venait du fait de ne plus être impliqué dans des projets musicaux. J’avais envie de faire partie d’un processus de création musicale, car mon travail d’ingénieur ne m’en donne pas l’occasion. Je pense qu’il y avait aussi en nous un sentiment de frustration de voir qu’aucune structure à l’époque n’aurait voulu sortir le Lunt et ne défendait pas la musique que nous voulions promouvoir. Alors c’est sans doute aussi une des raisons pour laquelle on s’est lancé dans cette aventure.

Connaissiez-vous, au moment de la création " officielle " du label, d’autres responsables de structures similaires ? Si oui, ces contacts vous ont-ils aidés ?

— Gerald : Non, on est vraiment parti de rien, et les contacts sont venus petit à petit. Il y a bien sûr des gens qui nous ont donnés des conseils et des coups de pouce au départ. Je pense notamment à Jérôme de Shambala Records (paris) qui a malheureusement arrêté depuis. Mais aussi la team Arnaud et Denis de Monopsone que nous avons rencontré lors de notre première route du rock en tant que label en 2002. Sans oublier notre ami Francis de Dora Dorovitch (et d’experience ) dont l’aide a été vraiment déterminante. Généralement tu fais d’abord tes preuves dans ton coin, en autoproduction, autodistribution… puis ce travail te permet de rencontrer du monde.

A partir de quel moment avez-vous eu l’impression d’avoir créé un label ?

— Gerald : pour moi lorsque nous avons eu en main notre première production pressée, le Lunt. On s’était planté sur les films d’impressions, les couleurs rendaient pas comme on le voulait mais on était vraiment fiers ! On avait produit notre 1er disque, et ça, ça s’oublie pas. Mais depuis toutes ces années, lorsque je regarde notre catalogue qui s’est étoffé, tout le travail accompli, cela me fait prendre conscience que l’on a vraiment crée un label, un collectif d’artistes dont je suis très fier.

A-t-il été difficile de trouver une maison de distribution ?

— Gerald : oui c’est toujours difficile de trouver un distributeur, et surtout un bon et sérieux, qui ne va pas déposer le bilan dans les mois qui suivent…Lorsque nous avons commencé à avoir un début de catalogue, c’est-à-dire nos 3 premiers disques (Lunt, Virga et A Place For Parks), nous avons démarché tous les distributeurs français. Nous avons eu de la chance, le commercial du sud pour La Baleine nous a vraiment défendu auprès de ses dirigeants, et au final La Baleine nous a signé. Cela nous a vraiment permis de passer un palier, tant en terme de reconnaissance, de moyens et de diffusion. C’est un distributeur sérieux qui fait vraiment du bon boulot, malgré les difficultés qu’il y a actuellement dans le milieu musical.

Vous partagez-vous les rôles clairement ?

— Gerald : au départ, non, on faisait tous les 2 un peu de tout. Maintenant, vu l’ampleur qu’a pris la structure, on y est obligé. Petit à petit, Gilles a progressé dans sa maîtrise de la production sonore, et désormais il ne s’occupe plus que de ça principalement. Il ne faut pas oublier qu’il a aussi monté la sous division Hitomi Recordings qui lui prend pas mal de temps. Moi je m’occupe principalement de la gestion administrative de l’association (ça me prend un temps fou la paperasse), la gestion des sorties (édition, promotion) et aussi depuis 2 ans du FAM. On essaye d’intégrer d’autres personnes dans la gestion du label car à 2 c’est devenu insuffisant. Désormais Thom (trombone pour Angil, moitié de eUd avec Gilles) va nous aider pour bosser les sorties de disques. Angil et son Circus Band Flavien s’occupent de la distribution et promotion à l’étranger du label. Il nous faudrait 2 ou 3 personnes en plus pour d’autres projets que l’on aimerait bien développer…

Envisagez-vous de vous transformer en société ?

— Gerald : non parce que ce n’est vraiment pas viable. Aujourd’hui on a du mal à vendre 1000 copies d’un disque, et en plus on a baissé notre marge au plus bas pour que le disque ne soit pas trop cher en magasin. Donc on fait très peu de bénéfices, qui suffisent à peine pour produire les nouvelles sorties du label. Alors tu imagines si on devait avoir des charges salariales ??? cela serait la banqueroute direct !

