> Interviews


  • 15 février 2024 /
    Dear Pola
    L’Interview

    réalisée par FLK

En fin d’année 2023, nous avons eu la surprise d’apprendre le retour de Dear Pola avec 5 nouveaux titres superbes. L’occasion était trop belle pour ne pas prendre des nouvelles de Mary sur la vie, ce EP Ma part du ciel, et sur la suite qu’elle souhaite donner à ce beau retour en musique.

ADA : Que s’est-il passé durant ces 9 ans depuis la sortie de Kaamos ? Il y a eu cet album qui devait sortir chez We Are Unique !…

Dear Pola : C’est vrai que cet album était attendu, on avait lancé une campagne, y avait We Are Unique ! derrière, et il y a eu beaucoup de choses qui m’ont rattrapées d’un point de vue personnel, ça a été une des périodes, au moment où on essayait de trouver pour enregistrer, où il y a eu beaucoup de personnes qui sont parties dans ma famille, des personnes décédées à des intervalles assez proches. Il y a eu la naissance de ma fille, il y a eu beaucoup d’événements qui m’ont fragilisée, tout simplement, et je n’arrivais pas du tout à sortir la tête de l’eau. Et en fait ça s’est amplifié au fil des années et je n’arrivais plus du tout à me dire que je pouvais enregistrer, que je pouvais faire vivre ces chansons, c’était au-dessus de mes forces, je n’y arrivais plus. Et puis au fur et à mesure, c’était un cercle vicieux, parce qu’on me sollicitait tout le temps : "Quand est-ce que c’est, quand est-ce que c’est ?" Et j’en ai eu marre, vraiment. Il y a eu un peu trop de pression, j’ai eu des difficultés à vivre toutes ces choses-là.

ADA : Oui, parce qu’à un moment, tu as eu de la visibilité avec les tremplins "Les Inrocks Lab" et "Partons en Live #LaRelève" sur France Inter, il y avait donc une attente.

Dear Pola : Oui, les mois défilaient, les gens étaient de plus en plus déçus et j’étais tellement déçue de moi-même. Encore une fois, c’était ce cercle vicieux qui s’est mis en place et je n’y arrivais pas. Et pourtant il y a eu des essais d’enregistrements, des choses comme ça, mais ça me convenait pas.

ADA : Comment s’est passé l’enregistrement de "Ma part du ciel" ?

Dear Pola : Ça a été un processus long et pas long à la fois dans la démarche, parce que ça me trottait quand même dans la tête, cette envie de revenir, ça a toujours été présent, l’envie de continuer à écrire, de faire de la musique, mais je ne savais pas comment revenir. Et puis j’avais toutes ces chansons, j’écrivais beaucoup. C’est un peu comme quand tu te réveilles un matin, tu décides : là, aujourd’hui je ne fais plus telle chose, aujourd’hui je ne consomme plus d’alcool, c’est un déclic en disant : ça va, t’es bien, tout va bien, il n’y a aucune chose qui va t’entraver, tu peux y aller. C’est vraiment ça, il y a eu une sorte de déclic, en me disant que je ne risquais rien. Et ça a mûri comme ça, j’ai tout fait à la maison, toute seule, dans mon petit home-studio dans ma chambre. Ça a duré un an pour finaliser les titres, finaliser l’écriture aussi. Et après, osez aussi le partager, parce que j’avais l’impression de devoir me justifier de quelque chose. Et à partir du moment où j’ai lâché un peu toutes ces rênes, je me suis dit : vas-y, fais-le pour toi, tout simplement, l’envie de partager, c’est bien aussi, juste ça. Pas forcément que les gens attendent des choses en retour, ou que moi, j’attende quelque chose. Juste pour me dire que ça me fait du bien, que c’est ce qui m’anime, c’est ce qui me permet d’être bien au quotidien.

ADA : Même si la colonne vertébrale des compositions est la guitare, on sent que tu apportes un soin particulier aux arrangements. Comment procèdes-tu pour les créer ?

Dear Pola : Je suis assez contente d’explorer ça, et j’adore passer du temps justement à chercher, à explorer. Je travaille beaucoup avec les images, j’ai beaucoup d’images en tête, j’ai beaucoup de couleurs, de sons, même des goûts. Et je cherche toujours des sons qui ramène à ça, ce côté un peu fantomatique. J’aime bien quand ça enveloppe, mais tu ne sais pas d’où ça sort. Mais c’est juste une exploration, le temps passé devant l’ordi à chercher des trucs aussi sur mon clavier, à explorer des pistes, à me dire, là ça colle bien. Je sais que je suis assez spontanée, dès que je trouve et que je sens que ça marche, je ne "retrafique" pas trop.

Je suis vraiment autodidacte, c’est très artisanal comme façon de procéder. Donc tout ce qui est mixage, mastering, je ne maitrise pas. Donc j’ai fait ce que je pouvais, à ma portée. J’aime bien toute cette construction autour du bruitage qu’il peut y avoir.

ADA : Ma part du ciel : le titre est en français pour des morceaux intégralement chantés en anglais. Qu’est-ce qui t’as incitée à le nommer ainsi ?

