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J’ai rencontré Yann Tiersen juste avant l’excellent concert qu’il a donné à Vendôme dans le cadre du festival des Rockomotives cette année. Pour changer de la traditionnelle interview, j’avais préparé 5 petits papiers sur chacun desquels était écrit un mot. La règle de ce petit jeu pour Yann Tiersen : me lire le mot du papier qu’il avait tiré puis m’en parler.

L’ESCALE

Yann Tiersen : C’est l’ancienne discothèque de Ouessant que j’ai racheté. C’était une ruine, l’ancien propriétaire l’a laissé comme ça pendant 15 ans. Je l’ai racheté pour un faire 3 studios et dans le grand studio, faire une salle de concert aussi. L’idée c’est de faire des ateliers dans l’esprit d’un centre culturel. Les travaux ont commencé avant l’été cette année et il y a une partie déjà faite et la toiture vient d’être terminée. Ca avance bien. Je voudrais pouvoir l’ouvrir pour la rentrée prochaine. L’idée est de commencer tranquille en proposant un concert tous les mois ou tous les 2 mois et après on verra ce qu’on peut y faire avec le collège et l’école.

Patrice Lecot : Ca sera un lieu de vie culturel sur l’île. Ca manquait ?

YT : Oui, mais c’est le même problème dans tous les villages. Après l’exode rural, il faut faire l’exode urbain maintenant. Je suis vraiment attaché à ça. A Ouessant, on a de la chance parce qu’on est une île et il y beaucoup de passage, mais j’ai traversé plein de petits villages quand j’ai accompagné ma femme en tournée récemment et c’est fou de voir que petit à petit les commerces s’en vont et ensuite les gens alors que ça devrait être l’inverse. Donc, l’Escale ça fait partie de ça. Je ne veux pas juste amener la culture ou je ne sais quoi. Je voulais faire mon studio là-bas et comme c’est un super lieu en centre-bourg, autant l’ouvrir et partager et qu’on puisse en faire quelque chose tous ensemble et voir ce qu’on peut y organiser.

SOLO

YT : Ma tournée de concert en solo est vachement liée en fait à l’Escale parce qu’elle finance les travaux. Ca ne veut pas dire que je fais ça pour l’argent. Quand j’ai racheté le lieu je me suis dis qu’il y avait vraiment un truc bien à faire mais ça a un coût. Comme je ne voulais pas trop demander de subventions pour les travaux, parce que je veux être libre aussi, je me suis dis que j’allais tourner en solo pour financer tout ça. De ça est né mon album « EUSA ».

PL : C’était aussi une envie de te retrouver seul sur scène ?

YT : Franchement non. L’idée de base de tourner seul était vraiment de financer le projet et faisant une tournée à moindre coût. C’est vrai que c’est chouette aussi de refaire des trucs que je n’avais pas fais depuis très longtemps mais pour être parfaitement honnête, ce n’est pas une envie de me retrouver tout seul en tournée parce que les copains me manquent. Et puis comme je fais une tournée solo piano, je joue dans des lieux superbes (Philarmonie de Berlin, Philarmonie de Paris, Royal Albert Hall) mais ce sont des salles un peu trop chics pour moi et après les concerts c’est moins fun pour boire un coup.

VELO

YT : Pour la sortie de l’album « Infinity » on avait fait une tournée des disquaires indépendants en Bretagne à vélo (le parcours représentait le symbole de l’infini ∞) et une tournée en Norvège aussi. L’idée c’était de faire le tour du monde à vélo. Le problème c’est qu’après j’ai pris une pause d’un an pour apprendre le breton et après j’ai eu un enfant. Du coup, je n’ai pas fait de sport, il faut que je m’y remette !

OUESSANT

PL : En breton EUSA, c’est le nom du dernier album. Chaque morceau correspond à un endroit de l’île, c’est bien ça ?

YT : Oui, cette idée m’est venue suite à une aventure qui m’est arrivée avec ma femme quand on traversait la Califormie à vélo. Un jour on a pris un piste pendant 7 heures au milieu d’un fôret dans un coin qui s’appelle Lost Coast et on s’est apercçu qu’on était suivi par un puma. Au moment où on a croisé la seule voiture de la journée, il a eu peur ; il est passé devant moi et il est parti. Du coup, on réalisé qu’on aurait pu y passer et ce truc là m’a beaucoup fait réfléchir sur notre environnement quotidien. Là, on était chez lui. On ne connaissait pas l’endroit où on était : ni l’écosystème, ni les prédateurs qui y vivaient et on aurait pu mourir si il n’y avait pas eu a la voiture. Cette expérience m’a un peu transformé et je me suis dit que le plus important c’est de connaître son environnement naturel. C’est un truc qu’on oublie complètement quand on vit dans des grandes villes : tout est artificiel et on ne s’en aperçoit pas ; il n’y a plus rien de vivant, il y a du bitume partout et les gens sont complètement coupés du vrai environnement et ne savent pas où ils vivent, ne connaissent pas comment marche l’environnement dans lequel ils sont. Et le monde tourne comme ça, sans savoir l’essentiel en fait...

Vivant à Ouessant, tout mon travail tourne autour de ça : savoir où je vis. L’album est une sorte de carte musicale de l’île. J’ai commencé en enregistrant des ambiances sonores de différents lieux. Il y aura d’autres albums solo sur Ouessant, pas forcément tout de suite mais je compte en faire d’autres dans le même esprit. Mon prochain album aura sa base sur Ouessant, ça sera un peu l’inverse de ce que j’ai fait avec « Infinity » où je partais sur des instruments acoustiques que je traitais ensuite électroniquement. Là, je compte enregistrer des sons sur l’île (et même sous l’eau) pour en faire des sons électroniques qui serviront de base aux morceaux de l’album qui au final ne sera qu’acoustique.

ROCKOMOTIVES

PL : Ta première venue remonte à 1996 et tu es repassé de nombreuses fois ici sur scène. C’est toujours un plaisir d’y revenir je suppose ?

YT : Bien sûr ! Ici c’est les copains, c’est génial comme festival et on s’entend bien avec Richard (Gauvin) et Lionel (Laquerrière) qui m’a accompagné souvent sur scène. Je voudrais faire une liaison Thoré la Rochette/ Ouessant, je ne sais pas quoi ni comment mais je réfléchis à ça.

Photos par Jérôme Sevrette