La structure et sa gestion vous a-t-elle déjà apportée de vraies déceptions ?

— Gerald : oui des déceptions on en a forcément. Je suis déçu de l’accueil qu’on reçu certains disques. Baka, Baxendall méritaient vraiment plus d’exposition et de succès. Mais bon c’est comme ça, certains disques marchent et d’autres pas trop. Les autres déceptions concernent des absences de distribution dans certains pays (comme l’Espagne par exemple) alors qu’il y a public pour notre musique là bas. Mais ma plus grande déception reste toujours et encore le fait que très peu de programmateurs de salle de concert ne veuillent faire jouer nos artistes, et que peu de radios (à part les réseaux Férarock et Iastar) ne veulent diffuser nos artistes (notamment Lenoir sur France Inter qui pour l’anecdote, nous a dit ne pas aimer la voix d’Angil !?!)

Quels ont été les 3 plus grands joies, les trois choses les plus positives de l’histoire du label ?

— Gerald : des joies il y en a tellement eu qu’il est difficile d’en choisir trois ! Mais bon je dirais le premier pressage du Lunt, notre signature chez La baleine, et le succès récent du disque d’Angil, même si je n’oublie pas le succès des précédentes sorties qui ont balisé le terrain pour en arriver là !

Vous êtes à l’origine du FAM. Pouvez-vous expliquer la naissance de cette rencontre, les objectifs, les résultats des deux premières éditions, etc…

— Gerald : L’objectif principal du FAM reste de donner un lieu d’expression aux initiatives musicales indépendantes et alternatives, afin de présenter et faire découvrir leurs travaux par le biais de stands et de performances scéniques. Cette scène a beau être très active, elle est malheureusement encore trop peu mise en avant et a un besoin vital de se faire plus connaître. De plus la pénurie actuelle des lieux de diffusions et de concerts engendre de nombreuses difficultés pour ses artistes qui peuvent très rarement se produire en live. Le FAM permet de fédérer les labels et autres structures dans un véritable réseau d’entraide et de collaboration, mais il permet en plus de faire la promotion de leurs travaux sur Toulouse et d’offrir une belle scène pour leurs artistes. Cette deuxième édition qui s’est déroulée sur plusieurs jours (du 14 au 18 septembre) et dans plusieurs lieux (la Chapelle, les Musicophages et Samba Résille) avec au total plus d’une cinquantaine de structures participantes venant de toute la France, des expositions de photos et dessins, et plus d’une quinzaine de concerts au total, a rencontré un franc succès puisque chaque journée a attiré un public très nombreux. Il y a eu de réels échanges constructifs et les concerts dans la Chapelle ont tous été sublimes. Nous souhaiterions faire du FAM un événement régulier à Toulouse mais également disséminer son concept dans d’autres villes en France et en Europe. C’est ce à quoi nous allons travailler dans les mois à venir. Pour l’anecdote, comment m’est venue l’idée du FAM ? Lors d’une route du rock où l’on tient chaque année un stand. Je me disais que les gens venaient là pour les concerts et non pour le village fanzine/labels. Parfois même des festivaliers ne s’apercevaient pas qu’il y avait des stands de labels sur le site du festival. Cela m’a énervé et je me suis dit qu’il fallait mettre en place une sorte de festival de labels où l’on mettrait d’abord les structures en avant, et non les concerts.

