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Les habitués d’A Découvrir Absolument connaissant Jérôme Sevrette via les différentes pochettes qu’il a réalisées dans le cadre de sa série de compilations. D’autres le connaissent via sa couverture de concerts, de festivals, où quand la musique semble nous arriver grâce à un oeil aiguisée. Et puis il y a les heureux possesseurs de Terres Neuves, livre disque, ou quand la musique vient s’inspirer des clichés de Jérôme. Au programme entre autre, Olivier Mellano, And also the trees, Tue Loup, Aswefall, Bruno Green. Et bien trois ans aprés, Jérôme est de retour avec Terres neuves (Re)visions (SOUSCRIPTION jusqu’au 15 août 2016 - Parution septembre 2016 :ici) un livre-objet comprenant deux CD, un portfolio photographique et un livret de textes. Une invitation au voyage entre les images, les sons et les mots. Le moment était donc venu pour nous d’essayer d’appréhender son travail.

ADA : Trois ans entre tes deux projets, c’est super court quand on connait le côté ardu de mettre en place ce genre de projet. Tu as surfé sur la vague du premier ? tu l’avais déjà en tête ?

Jérôme Sevrette : A la base il ne devait pas vraiment y avoir de suite à Terres Neuves, j’avais juste évoqué l’idée de sortir une sorte de supplément vinyle avec les 5 ou 6 titres que je n’avais pas pu caser sur les cd du premier volume accompagnés de quelques photos que j’avais écartées de ma première sélection.

Mais mon éditeur, suite au succès du 1er volume, m’a proposé la publication d’un nouvel opus plus ambitieux. La suite et bien c’est 3 années d’échanges avec des groupes, des musiciens et des auteurs pour préparer leur venue sur Terres Neuves [Re]Visions... et je dois dire que ça valait vraiment le coup d’attendre autant de temps vu la qualité de ce que j’ai reçu, il y a de véritables petites merveilles musicales et littéraires sur ce second volume

ADA : Comment est né le concept de Terres Neuves ?

Jérôme Sevrette : La légende dit que j’aurais eu cette idée le matin du 26 juin 2010 au lendemain du vernissage du photographe Nicolas Comment à l’artothèque de Vitré… et comme dans la pub, la légende dit vrai. En fait j’avais depuis longtemps cette idée d’association entre mes photos et « une partie musicale » mais je n’avais pas encore vraiment planché sur la forme que ça pourrait prendre.

Mais à l’occasion de ce vernissage j’ai eu entre les mains un livre de l’artiste accompagné d’un cd de musiques qu’il avait composé lui-même pour ses photos, j’ai trouvé l’idée intéressante et la soirée a suivi son court… Le lendemain à mon réveil, j’avais tout : le titre, le concept et même le format et la photo de couverture, il ne me restait plus qu’à inviter « les participants »… car n’étant pas compositeur, mon idée était d’inviter des musiciens à composer sur la base d’une série de photos bien précise, en l’occurrence une série de Polaroids couleur que j’avais réalisé sur plusieurs années. Et puis j’ai voulu étendre l’invitation aux écrivains et tout a débuté comme ça… et au final, les 2 volumes de Terres Neuves n’ont rien à voir avec le livre que j’avais feuilleté à Vitré en 2010.

ADA : Comment fonctionnes-tu, donnes tu un cahier des charges aux musiciens autre que ces Polaroïds ?

Jérôme Sevrette : Non je leur ai laissé carte blanche. La seule contrainte est que leurs compositions devaient être originales ou inédites.

ADA : Comment sont nourris les choix artistiques, le choix des clichés est-il influencé par le choix des intervenants ou l’inverse ?

Jérôme Sevrette : Concernant le choix des participants, il s’est fait par affinité et par mon envie de collaborer avec des musiciens, des auteurs que j’appréciais tout en sachant qu’ils seraient certainement sensibles à mon invitation sur ce projet. Pour celui des photos, je voulais un ensemble homogène de « visions » étranges, oniriques… une série semblable à des tableaux, sans véritable identité géographique, juste l’évocation de lieux improbable, de perte dans le temps et l’espace.

