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Fantaisie Littéraire,

Notes prises sur le rebord et dans les profondeurs du livre de Pierre Lemarchand "Fantaisies militaires"

2h43 du matin, il est exactement 2h43 du matin quand je saute du lit pour noter quelques bribes de phrases qui seront sûrement texte, cela m’arrive beaucoup, souvent, nerveusement, (J’ai dû rêver trop fort, Ça me prend les jours fériés). Les flashes me réveillent, ce sont des mots qui se sont collés comme des cadavres exquis, qui forment petit à petit une phrase, puis une strophe, et les cadavres exquis, au contraire des écrits de Jean Fauque et Alain Bashung, deviennent des trucs précis, qui ne laissent plus assez de place à l’imagination si je les triture trop, si j’attends trop, ils se délaveront, ils perdront le nerf, et plusieurs sens que je voudrais préserver. Je me suis levé, il faut noter cela, le lendemain au réveil, la peur de l’amnésie, la peur du vide, c’est maladif, j’allume juste la lumière de la salle de bains, je ne réveille personne, pas d’invité, j’écris mal parce que mes yeux sont restés au lit. Je colle moi aussi, à l’ instant, tous ces polaroids oraux, j’ai trop souvent perdu de grands textes par oubli d’un mot, enfin, grand, humblement. La provocation nocturne vient d’une belle obsession pour la lecture, et d’un farouche besoin de sons. Je me fais peur, mon crâne n’a de repos, mais dans la journée, je le calmerai de la morphine des mélodies, tout manque se remplit, tout besoin se calme au son de merveilleuses chansons, dans le métro je mettrai mes écouteurs et je panserai les heures de sommeil perdues en y rajoutant la dose juste de lignes lues. Sur la platine virtuelle, Fantaisie militaire devient papier.

Où subsiste encore ton écho.

J’ai fait exactement le parcours que je devais faire, j’ai organisé chacun des jours de lecture comme un peintre calcule la composition de sa toile, j’ai commencé par la moitié, moi qui suis de lettres, je me suis obligé a être mathématique, je pensais que cela aiderait la leçon, mais au contraire, il se créa tant d’horizons que je fus polisson, on apprend aussi dans la passion. Parce qu’il y a un trajet a faire, oublier d’écouter toutes musiques qui pourraient gêner, troubler, centrer le temps sur douze titres comme douze heures, oublier d’écouter comme d’habitude dans les heures nocturnes toutes ces propositions de chroniques qui bouchent mon mailing, juste quelques sorties de secours pour mieux comprendre chaque chanson du livre, ces vieux rocks cités ou suscités qui baignent lueurs et ombres du chemin sensitif, les effluves de Monsieur Alain, cette sève qui l’habite, et puis trouver chaque peinture, chaque sculpture, chaque once d’art qui jalonnent presque imperceptibles ce disque, et qui sont délicatement mises à jour, à fleur de peau, à la surface des eaux noires, dans les plis de l’habit du dormeur du val par Pierre, moi, étudiant d’art, n’avais su voir les musées d’Alain. J’ai fait le parcours, chaque jour répéter jusqu’a l’abandon du son la chanson expliquée, creuser, malaxer, dénicher vérité et mensonges d’un personnage, puis d’une famille à raccord, comprendre, apprendre, la construction de la cathédrale de déflagration en déflagration. Une fois le parcours fait, subsiste encore l’écho, étrangement, la première chanson qui vint laver cette crue de Bashung, quand finalement les chansons m’eurent dompté et que je sus les apprécier jusqu’à l’invisible, fut celui d’"Eaux sombres" d’Emilie Loizeau, tout n’est que cours de fleuve, tout n’est que liquide, les amours, les mots, l’encre et la mort. On reste donc à jamais accroché à ces symboles sonores implantés que l’on a découvert, on n’échappe plus au disque, on en est le sillon manquant, on en est le découlement des phrases, et nos regards transportent désormais les images cachées de chaque faiblesses, de chaque pouvoir. Pierre Lemarchand a fait ce parcours, d’une pierre blanche à l’autre laissée sur le chemin, entre Paris et Mireval, entre un homme heurté et ses acolytes mystifiés, creusant lui aussi un des sillons de ce vinyle merveilleux, de ce sombre objet artistique désormais chair et sang du chanteur. J’ai écouté jusqu’à ce que se grave l’écho, qu’il subsiste en dedans, j’ai lu pour y mettre une chape de plomb, le magnifique livre, à l’ envers et éviter tout oubli, et éviter l’ignorance. Le plus invraisemblable, c’est que j’ai aimé plus qu’alors, les touches et retouches, les défauts et les perfections de chacune des secondes passées a l’écoute, ces détails dont nous étions aveugles des sens, ces histoires qu’on disait légendes et qui se font matière, palpable comme une maladie. On savait tous qu’il restait peu de temps, alors réveillons le dormeur du val pour ne pas perdre le temps à venir, qu’il nous fasse écho de 12 vies autant brisées que reconstruites, les 12 cadavres exquis qui dorment dans la robe flottante d’Ophélie.