Le live a-t-il beaucoup d’importance pour Unique (référence au fait qu’assez peu des artistes d’Unique organisent de " vraies " tournées …). Est-ce une des choses à développer, est-il difficile de trouver un tourneur dans votre cas (rapport au type de musique…)

— Gerald : Je tiens à préciser : ce ne sont pas nos artistes qui ne veulent pas tourner, bien au contraire, ils sont tous disponibles et super motivés. Mais c’est plutôt les programmateurs des salles en France qui n’ont pas de couilles et qui ne veulent pas programmer des artistes émergeants comme les nôtres. Pourtant les cachets que demandent nos artistes sont ridicules, nos exigences sont simples. Mais la réalité fait qu’il est plus rentable de faire un énième artiste anglo-saxon en plein buzz plutôt que d’essayer d’aider les jeunes pousses de ce pays. Ces personnes qui dirigent les salles de concert en France sont directement responsables des galères que tous nos artistes et ceux de nos autres labels amis rencontrent pour se faire connaître d’un plus grand nombre. Ce n’est pas un problème de tourneur car nous en avons plusieurs qui bossent pour nous (l’enfant& la pluie pour Angil, L’entreprise pour Electrophönvintage et Half Asleep), ni un problème de musique soit disant difficile d’accès : tu trouves vraiment que Angil, ou Electrophönvintage jouent une musique inaccessible ?

Comment s’est passé la transaction avec le label anglais Megaphone qui s’occupe d’Angil au Royaume-Uni ? Avez-vous du recul pour en parler déjà ?

— Gerald : Il ne faut pas parler de transaction. On a pas vendu Angil à Megaphone comme on vend un produit. Il se trouve que Stephane qui gère Megaphone vit à Paris et est abonné aux Inrocks. Il a flashé sur le morceau " no more guitars " qui était sur la compil Made In France du magazine l’an dernier. Il a acheté le disque et a adoré. Il nous a alors proposé de sortir le disque via sa structure au Royaume Uni et on a accepté. Il n’y a pas d’histoire de gros sous derrière, on a plutôt collaboré pour faire en sorte que la sortie soit la plus réussie que possible (par exemple nous avons coproduit avec Megaphone le single " beginning of the fall " extrait de l’album, parce que le marché anglais nécessite souvent des singles pour lancer un disque). Malheureusement le disque n’a pas réussi à accrocher des chroniques dans des gros magazines anglais (mojo, uncut, wire, nme…) malgré des attachés de presse engagés par Megaphone…idem pour les passages radios…Le disque a reçu quand même beaucoup de presse positive mais ces gros magazines font vraiment la pluie et le beau temps là bas. Donc le disque se vend mal. De plus, Megaphone n’a pas été capable de trouver un tourneur pour faire jouer Angil là-bas alors qu’il était pleinement disponible. Donc sans concert, c’est quasiment mission impossible de se faire connaître et de vendre des disques dans ce pays, où l’offre (de nouveau groupes, de concerts…) est tellement importante ! Et puis une dernière chose : les anglais sont un peu chauvins. Il n’y a pas beaucoup d’artistes français qui émergent là-bas (à part l’épisode french-touch)…ils ne doivent pas apprécier -comme ce fut sans doute le cas avec Angil- de recevoir des albums de pop fait par des français bien meilleurs que les leurs ;-)

On peut noter une certaine ouverture aux musiques moins "sombres" avec Angil et Electrophonvintage… est-ce une volonté, un hasard ?

— Gerald : Tu trouves que notre catalogue est si sombre que ça ? On fait pas du gothique ni de la cold wave quand même ! Sombre n’est pas le mot approprié, je dirais plutôt mélancolique. Alors trouves tu qu’il n’y a pas de mélancolie dans la musique d’Angil et d’Electrophönvintage ? Il est vrai par exemple que " we sang a yéyé song " est moins triste que " the bright period " (et pourtant ils sont du même auteur !) mais quand même, il y a toujours cette mélancolie tenace qui connecte toutes nos sorties entre elles. Sur nos dernières sorties, nous avons eu surtout la volonté de s’ouvrir à des musique plus pop, pour ne pas se laisser enfermer dans un carcan musical particulier, que ce soit post-rock ou electronica. Unique records n’est pas un label de post-rock ou d’electronica, de folk ou de pop. C’est tout ça à la fois. C’est un label qui refuse les étiquettes musicales, et qui tentera toujours de diversifier au possible son catalogue, tout en essayant bien sûr de garder une certaine cohérence sonore et esthétique. En fait c’est un label qui nous ressemble à moi et Gilles : on écoute vraiment de tout comme musique et on déteste le surplace.