Je vois dans ces polaroids qui composent les 2 volumes de Terres Neuves, la réinterprétation d’un monde apaisé, serein, sans danger… loin du nôtre.

ADA : As-tu déjà des idées de musique par rapport à ces clichés, comme tu peux l’avoir en photo quand tu réalises des clichés qui sont souvent en adéquation avec la musique du groupe ou de l’artiste photographié ?

Jérôme Sevrette : Non, les photographies de Terres Neuves ne sont pas destinées à inspirer un type de musique en particulier, il suffit d’écouter les titres qui accompagnent les photos pour s’en rendre compte. Si les photos ont une ligne graphique très homogène, je ne voulais pas qu’il en soit de même pour la musique et les écrits, je cherchais au contraire une diversité dans les styles.

ADA : Comment fonctionnes-tu pour le choix final ? C’est sans filet avec l’ensemble des protagonistes ou tu te réserves quand même le droit de refuser des propositions ?

Jérôme Sevrette : Comme j’ai été très précis dans le choix des participants, je n’ai pas eu à refuser quoi que ce soit. J’ai au contraire été incroyablement surpris par la qualité des musiques et des textes qui m’ont été rendu.

ADA : en plus de la musique il y a également des écrits. Si je connais tes appétences musicales ce n’est pas le cas de des goûts littéraires. C’est quoi la bibliothèque idéale de Jérôme Sevrette ?

Jérôme Sevrette : La bibliothèque idéale de Jérôme Sevrette elle prend la poussière…

Je lis peu en fait, je feuillète des bouquins de photos, des trucs plus technique sur l’image et je lis pas mal de magazines musicaux… ça tient aussi surtout au fait que la photographie me prend énormément de temps, je peux rester sur mon ordinateur à travailler jusqu’à 4h ou 5h du matin et reprendre à 9h pour repartir pour une nouvelle journée… c’est parfois un peu du non-stop.

ADA : As-tu des propositions spontanées ?

Jérôme Sevrette : Oui et s’il y en a une que je devais retenir ce serai celle de Kramies pour le premier volume de Terres Neuves, je ne le connaissais absolument pas mais quand il m’a envoyé un lien pour écouter sa musique ça a été une vraie révélation, j’avais rarement entendu une voix pareille et une musique aussi « vibrante » émotionnellement.

Et bande de veinard(e)s, il sera également sur Terres Neuves [Re]visions avec un nouveau titre inédit !

ADA : Comment es-tu arrivé à la photo ?

Jérôme Sevrette : Par la musique et essentiellement par la musique. J’ai fait mon éducation visuelle avec les pochettes de disques des années 80/90 et par la presse rock de la même période. J’ai gardé de cette période le grain du noir et blanc et le côté « brut » de l’image.

ADA : Le lien avec la musique était il pour toi évident, et si oui quand tu écoutais des disques avais tu des images ne tête ?

Jérôme Sevrette : Plus jeune et quand j’avais plus de temps, j’aimais bien aller chez les disquaires pour fouiller dans les bacs… parfois je ne cherchais rien de précis, c’était juste pour regarder les photos sur les pochettes, c’était un peu comme faire le tour des galeries photos mais à ma façon. Mais oui pour moi la musique était faite d’images, les accords, les mélodies, les paroles sont des images. Mes photographies sont également faites des mêmes intentions, propager, diffuser différentes émotions. Les plans, les cadrages, les décors, les ambiances, tous ces paramètres s’imbriquent pour composer une sorte de mélodie visuelle, un chant photographique…

ADA : Ton travail est traversé par une certaine esthétique qui est devenue ta signature (je me souviens de ma perfidie en te demandant une pochette ADA d’avoir un truc super coloré) telle que j’ai reconnu ton travail sur une pochette sans savoir qu’elle était de toi. Cette signature c’est imposée à toi ou elle est le fruit de lecture ou principalement d’un mouvement qui prendrait sa source dans la coldwave ?

