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Venue du slam, Luciole, avec « Une », se réinvente aujourd’hui en fausse et complexe ingénue d’une musique qui doit autant à l’électro qu’à la chanson française. Chanson française ? Oui, mais alors pervertie, rehaussée par un climax hésitant entre hiver et printemps ; par le sens de la formule bashungienne (« J’ai la clef du problème mais le problème c’est que j’trouve pas la serrure ») ; par un soin extrême accordé aux détails de production. Surtout, une thématique se dégage de ce nouvel album : le souvenir du rêve adolescent et les redoutés cauchemars de l’étape adulte (à la Morrissey). Paradoxe qui donne consistance, fond et forme aux chansons de Luciole : l’écrin est assuré, peaufiné jusqu’à l’obsession, mais le propos, lui, dessine l’image d’une jeune femme entre deux chemins, peut-être en transition (lost in transition ?). Discussion avec le plus beau rayon de soleil des derniers mois.

ADA : Peux-tu me parler de tes premières émotions musicales ? L’auditeur, en écoutant ton nouvel album, imagine, par exemple, que tu fus très sensible aux voix…

C’est vrai que dès toute petite, et pendant très longtemps, j’ai surtout été attirée par des chansons avec voix et particulièrement en français. À l’époque, cela voulait dire pour moi laisser de côté le jazz, la musique instrumentale, classique ou en anglais… J’avais besoin de comprendre ce que j’écoutais, pouvoir chanter les mots au-dessus des disques ou des k7 qui tournaient, le reste m’ennuyait. Je ne le comprenais pas. Je ne saurais pas vraiment dire quelles ont été mes premières passions musicales, je ne m’en souviens pas vraiment mais je dirais qu’enfant, ado, c’est certainement Gainsbourg et Renaud qui ont le plus tourné sur mon poste audio… Au fond, à ce moment-là, c’était le texte plus que les voix qui m’attirait je crois.

ADA : À quand remonte ton besoin de te lancer dans la musique ? Le Conservatoire fut-il une confirmation de ton immersion dans la composition ?

Je fais de la musique depuis toute petite, elle a toujours été une compagne de route tout comme le théâtre. Ce besoin, au fond, c’est comme si je l’avais toujours eu… Seulement j’étais raisonnable, pensais que cela n’arrivait qu’aux autres d’en faire son métier. Au moment de passer mon Bac L Théâtre, les examinateurs m’ont poussé à poursuivre, à tenter le concours du Conservatoire de Rennes. C’est donc en section Art Dramatique que j’ai étudié et non en musique. C’est là que j’ai développé mon goût pour l’interprétation. À cette période, je fréquente également les scènes slam, j’écris beaucoup ; et c’est finalement au point de rencontre du chant, de l’interprétation et de l’écriture que le besoin s’est fait sentir de faire quelque chose de tout ça, de monter mon propre projet.

ADA : Quel était ton état d’esprit au moment de composer ton premier album, « Ombres », paru en 2009 ?

Je crois que j’avais surtout envie de faire entendre ma voix, mes mots, l’envie aussi de me lancer dans un projet plus ambitieux, plus personnel. L’idée était de donner une seconde vie à mes textes écrits, à l’origine, pour être parlés, dits sans musique sur des scènes ouvertes. J’avais vingt ans lorsque j’ai commencé à travailler sur « Ombres » et je ne craignais rien, n’avais rien à perdre. J’étais jeune, j’avais envie de tenter ma chance et puis je me disais que si ça ne marchait pas, j’aurais bien le temps de trouver une autre route à tracer !

ADA : « Et en attendant », cette fois-ci édité en autoproduction, survient trois ans après « Ombres ». Pourquoi tant de temps ?

Je ne me suis pas ennuyée pendant ces trois années. Je suis d’abord partie en tournée pendant un peu plus d’un an et après cela, il m’a bien fallu six mois avant de me remettre à écrire. Le premier album, c’était des textes déjà existants, là j’étais face à une page vierge. Puis il a fallu réfléchir à la musique, à d’éventuels nouveaux partenaires (éditeurs, manageurs etc.), à la façon dont je voulais faire les choses. J’ai pris mon temps, c’est vrai ; mais je crois que tout ce travail, ce temps de réflexion et de gestation étaient nécessaires et m’ont permis de préparer le terrain pour l’album.

