Des arpèges de guitare sèche se dissipent dans les airs en une mélodie emportée et douce, rejointe rapidement par une batterie ronde, rare, éparse, très Bertrand Belin dans l’esprit, puis une voix gardée dans la moustache susurre alors : l’anglais doux file une histoire comme de coin de feu de camping sauvage. Alors se réveillent les vents, des flutiaux assourdis, s’écoulant sur la guitare régulière ; c’est la très belle poigne qui nous entraîne chez le lyonnais Raoul Vignal et son univers d’une folk de sourires et de vague à l’âme, quelque chose qui peut rappeler un Nick Drake qui retrouverait la lumière, qui tiendrait un disque de douceur et de foi.
Le conteur s’amuse alors à rappeler toutes ces choses bucoliques de cette manière un peu détachée, un peu spectrale, alors que les instrumentations s’additionnent, se condensent : les échos roulent un peu parmi l’herbe, les harmonies surgissent d’un trait ajouté, se confortent sur la longueur et les flanquées majestueuses : on en revient aux obstinations humaines, les rêveries sur le très beau The Dream, où une sorte de marimba se joint à la guitare pour offrir le scintillement argentant la composition, les flûtes pâment le tout magnifiquement, puis soudain le grand bond du silence. Raoul s’en rend bien compte, il le sait, une grande composition est aussi celle qui connaît le silence, qui l’accepte, s’en sert, qui respire, alors son album est un album de bouffées d’air entre deux apnées séraphines : d’un côté l’avalanche d’or de ces échappées de guitare (on pense en parallèle à certains Thomas Mery), de l’autre la nature évoquée et son grand silence, l’adorable surgissement de ces riens qui ne font que détacher encore plus ces myriades de notes en face, ces guitares échevelées.
Au milieu de ces errances en paysages sonores étoilés, une obsession vient et revient, celle de toucher au beau, à l’élégant dans la simplicité apparente : on tend alors vers le ciel, ou les belles choses du pardon (on s’avoue avoir pêché), on invoque les vagues et leur grand univers en deux parties, on pense à Phil Elvrum qui n’avait de cesse de parler de l’air soufflant à travers les forêts de sapins, avec cette fois les instruments qui viennent évoquer le relent de la houle sur les rivages, dans la deuxième partie instrumentale, où le chant n’est plus qu’une plainte maritime, un accent « inconnu à la terre » baladant vers l’azur. En quelques notes, en un rien, l’évocation limpide, dans la fragilité du tout : et on vient nous jouer à même l’oreille, et on n’a pas cette désagréable sensation d’un trop-parfait d’une production qui aurait tué la nuance, refroidi l’émotion. D’un bout à l’autre, on voudrait lire sur les lèvres de Raoul pour s’étonner encore de ce qu’il viendra raconter, dans cette émotion simple de ce qui vit simplement.