Jérôme Sevrette : Et ça a été un vrai plaisir de pouvoir proposer mes services pour les compilations ADA ! Alors si j’ai longtemps été catalogué comme un photographe « dark » cette étiquette n’est plus vraiment d’actualité car depuis quelques temps j’ai aussi trouvé mes marques dans la photographie couleur… voir la photographie très colorée. Cependant il est certain que la plus grosse partie de ma production reste en noir et blanc, mais un noir et blanc à ma sauce, je n’aime pas les trucs fades, les photos trop ternes ou laiteuse… il me faut du vrai noir, du contraste, faut que ça tape. Si ça vient de la cold wave ? Non et en plus je n’ai pas et n’écoute toujours pas que de la coldwave, loin de là…

ADA : D’ailleurs dans le cas d’une pochette d’un disque as-tu besoin de t’imprégner du disque avant ?

Jérôme Sevrette : Oui et c’est indispensable si on ne veut pas proposer quelque chose qui soit complètement à côté de la plaque. J’ai toujours eu les titres en écoute avant de travailler sur la pochette d’un disque, leur écoute me donne des pistes de recherches et de créations pour ensuite pouvoir présenter une palette visuelle en accord avec l’univers musical du groupe.

ADA : Comment travailles-tu ? Fournis tu un gros travail de retraitement de l’image, avec le danger de ne jamais t’en satisfaire ?

Jérôme Sevrette : Je commence part capter de la matière brute sur le terrain, un peu comme un sculpteur qui irait chercher son argile dans une carrière et rentrerait ensuite dans son atelier pour travailler ce qu’il a rapporté. J’opère de la même manière, la prise de vue sur le terrain n’est que la captation d’une base que je rapporte ensuite chez moi pour la travailler, la façonner.

Donc, oui le post-traitement de l’image est une part importante de mon travail. C’est de cette opération que nait l’ambiance, l’intensité d’une photo. Je sais que mes propos vont faire hurler les photographes intégristes de l’argentique et de la « magie de la prise de vue sans retouche » mais je n’en ai cure.

ADA : que penses de cette phrase de Jean Baudrillard "Ce que je regrette, c’est l’esthétisation de la photographie. L’image photographique constitue une révolution considérable dans notre mode de représentation. Son irruption a remis en cause l’art lui-même dans son monopole esthétique. Or, de nos jours, le mouvement s’est inversé : c’est l’art qui dévore la photo plutôt que le contraire. Et c’en est fini de ce néant au cœur de l’image, qui fait sa magie et sa puissance. » ?.

Jérôme Sevrette : Ah Baudrillard… Oui la photographie est une révolution considérable dans notre mode de représentation, ça c’est certain et ça se vérifie encore tous les jours sur tous les médias, la photographie est omniprésente et essentielle à la diffusion des informations. Ensuite là où Baudrillard voit son « esthétisation » comme une perversion, je ne suis pas d’accord et j’y vois moi une réinvention, une réinterprétation de l’image photographique. Mais son point de vue est à mon sens très subjectif et personnel quand il parle de « néant au cœur de l’image », chacun peut comprendre cette citation comme il l’entend. La photographie a suivi les avancées technologiques, les changements dans les modes de productions, les usages, la recherche, la création… Elle a toujours été en constante évolution et son esthétisation tant regrettée par Baudrillard fait partie de cette évolution logique et nécessaire. Si Baudrillard était encore de ce monde à l’heure de l’avènement de la photographie numérique et des réseaux sociaux, il aurait certainement un tout autre discours…

ADA : Préfères tu travailler avec des contraintes, par exemple dans le cadre de l’artwork d’un disque, ou dans une liberté absolue ?

