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Fidèle à la sacrée personnalité révélée par l’album « Chic Type », Daisy Lambert, via Facebook, répond à nos questions avec le sérieux, l’humour, la désinvolture et la punk-attitude qui le caractérise. Où il sera ici question de Jean-Michel Jarre, de la pub Herta, d’éphémère, de Kubrick et de la nécessité d’être soi-même…

ADA : De quel milieu viens-tu ? Peux-tu nous résumer ton enfance et adolescence en quelques mots ?

Daisy Lambert : Je suis issue d’une famille d’enseignants, dans un bled des Ardennes. J’y ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans, et puis, forcément, j’ai découvert le reste du monde avec un émerveillement qui ne s’est toujours pas tari. J’ai eu une très belle enfance, à tel point que le mot « enfance » a été ma définition du bonheur pendant longtemps. J’ai commencé la guitare en même temps que le Biactol, comme tous les garçons qui voulaient serrer autrement qu’avec un scooter.

ADA : Quels furent tes premiers souvenirs et émois musicaux ?

Daisy Lambert :Mes premiers souvenirs musicaux, c’est un chant de Noël chanté par Nana Mouskouri je crois. C’est un moment décisif dans une vie, quand ton petit corps d’enfant voit qu’il peut être ému par des sons. Très vite, j’ai associé la musique à des scénarii mentaux, secrets... A la maison, il y avait la radio aussi, dès le matin. RTL (avec Fabrice...désopilant lorsqu’il imitait la sonnerie d’un téléphone) et Nostalgie. Et puis les CD de mes grands frères, qui m’ont initié à d’autres choses que nous n’entendions pas sur les ondes.

ADA : A ce moment-là, durant tes premières découvertes discographiques, la musique était-elle déjà une passion ? A partir de quand est-ce devenu une vocation ?

Daisy Lambert :J’ai eu une émotion quasi-religieuse quand j’ai vu qu’on pouvait être aimé en jouant de la guitare : Brian May, Slash dans un stade de Wembley plein à craquer...Donc, là, la vocation (ou dois-je dire la foi) est née, mais a été refoulée immédiatement.

ADA : Refoulée pour quelle raison ?

Daisy Lambert :À la manière d une fille qui nous subjugue mais qui semble inaccessible... Et puis, sans vouloir blâmer mes chers parents, mes aptitudes artistiques n’ont pas été spécialement encouragées. Et ce n’est peut être pas si mal, au fond, car aujourd’hui, je me sens à ma place. C’est un schéma assez classique…

ADA : Avant la concrétisation « Chic Type », avais-tu auparavant joué dans des groupes ou bien t’étais-tu déjà essayé à des tentatives en solo ?

Daisy Lambert : Jamais. Je ne suis pas fait pour le groupe. Enfin si, une fois, j’avais vingt-deux ans, j’ai joué dans un groupe juste un soir. Il s’appelait FMR (...éphémère) car c’était un concert unique (c’était le concept…). Avec le recul, c’était un peu de l’art contemporain...

ADA : La musique de Daisy Lambert semble vouer une véritable adoration à l’égard des machines. D’où provient cet amour des boites à rythmes et des textures synthétiques ?

Daisy Lambert : Les drumboxes et synthés m’ont d’abord travaillé inconsciemment. Tu aimes en premier lieu des sons, qu’importe leurs sources : des ambiances, des choses typées qui ne sonnent pas comme du rock académique, mais tu ne sais pas vraiment pourquoi. Dès 2007, j’ai commencé à remonter à la source, et ce fut le début de mes petites affaires...

ADA : Tu es un grand fan de Jean-Michel Jarre, parait-il…

Daisy Lambert : JMJ, c’est quand même un pionnier en France...J’ai des supers souvenirs de camping quand j’étais petit, avec « Equinoxe » dans le gros walkman Sony. Un mec qui a pour ambition première de faire planer les gens, même s’il peut s’égarer dans son parcours, c’est un bienfaiteur de l’humanité. Une fois, j’ai discuté avec lui quelques minutes, et forcément, je lui ai parlé d’Air, de la parenté, etc....Et là le mec me lâche : « dans l’AIR, il y a de l’OXYGENE ». Genou à terre...

ADA : Tu cites également Daft Punk. Que penses-tu de leur dernier opus, « RAM » ?

Daisy Lambert : Il y a un petit courant de haine/déception/jalousie autour de « RAM » (est-ce l’époque, je l’ignore). Moi je l’adore. Quoi de plus classe quand on est les rois de la machine que de faire un album quasi-organique ? C’est le plus groovy, le plus black et le plus émouvant des Daft. Il faut dire aussi qu’à la base, « mon » Daft à moi c’est d’abord « Veridis Quo » et « Make Love » (le son pré-« Sexuality » de Tellier, en fait) plutôt que les trucs qui tapent à mort.

ADA : Comment se déroule chez toi le processus créatif aboutissant à une chanson ? Ecris-tu les textes en fonction de la musique ou bien l’ensemble (musique, texte) est-il lié dès l’origine ?

Daisy Lambert : L’écriture et la création sonore ont chacune une vie indépendante. La première provient de l’observation de mon prochain, ou de rêves, ou de fantasmes, ou de punchlines qui peuvent venir quand je suis aux cabinets, par exemple. Le son, c’est désorganisé... Je prends ce qui tombe du monde des sons, je pique des trucs un peu partout. Ça va du classique aux pubs. Par exemple, la pub Herta m’a inspiré le gimmick de « La Femme Fontaine ». Après, je me demande ce que dit intrinsèquement la maquette et je vais voir dans mon carnet s’il y a un truc qui colle...