Dear Pola : Je crois que j’aime bien semer le doute, j’aime bien qu’on ne sache pas trop. Pour l’histoire, ma part du ciel m’est apparu en rêve c’est un truc de fou : je l’ai vu écrit dans un de mes rêves, et le lendemain matin je l’ai noté. Après, il trainait sur mon carnet, je me disais, c’est pas mal "Ma part du ciel", et puis mon ciel a été sombre longtemps… J’aimais bien l’idée. Et j’aime bien brouiller les pistes, donc je suis restée fidèle à la langue anglaise, j’ai toujours chanté en anglais. Ça correspondait tellement à l’ambiance et à ce que j’avais vécu, et je trouvais que ça matchait pas en anglais, alors je l’ai laissé en français.

ADA : Un sentiment de ne pas trouver sa place dans ce monde me semble transparaître dans les textes. Qu’en est-il réellement ?

Dear Pola : Tu vises juste. J’écris beaucoup sur ça parce qu’encore aujourd’hui, je pense que j’ai du mal à savoir qui je suis et comment je dois me comporter dans ce monde de fou, dans la société telle qu’elle est. C’est des recherches que je mène depuis très longtemps. [rires] C’est vrai que c’est très lié à l’intime, mais c’est simplement des questionnements sur qu’est-ce qu’on fait là, qui on est, comment on navigue à travers tout ce qui peut nous arriver.

ADA : Y aura-t-il une sortie physique de ce disque ?

Dear Pola : Non, je ne pense pas. Là, c’était vraiment une distribution pour me remettre dans le bain, pour me redonner confiance. Ça me permet vraiment de passer à autre chose, et de me dire que les prochaines chansons qui seront enregistrées, elles, par contre, j’aimerais beaucoup faire une sortie physique.

ADA : Penses-tu faire des concerts pour suivre la sortie de cet EP ?

Dear Pola : Ah oui c’est l’objectif, j’aimerais beaucoup me produire. Là il n’y a pas grand chose qui est mis en place, je commence juste à retravailler le set, à travailler les chansons, d’autres chansons aussi. J’ai une date à Valence dans l’été, je vais avoir une résidence qui va me permettre d’étoffer tout ça, et de pouvoir démarcher pour faire des concerts. Ce sera guitare / voix.

ADA : J’ai vu que tu fais partie des artistes accompagné·e·s par la SMAC La Cordo de Romans/Isère cette année. Qu’est-ce que tu en attends ?

Dear Pola : C’est surtout la structuration du projet, je me dis que je ne sais pas faire autre chose, le but c’est de vivre demain de ma musique. Alors, c’est un peu prétentieux, mais j’aimerais beaucoup. Comment je peux me professionnaliser, comment je trouve des concerts, comment je me comporte, moi toute seule, sur scène, avec ma guitare. Et puis trouver le réseau parce que j’ai été assez isolée pendant toutes ces années, me refaire des copains musiciens et musiciennes, pour m’accompagner. Je suis toujours en contact avec We Are Unique, mais c’est plus des conseils, je leur ai fait passer l’EP et j’ai eu des retours très positifs.

ADA : Que penses-tu de l’évolution de la place des femmes dans les musiques actuelles (et ailleurs) ?

Dear Pola : Je suis énormément de femmes musiciennes sur les réseaux sociaux, je pense que ça avance, on en voit de plus en plus, qui gèrent la technique, qui gèrent aussi les enregistrements, qui gèrent leur mix, puis même des femmes ingés son. Après la place des mères artistes, j’ai pas l’impression que ce soit très exposé. J’ai une amie qui s’appelle Pollyanna, également mère de famille et musicienne, et c’est un peu les mêmes problématiques qu’on peut rencontrer : nous à nos âges, mères de famille, comment on se dégage du temps pour élever nos enfants et pour être sur la route ou pour travailler, tout simplement. Mais c’est le propre de beaucoup de femmes en France, ça s’applique à beaucoup de domaines. Ça avance, mais ça avance pas. Après, y a quand même plein d’associations, de structures, j’ai l’impression, il y a cette envie de faire bouger les choses et de faire bouger les codes et de dire qu’on peut être femme musicienne et complètement décomplexée face à tout l’environnement qui peut concerner la musique, que cette technicité n’est pas réservé aux mecs. On sait de quoi on parle.

ADA : Quelles sont tes influences artistiques (musique et autre) ?

Dear Pola : Beaucoup Nick Drake, dans mon enfance, Barbara, Joan Baez, Joni Mitchell par la suite, et puis Leonard Cohen que j’aime énormément. Après j’adore Catpower, Feist, Raoul Vignal aussi. J’écoute beaucoup de choses très éclectiques, très variées, beaucoup de classique aussi, ma grand-mère en passait pas mal. Sinon je suis très cinéphile, et la littérature a une place extrêmement importante pour moi : il y a Sylvia Plath qui est au centre de mes lectures, Virginia Woolf, Jim Harrisson, Thoreau, Kerouac. J’essaie de regarder ma bibliothèque en même temps pour citer des trucs [rires], mais je lis beaucoup, des choses très variées. Mais Sylvia Plath est celle qui m’a donné aussi l’envie d’écrire, pour moi, pas forcément des choses que j’exprime dans mes chansons mais j’écris aussi beaucoup, j’essaye de m’astreindre à écrire tous les jours.

ADA : Le mot de la fin ?

Dear Pola : Je suis dans une dynamique où j’espère ne pas flancher mais il n’y a pas de raison. Après, j’ai plein de chansons en stock donc je sais que j’ai des choses à concrétiser. Ça se profile bien !



 chroniques


 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.