Fantaisie Littéraire

Bashung, c’était pour moi, avant l’exil, ce merveilleux "By proxy", suaire de mes détresses, nœud de mes veines, ce "Novice" obscur comme la passion, dont les éclats taillaient l’âme ci-et-là, suivant les heures, les heurts et les peurs, et puis je partis ailleurs, là où malheureusement, la langue française n’est qu’une vieille lecture classique. J’ai oublié, presque volontairement, tout ce qui se faisait en hexagone, disparus les Marc Seberg, les Hardy, les Kat Onoma et tant et tant d’autres, je fis un écart. Ce n’est que depuis peu que je suis retourné travailler les chants, de ma fosse à mots, de mes semences à sons. Je suis retourné en arrière et j’ai regardé devant, j’ai rattrapé le temps de Proust, je suis revenu sur terre. Aussi est-il vrai qu’en voulant connaitre le futur des mélodies, les nouveaux talents, on en profite souvent pour regarder ce qui fut avant, je suis revenu avec obsession à Brel, je suis revenu passionnément sur Bashung, sur d’autres, bien sûr, mais ici, nous parlons de lui, sa juste importance, son ampleur, son omniprésence dans notre boite crânienne, ce fait somptueux qu’il ne soit pas parti, ce que l’on nomme la grandeur d’un. Pierre pourrait parler, sans doute, de chacune des peintures de cette âme en peine, et trouver en chacune les clairs-obscurs, leurs rapports avec l’art, ou avec l’écriture, l’enfance et ses langages à frontières, la douleur, l’homme, et parfois l’action infime d’un regard sur un détail, l’histoire intime d’une rime. J’ai donc fait le chemin depuis le milieu du livre, celui qui explique chaque chanson, la théorie, le pourquoi et le comment, où subsiste la poésie pour déterrer un peu mieux, un peu plus, les démons et anges qui y dansent, chaque jour je posais en boucle la chanson correspondante, m’enivrer de chacune des vérités émises, trouver le sens et les sens que l’auteur et l’écrivain avaient accordé, y entrevoir l’apport de chaque talent de passage, désormais éternels. Je n’écoutais que le jour, le soir fausse les pistes, le soir me demandait trop ma personnalité, je n’aurai pas avancé, je n’aurai pas vécu. Les chansons dans l’ordre, puisque chacune à sa place, et les chambouler serait pervertir l’idée du disque, la philosophie du conteur, ce serait comme mal interpréter un testament. Et le petit trésor divin est là, dans la compréhension au-delà des textes et des heures de studios et de cuisines, d’apprendre non pas le personnage, sinon la personne créatrice, la matrice d’un petit univers certes friable, mais tout autant éternel qu’est Bashung, ce petit génie intime, calculé de rêve, comptable de mots, artiste des portées de vues. L’essence de Bashung se trouve dans les silences de sa présence, dans le dos de ses invités, dans le coin sombre du studio, l’ouïe fine qui œuvre même dans les torpeurs et les fatigues, la sagesse de celui qui a fait le chemin assez de fois comme pour y mener les autres à l’aveuglette, Pierre décrit parfaitement cette présence absente, cette liberté surveillé que Bashung offrait a ces petits protégés (qui l’ont tant protégé). En cela apporte le livre, la clarté, cette manière acquise de faire les tours de magies obligés pour avancer, pour créer, pour pousser plus loin les panoramiques, ce besoin de syllabes pour sonoriser une idée, de vocales pour rythmer la chanson, et des heures et des heures à l’écoute de soi et surtout des autres, jusqu’ à trouver la personne adéquate à chaque corde, à chaque touche. Fantaisie Militaire ne doit pas seulement s’écouter, il doit se vivre, se comprendre et plus étonnant encore, continuer à grandir. Alors, dès lors, chaque chanson obtient son Adn et son empreinte, l’Adn, ce sont ces unions qui forment le corps, l’anatomie, ces guitares d’Edith, ces horaires d’Ian, ces collages de Jean, l’empreinte, c’est ce qu’il reste depuis 1998, cette chair de poule qui n’en finit pas de caresser nos nerfs, ce travail de sape qui à chaque marée nous ramène "Malaxe" ou" Sommes-nous" comme une écume, le sel, l’ailleurs, l’empreinte, c’est cette fontaine de jouvence qu’est ce disque, qui ne vieillit plus, et dont l’eau emporte Alain vers la profondeur noire et verte de notre mémoire.