Jérôme Sevrette : Les contraintes ne me dérangent pas, elles peuvent aussi donner quelques pistes dès le départ… et on peut aussi les contourner si besoin. Donc non, contraintes ou pas ça ne change rien à ma façon de travailler.

ADA : Si le noir et blanc est le lien évident de tes photos sur le rock, les paysages en ruines, les friches industrielles semblent être ton terrain de prédilection (c’est le point commun que tu as avec Stephane Merveille, les terrains ne déshérences) - C’est la beauté des lieux ou la traduction physique de l’auto destruction de nos civilisations que tu veux traduire ?

Jérôme Sevrette : Il y a c’est certain une certaine beauté dans le délabrement, c’est la mémoire du lieu qui disparait petit à petit… c’est je pense, dans ce sens que ces lieux de déshérence provoquent cet attrait chez les photographes. Tel un sablier, ils nous ramènent à notre propre existence et de fait, à notre disparition.

ADA : Pourrais tu travailler sur l’artwork d’un disque qui musicalement ne te correspond pas ?

Jérôme Sevrette : Je n’ai pas encore été confronté à ce cas de figure mais ça pourrait bien m’arriver un jour.

Comme je n’ai que la photo pour vivre il est bien évident que si j’avais une offre alléchante pour un/une artiste de variété, je me verrais mal refuser… et puis Dominique A a bien écrit des chansons pour Calogero alors…

ADA : La suite logique d’un projet comme Terres Neuves ne serait il pas de travailler conjointement avec un groupe sur un projet commun entre lui et toi, unissant la musique et l’image ?

Jérôme Sevrette : Oui ça pourrait mais c’est déjà ce que je vais entreprendre avec François Possémé du groupe Complot (présent sur Terres Neuves 1) pour un travail en commun sur un futur quartier de Rennes sur la base de photographies, de vidéos et de créations sonores.

ADA : On connait le pouvoir de l’image, des symboliques et surtout à l’immaturité face à sa lecture. C’est une problématique que tu prends ne compte dans tes images ?

Jérôme Sevrette : Non absolument pas et depuis mes débuts j’ai pris le parti de faire mes photos sans véritablement me soucier des critiques. Je devais faire ces photos et je continue aujourd’hui à faire de même selon mes idées, mes envies.

ADA : Certains de tes clichés, je pense par exemple ceux de Thurston Moore, t’ouvrent ils des portes, et si oui quels sont tes rêves de collaborations ?

Jérôme Sevrette : Non le cliché de Thurston Moore ne m’a pas spécialement ouvert de portes, c’est une belle image à mettre en avant, ça claque dans une expo mais malheureusement, ne travaillant ni dans une agence, ni dans un service de presse, ni au sein d’un collectif de photographes « hype », mes photos restent assez peu diffusées. C’est pour cette raison que je prends souvent l’initiative de contacter moi-même les groupes dont je souhaite réaliser les portraits.

ADA : As tu des modéles en matiére de photo ?

Jérôme Sevrette : J’ai été longtemps influencé par les photos d’Anton Corbjin, une vraie claque quand j’ai découvert son travail dans les années 80. Ensuite je suis assez client des photographies de Richard Dumas ou de Renaud Monfourny…

ADA : Quelle est ta position par rapport à la démocratisation de la photo, son omniprésence dans la vie de tout à chacun, de l’accumulation de photos que nous faisons tous ?

Jérôme Sevrette : J’en pense que c’est effectivement un sacré bordel mais que finalement tout le monde y trouve son compte. Moi aussi je profite de ces nouvelles technologies et des nouveaux moyens de diffusions de l’image, je pense que c’est un mal nécessaire et que c’est à chacun de bien doser et de bien gérer son flux d’images, même si nous savons tous que tout nous pousse à toujours vouloir en mettre plus…

ADA : Arrives-tu à vivre à moins de deux mètres d’un appareil ?

Jérôme Sevrette : Les smartphones ça compte ?

Souscription à Terres Neuves (Re)visions ici

Site de Jérôme : www.photographique.fr



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