ADA : J’ai la sensation que « Une » est l’album qui, à ce jour, te ressemble le plus – le titre est sans équivoque. As-tu également cette impression d’éclosion ?

Oui, je le pense aussi. Peut-être parce que c’est un album que j’ai conçu de bout en bout, dont j’ai maîtrisé tous les aspects. Je l’ai écrit, composé, enregistré, en me répétant sans cesse qu’il fallait que je soigne chaque chanson comme un bijou, que j’aime chacune d’entre elles comme si elles étaient uniques. Je ne voulais surtout pas avoir de regrets, je tentais de rester toujours connecter au plaisir de créer et je pense que c’est pour cette raison qu’il me ressemble tant.

ADA : Ce qui me touche beaucoup, dans ta musique, réside dans l’aspect intime mais secret de tes textes. On devine un don de soi, mais également un grand mystère. Où se situe, selon toi, la frontière séparant la confession (ou, du moins, l’aspect intime des mots) de la nécessité de ne pas trop en dire, de flouter certains propos ?

C’est une barrière très fine. Je ne peux écrire que sur ce qui me touche, je ne sais pas faire autrement. Je suis constamment à la recherche d’une écriture sincère, alors forcément cela pousse à se dévoiler. Je pense que de dire les choses de façon un peu abstraite ou poétique, c’est au fond la parade que j’ai trouvé pour ne pas tout dire non plus, pour conserver mon jardin secret. Et puis ainsi, j’aime à penser que les gens peuvent s’approprier plus facilement mes chansons, les relier à leurs propres histoires… Ça crée de l’ouverture et suscite l’imagination.

ADA : Ecris-tu les textes en fonction d’une soudaine idée musicale, ou bien ressens-tu la nécessité de constamment mettre en mots les pensées qui t’habitent ?

Je commence toujours par les mots, la musique vient ensuite. D’autant plus que je ne suis que co-compositeur. Je crée les mélodies presque en simultané avec l’écriture puis je travaille avec des musiciens pour entourer ces phrases chantées. Donc oui, mon point de départ est souvent une idée de texte, une formule poétique, une envie d’exprimer quelque chose. La recherche de la mélodie vient nourrir le travail d’écriture, me permet de mener la chanson jusqu’au bout en l’oralisant, en cherchant, en faisant sonner les mots.

ADA : « Une » : cauchemar ou rêve ? Personnellement, malgré les écoutes, j’ai toujours la sensation d’une sirène qui me berce pour mieux m’entraîner vers un univers plus torve, plus violent…

C’est justement cela que j’aime : que chacun se raconte son histoire ! Mais oui, il y a certainement de ça, un voyage d’un extrême à l’autre. Le thème des contrastes est récurent sur l’album et cette chanson, c’est effectivement un peu le feu sous la glace…

ADA : Je ressens également ta musique comme très cinématographique. Sur ce point, es-tu parfois influencée ou inspirée par certains cinéastes ?

J’aime beaucoup le cinéma, pour autant je ne pense pas m’être déjà vraiment inspirée de films ou de cinéastes en particulier. Il est cependant vrai que je suis très connectée au visuel, aux images. Je puise mon inspiration dans ce que je vois et ce qui m’entoure - d’où cette impression cinématographique peut-être… Mais j’adorerais écrire une chanson pour une bande originale ou que l’un de mes morceaux soit utiliser dans un film !

ADA : Qu’écoutes-tu, en ce moment ? Des coups de cœur ? De même, te sens-tu proche de certains musiciens ou musiciennes actuelles ?

J’écoute beaucoup de styles de musique différents, je me nourris de plein d’univers ! En ce moment j’écoute Ibeyi dont j’attendais l’album après avoir usé les trois titres disponibles sur la toile depuis l’automne. J’écoute également Son Lux ou Aparat, Guts pour les influences hip-hop. Un de mes coups de cœur récent : l’album de Nico K, « L’addiction et la diction » sorti en octobre et sur lequel j’ai fait quelques chœurs, il mérite qu’on tende l’oreille ! Pour ce qui est des musiciens ou musiciennes actuelles dont je me sens proche, la question n’est pas simple… Je me sens appartenir à cette nouvelle scène française, je crois que c’est une famille qui me correspond bien même si j’essaie de ne pas rester prisonnière d’une case et d’aller rendre visite à celles d’à côté !

www.luciolesenvole.com

Merci à Jérémy Richet & Luciole

Photos : Renaud Julian



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