Recomposer la destruction, détruire le chaos.

Une fois bu les vers, uns à uns unis à l’univers, une fois dévoré chaque centimètre de notes, et l’histoire mi-légende mi-réelle de chaque composition, je me suis enfoui dans l’autre conte, le travail archéologique fait de jour, laissa sa place à la rêverie spirituelle, la nuit, celle qui ne ment pas. Je prenais le livre depuis le début. En revenant sur le droit chemin du livre de Pierre, on découvre l’homme sous la chape du personnage, bouleversant cette idée saugrenue qui nous naissait en le voyant dans ce calme fiévreux, que rien ne l’atteignait parce qu’il ignorait volontairement ce monde aux alentours, une sorte d’autisme de l’artiste, une image qui avait besoin de se préciser, de brasser l’air enfumé qui l’entourait, et de laver cette iconographie de faiblesses, de maladresses qu’il laissait dans ses rares présences télévisées, un certain je-m’en-foutisme, d’être là sans y être, du moins, c’est ainsi que je me remémore les premiers contacts visuels, après, chacun l’a ressenti d’une manière différente, par la difficulté à cerner le vrai du faux, se crée un manteau, mais chacun, et c’est là son pouvoir, chacun l’a ressenti. L’époque de Bashung "Gaby" me paraissait frivole, en vrai, je ne comprenais pas l’effet désiré, et puis je vivais dans une coquille baudelairienne qui me bloquait les sorties immorales, je n’accrochais ni au chanteur, ni à son chant, si j’avais appris avant, si j’avais su, j’aurai été un tout autre homme, sûrement. C’est "Novice" qui m’a bousillé les artères, qui a donné sens aux entrailles, et c’est désormais "Fantaisie militaire" qui m’explique ce monde inexistant tel qu’il est. Alors rendant à César ce qui n’est à personne d’autre, Pierre a fait des merveilles pour élucider les mystères de Bashung, les méandres, les raisons des déraisons. Il y a bien plus de lumière dans les éclairs d’Alain, que d’obscurité dans les ombres de Bashung.. Je me baignais dans les mots de l’eau sombre. Chaque artiste a sa manière de faire, sa méthode de création, je suis assez ignorant dans ces demeures, naïvement je croyait que le chanteur pondait son idée, ajoutait les sons et voilà la chanson, bêtise, Bashung savait la chanson avant même qu’elle naisse, il avait déjà trituré dans ses heures, dans les détails de sa vie, dans les petits riens et les grands tout, d’un divorce, d’un mal d’être, d’une information au journal de 20h, Alain savait déjà vers où se tordrait sa langue, restait à savoir qui la comprendrait de la même manière, et saurait en ôter la timidité, la retenue, restait à savoir qui la propulserait. Pierre décrit cette méthode comme la formation d’une famille, non pas comme un travail, un ouvrage, mais comme une quête, un assemblage quasi familier de personnes, d’émotions, d’intersections, chacun croisant l’idée de l’autre, une explication aux recompositions des pensées Bashunguiennes. Cette première partie du livre, livre et délivre les informations justes pour entendre le génie d’un ensemble, la sensibilité de Bashung et l’osmose d’Edith, de Claude, d’Ian et de tous ces participants, ces passants qu’a arrêté Bashung sur le chemin de la magie. Il m’a été très dur, magiquement et merveilleusement dur, de laisser tomber les écouteurs quand la lecture et l’écoute finissement, il y a comme un flottement, une ivresse, cette sensation de n’avoir ni de plaies ni de blessures, ni même de corps, et cette intime paix de savoir qu’on a compris, qu’on a appris le disque (reste le vague, le flou et l’imaginaire que nous laisse nos propres sentiments et sensations). Il m’a fallu me forcer à aller écouter autre chose, avec ce stupide besoin récent de me demander à chaque chanson de chaque auteur comment s’est cousue cette toile, comment s’est élaboré l’incroyable, en fait, je donne désormais un peu plus d’importance à l’avant qu’aux vestiges des disques, merci pour cela Pierre. Quand à Bashung, j’arrive peu a peu à croire en ce personnage puisque je commence à connaitre la personne, et les "Gaby" retrouvent leurs jouvences et des errances un peu plus profondes, quant à Bashung, je l’apprécie désormais comme un mécène de sa vie, de ses petites choses, qui font des gestes grandioses, comme un génie de regard perdu, mais de vue aigüe, d’ouïe surréaliste, mais d’écoute humaine.

Pour mémoire et pour vos oreilles, retrouvez un des hors série des compilations ADA, une relecture de fantaisie militaire :




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