ADA : Tes textes sont à la fois désinvoltes, dandy même, mais tu ne refuses pas les pics assassins. Ce mariage entre distance, confession et trivialité faisait-il parti de ton projet originel ?

Daisy Lambert : Quels pics assassins ? Non, ce n’est pas calculé à ce point... Je fais avec ce que j’ai en rayon, et puis basta.

ADA : Penses-tu que trop en révéler sur soi-même dans ses textes relèverait de l’impudeur ? Faut-il, du moins en France, conserver une certaine distance à l’égard de ses propres mots ?

Daisy Lambert : L’équilibre, c’est de donner une proximité sans se déverser. Ça, c’est indigne. Naturellement, je ne suis pas porté sur l’affliction.

ADA : « La Complainte du Blessé Leger », comme le chantait Alain Chamfort, est-ce un titre de chanson qui pourrait convenir aux propos de « Chic Type » ?

Daisy Lambert : Ouais. Top niveau. Délicate dérision.... Chamfort la lesbienne...J’adore.

ADA : Ce prénom, Daisy, est-ce une façon de revendiquer une part de féminité dans ta musique ?

Daisy Lambert : Transition en or ! Il y a de cela, bien sûr. C’est aussi la song de Christophe, et celle de Gainsbourg, « Daisy Temple ». Un reggae !

ADA : Comment as-tu été emmené à travailler avec Frédéric Lo (sur les titres « Tes Seins Tes Poignets » et « Odéon »), Cyrille Champagne et Alf Briat (pour le mix de l’album) ?

Daisy Lambert : Tous ces mecs m’ont été présentés par Maxime Jacquard, le responsable de mon label Echo Orange. Je lui dois beaucoup. Je l’aime.

ADA : Comment envisages-tu le travail de mix et de mastering ? Tu sembles apprécier un certain laisser-aller, dans le sens où trop de perfectionnisme tuerait la légèreté souhaitée…

Daisy Lambert : Pour le mix, je veille au grain, je flique le truc avec tendresse, mais je suis ouvert à tout ce qui peut sublimer l’affaire. J’ai des caprices sonores que je suis le seul à entendre... Pour le mastering, c’est une science à part qui m’échappe un peu, donc rien à dire de spécial si ce n’est que j’ai choisi un mec qui est une référence en la matière, histoire de ne pas être inquiet. En enregistrement, je laisse volontairement certaines imprécisions, dans le chant particulièrement. Je me dis que j’en suis là, qu’il s’agit de la photographie d’un instant, et peut être aussi par volonté d’injecter de l’humain. Qu’il s’agit de la photographie d’un instant, et peut être aussi par volonté d’injecter de l’humain dans les machines. C’’est en cela que les mecs d’Air-Daft-Tellier me touchent... de l’humain dans les machines. L’humanité dans la machine comme Graal, depuis Kubrick (« 2001… ») et cette scène déchirante dans laquelle l’ordinateur supplie de rester en vie...

ADA : Voici quelques titres de chansons. Peux-tu me donner un avis, un commentaire, sur la chanson ou son (leurs) auteur(s) ?

« Sexy Boy » (Air) ?

Daisy Lambert : Une des rares ouvertures dans un ciel nineties bien nuageux. Là, on est par-delà les nuages. C’est le début de quelque chose, forcément. Et en même temps, ça regarde dans le rétroviseur.

« Aussi Belle Qu’Une Balle » (Taxi Girl) ?

Daisy Lambert : RIP...Beau titre. Beaucoup plus d’âme que tous ceux qui les imitent. Une mélodie presque badine par rapport à l’état des mecs.

« Tombé Pour La France » (Etienne Daho) ?

Daisy Lambert : C’est pas ma préférée de Daho. Lui, c’est un peu notre découvreur de talents. Grâce à Etienne, j’ai découvert de grands groupes très peu connus. En général, je dis que je les ai trouvés tout seul.

« Chasseur D’Ivoire » (Alain Chamfort) ?

Daisy Lambert : Masterpiece. Tout est beau, y’a rien à jeter.

« Les Garçons Ont Toujours Raison » (Diabologum) ?

Daisy Lambert : Sans intérêt. Le son n’est pas typé. Les guitares, over-chiantes. La voix « hygiaphone » pue l’adolescence mal canalisée.

« Le Courage Des Oiseaux » (Dominique A) ?

Daisy Lambert : C’est notre Morrissey à nous. J’aime bien ce mec. On a envie de l’avoir comme ami...

« Je Vous Emmerde » (Katerine) ?

Daisy Lambert : ...Donc, l’ami en question. Pour moi, Katerine est quelqu’un qui me donne l’impression de réussir sa vie et d’être en parfaite congruence, quelles que soient les conséquences. Donc, ça, c’est un truc d’Homme. Et en même temps, le mec laisse s’exprimer l’enfant créatif en lui, il sublime ses angoisses, avec un style personnel...Il fait du bien. La chanson « Vieille Chaîne » me ferait presque pleurer.

ADA : Dernière question : « Chic Type », par sa tonalité, ses partis-pris, par ta personnalité également, risque d’engendrer autant d’enthousiasmes que de rejets. En étais-tu conscient au moment de composer les titres de ton album ?

Daisy Lambert : Etre soi, ou ne pas être. S’écouter. Assumer... Si je vends douze CD, au moins j’aurais été moi-même...