Il existe dans les expressions toutes faites une qui me chagrine toujours, celle qui résume une chose à découvrir comme un lieu où aller les yeux fermés, ce qui dans le cas du cinéma est quand même préjudiciable, comme d’ailleurs dans celui de la littérature aussi. Pour la musique cette expression peut prendre un sens tout autre, et c’est le cas avec traverser de rrupt. Inspiré d’une nouvelle de Lionel tran, ce disque aspire l’imagination qu’il nous reste avec ce trop-plein d’images, pour mieux lui permettre de partir dans des zones qu’elle n’aurait pu aborder autrement. Que ce soit avec appel (RRR) qui ouvre ou avec hors somme qui suivra, on nous transporte dans un lieu sans contrainte, sans relief attitré, sans zone d’ombre non choisi, sans imposer sa vitesse. Jouant avec la rythmique orientale et des sons à la cristallinité chaude que Bjork ferait bien d’utiliser si elle ne veut pas définitivement nous congeler, ce disque s’arrange avec son entourage pour faire dire ce qu’il veut (sande) avec ce qu’il a, sans forcer la chose à être ce qu’elle ne veut pas. Douceur, martialité accueillante, mouvement dans un espace à la féminité charmeuse, sensualité progressive voir érotique dans le spasme suggéré, traverser est le seul disque de l’année à se passer de mots sans en dessiner de nouveaux, sans écrire une grammaire pour s’enfermer à l’intérieur. Si Tecehe inquiète, il sera vite adouci par une guitare vaporeuse et belle, redonnant à la beauté ses lettres de noblesses, celles de ne pas être une anormalité, juste une possibilité de plus. Traverser est loin du désert, tout en y étant, peut importe, traverser c’est avant tout le bruit de votre imaginaire quand il fait connaissance avec la liberté non polluée par le réel. Arrivant trop tard pour être le disque de l’année, traverser n’en a que faire, il sera le disque d’une vie. Magnifique.