Le " succès " et la réputation grandissante du label vous font-ils peur dans une certaine mesure ? Etant donné que vous travaillez tous deux en dehors de la gestion du label, envisageriez-vous d’arrêter votre travail un jour pour ne vous consacrer qu’à Unique ?

— Gerald : Je ne trouve pas que le succès de Unique est en folle expansion. Il est relatif. On a sûrement un succès d’estime, mais la réalité, c’est qu’on ne vend pas beaucoup de disques. Notre meilleur succès Angil ne dépasse même pas les 2000 copies. Et puis peu de gens encore connaissent réellement notre structure. Donc rassures toi, aucune peur de notre coté, et on est pas près d’arrêter nos boulots pour le label…cela serait suicidaire. Il faut arrêter de fantasmer : actuellement avec la musique qu’on fait (je dirais de manière générale avec l’indie music), il ne faut surtout pas espérer en vivre. Il vaut mieux faire ça par plaisir, par philanthropie pour ne pas tomber de trop haut.

Avez-vous un calendrier prédéfini de vos activités à venir dans les deux/trois ans à venir ?

— Gerald : euh dans les 2/3 ans je n’en sais rien…Tout ce que nous savons, c’est que nous avons de côté une montagne de disques prêts ou quasi prêts, et bien plus malheureusement que nous pouvons en sortir…Désormais nous avons un catalogue de 10 artistes et tous finissent leurs nouveaux albums, donc on va avoir du boulot...Le nouveau Lunt, le nouveau Melatonine, le nouveau Angil, le nouveau Virga, le nouveau Electrophönvintage…plus d’autres nouveaux projets. Unique Records va avoir 5 ans déjà en juin prochain et je tiens à marquer le coup avec un projet de compilation d’inédits. Combien de labels arrivent en France à s’inscrire dans la durée ?

Quels sont les trois labels français que vous respectez le plus et pourquoi ? (NDLR : Dora>>compilation, etc… ?)

— Gerald : Il y a tellement de labels en France que je respecte ! En gros tu prends tout ceux qui étaient au FAM cette année !!! Mais je dirais que les 4 labels dont on se sent les plus proches sont : Another Record parce que on a commencé ensemble et que Dana c’est un modèle pour nous ; Travelling Music parce que ce sont comme des frères de sang toulousain ; Dora Dorovitch parce que nous partageons avec eux la même envie d’avancer et bien plus encore ; et enfin Monopsone parce que Denis et Arnaud sont adorables et que sans eux une route du rock ne serait pas une route du rock :) Inutile de préciser qu’avec ces 4 structures là nous partageons bien sur les mêmes envies musicales. Nos catalogues respectifs sont différents mais il y a tellement de connexions !

Même question pour les trois labels étrangers qui vous auraient inspirés le plus.

— Gerald : il y a moins de labels étrangers qui m’inspirent, comparé à tous les labels français qui étaient présents au FAM. Mais il y en a que je respecte énormément : Dischord, Anticon, Ninja Tune, Stone Throw. J’aime bien aussi Subpop, Matador, Warp, Thrill Jockey, Domino, Def Jux mais bon ça dépend des sorties.

Half Asleep est la première artiste féminine du label. Un zest de tendresse dans ce monde de brut ?

— Gerald : ENFIN !!! oui on est très content enfin d’avoir un peu de féminité dans notre catalogue. C’est pas qu’on voulait pas mais nous n’avions pas encore trouvé de fille dont la musique nous touchait. Lorsque j’ai entendu les premiers morceaux de " (we are now) seated in profile " que Gilles était en train de produire, je lui ai directement dit que nous devions absolument sortir ce disque. Ce fut un choc, et c’est toujours un choc à chaque écoute. Nous avons eu de la chance car au départ ce n’était pas nous qui devions sortir ce disque, Gilles ne faisait que le produire, mais les circonstances ont fait qu’au final c’est nous qui le sortons. Et j’en suis très fier. On a peut-être qu’une seule artiste féminine sur Unique, mais nous avons la plus douée !!! .



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