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J’ai de la tendresse pour ceux qui se cherchent. Maître Gims, à la suite de ses aventureuses extrapolations sur les pyramides égyptiennes, dont le sommet en or aurait permis la transmission d’ondes électriques, s’est vu moqué jusque dans une série de publicités concoctées par EDF, qui pourtant n’a pas le monopole de la vérité, si l’on se réfère au greenwashing enrobant désormais toute communication en rapport avec l’énergie. Alors certes, face à une théorie too much, on ne peut que ricaner, mais c’est trop facile et, au fond, Maître Gims ne voulait-il pas avant toute chose exprimer un besoin essentiel, qui est de se sentir - au travers d’une origine valorisante - bien dans sa peau ? Voilà la Constante du Doudou : tout le monde a besoin d’un doudou, et le doudou est partout. Ici des muscles, là des tatouages, ou encore une grosse voiture, des dents brillantes, des livres rares, mais également des dieux et des idéologies braillardes, oui, tout le monde a un doudou, même ceux qui pensent ne pas avoir de doudous (moi y compris).

Depuis le début de sa carrière, au-delà d’un indéniable succès critique et public, Héloïse Adélaïde Letissier prend cher. Moi-même, goûtant avec un enthousiasme modéré l’atmosphère brumeuse de ses premières compositions – un bleu nocturne tel qu’on le reçoit, après une soirée passée à converser avec Christophe, au tout petit matin –, je ne savais que penser de ses scénographies, et notamment cette manière si particulière d’animer son corps, vêtu de costumes cintrés et de mocassins, désarticulation classieuse et lente d’un Michael Jackson sous anxiolytiques. Ma girlfriend de l’époque adorait, mais le doute m’habitait : parodie or not parodie ?

Questionnement vain, à la mesure des incessantes interrogations qui ont jalonné le parcours de Christine and the Queens : son rapport à l’univers queer, l’androgynie de la période Chris, le débat sur l’utilisation de boucles sonores standarts (complètement con, la plupart des « artistes » se basent sur des sons usinés par d’autres, en témoigne l’utilisation généralisée des banques de données MIDI, et au final voilà pourquoi tout se ressemble – l’underground n’échappe évidemment pas à la règle), le choix de pseudonymes peu appréciés (Sam le Pompier, Rahim, Redcar ou un simple point de ponctuation) et une palanquée de déclarations anguleuses sujettes à des commentaires stériles. Vous souvenez-nous de ce type en larmes nous suppliant, dans une virale vidéo Youtube, de foutre la paix à Britney Spears ? Je pense qu’il faut savoir se montrer équanime et ne pas tout prendre au premier degré, face à quelqu’un qui cherche et se cherche et n’impose rien à personne : même les disques, personne n’est obligé de les acheter.

Tu veux des pyramides télépathes ? D’accord. Tu veux être ce que tu veux et même ne rien être du tout ? D’accord. Mettons en pause rationalité et sens critique, puisque des âmes sensibles en ont besoin. Ton tatouage est très joli, tes piercings aussi, ta grosse voiture m’impressionne, tes bourrelets sont sexy, et ne parlons pas de tes croyances et de tes idéologies, qui sont forcément géniales, car tu as toujours raison. Je sais m’effacer. Je le fais avec grâce, parce que j’ai de la tendresse pour toi, en vertu de la Constante du Doudou.

Et donc, nous voilà, muni d’une infinie compassion, face au quatrième album de Christine and the Queens, qui se voit – en trois parties et vingt titres - comme un prolongement du précédent, Redcar les adorables étoiles (prologue). Produit par Mike Dean (Kanye West, Rihanna, Justin Bieber, etc.), Paranoia, Angels, True Love bénéficie d’un son énorme, taillé pour un stade américain, réverbération XXL à l’appui – des concerts de Taylor Swift, Beyoncé et Lady Gaga, j’en ai récemment observé sur les diverses poubelles culturelles qui nous servent de dérivatifs à l’ennui (Amazon, Netflix & cie), et je reconnais que les chansons de ce nouvel opus (épure rythmique, collations de nappes vaporeuses, vocalises millimétrées baignant dans un océan d’effets) y trouveraient un écrin idéal.

Dans ce registre oversize, ballades éclairées à coups de briquets, mid-tempos luxueux, envolées électro, Christine and the Queens paraît tout à fait dans son élément, capable de faire chavirer le cœur de la terre entière. Des artistes français éclatant à l’international (c’est à dire USA-compatibles) (et, tout à coup se réduit la notion d’universalité), il y en a eu peu (récemment : M83, Phoenix, Justice), donc on ne va pas bouder notre plaisir, sachant que les Français font en musique moderne tout moins bien que les autres – au mieux, on imite. Si Madonna agrémente Angels Crying in my Bed, c’est anecdotique, tant Héloïse n’a besoin de personne pour grimper au sommet… de la pyramide. Une telle ambition artistique est franchement admirable. Paranoia, Angels, True Love déborde de tout, à tous points de vue, et fracasse avec aisance toutes les cases dans lesquelles on assignait jusqu’ici l’insaisissable Christine and the Queens.

Il y a dans ce chant vibrant, emporté et néanmoins précis, chatoyant et déterminé, expérimental et mélodique, une intensité douloureuse, rappelant sur Track 10, guitares électriques barrées à l’appui, aussi bien Robert Plant que Sia : ce morceau est une dinguerie, comme tant d’autres (sur He’s been shining for ever, your son, on croirait entendre croiser le fer Kate Bush, Grimes et Liz Frazer) et il est évident qu’une seule écoute ne saurait venir à bout de Paranoia, Angels, True Love, à propos duquel l’on n’émettra qu’une vague inquiétude, relative à l’équilibre émotionnel de son interprète, en résidence sur de bien volcaniques montagnes russes. En effet, on a des exemples récents de grandes ambitions artistiques flirtant avec la démesure et plongeant leur auteur dans un marasme psychologique, tel Sufjan Stevens et son incompris The Age Of Adz : puissent la fougue et la générosité de Christine and the Queens ne pas lui jouer de mauvais tours.




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