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Interview réalisée en février 2008

PETITES HISTOIRES DE NOS CHANSONS (d’après Luc Brien)

VIENS AVEC MOI

— Dès les premières tournées du premier album (Déjeuner sur l’herbe, n-d-a) j’avais composé ce morceau pour débuter nos chaudes nuits de shows. Avec son ouverture de batterie un peu soul, son fuzz qui monte tout-à-coup comme une érection de gamin, la basse qui se construit par-dessus le tout comme une allumeuse et puis on gueulait VIENS AVEC MOI VIENS AVEC MOI comme le joueur de flûte de la fable et tous les rats nous suivaient jusqu’à l’aurore. Pendant deux ans, j’improvisais toujours les deux couplets. Lorsqu’est venu le temps de pondre des paroles, mon co-auteur, Johnny Maldoror, ayant descendu une bouteille de mauvais whisky s’est exclamé : la vie c’est mortel, bébé !!! Le bridge était né. Ce que j’aime des paroles de cette chanson c’est que, alors qu’on pourrait croire que ce n’est qu’une banale histoire de garçons et de filles, c’est quelque chose de beaucoup plus sinistre dont il est question. Mais je ne vendrai pas la mèche.

CHANSON POUR DESTINÉE


— Beaucoup de journalistes français y ont vu une réponse à Guy Marchand dans Les Sous-doués en vacances. Désolé de ne pas leur donner raison, même si nous raffolons de La Passionata (premier simple, 1965). Destinée était le nom de cette pauvre fille riche qui était la plus jolie de l’école et dont Johnny Maldoror et moi étions amoureux. Avec les années, son souvenir la dépassa et devint une métaphore de tout ce dont nous connaissions à propos d’à peu près tout. Bien entendu, elle ne valait pas le coup et cette chanson ne parle pas vraiment d’elle. Seulement un peu de sa sonorité.

FUNNY FUNICULAIRE

— Un jour, un ami bédéiste me téléphone pour m’apprendre qu’il a ramené en douce une vraie bouteille de vraie absinthe de Croatie. Je me précipite chez lui, dans le Vieux-Montréal, et il me fait toute la cérémonie avec la cuiller et le morceau de sucre. Par la fenêtre, je fixais la Place Jacques-Cartier et mon regard monta soudain la colonne de l’amiral Nelson et toutes mes amarres se sont larguées toutes seules, je me suis vraiment mis à planer… plus haut, toujours plus haut. Je me disais qu’il fallait écrire quelque chose là-dessus, mais que toutes ces images de fusées, de tapis volants, de soucoupe volante qui grimpent au zénith avaient toutes, déjà, été utilisées. Qu’est-ce qui monte ? Un funiculaire ? La sonorité est tellement dégueulasse, qui aurait le courage d’écrire sur un funiculaire ? Funi, funni... Funny ! Funny Funiculaire ! Pourquoi pas ? Et avec Suzie McLelove qui y colla sa musique (qui m’a toujours rappelé Blondie), ce fut le premier succès des Matins de Grands Soirs.

TOUT VA POUR LE MIEUX DANS LE PIRE DES MONDES


— À Montréal, les bars ferment à trois heures. Vers deux heures quarante-cinq, lorsque retenti le terrible DERNIER-SERVICE-LAST-CALL et que le DJ nous menace tous qu’il mettra un dernier, MAIS UN DERNIER MORCEAU, la tension est palpable et dangereuse et, pour plusieurs, le sort du monde s’est plus que souvent joué, à l’intérieur de ces quinze maniaques minutes. C’est Suzie McLelove qui était revenue d’une lecture d’une autobiographie de Siné (Ma vie, mon oeuvre, mon cul, volume 1) avec l’idée et la mélodie du refrain.

DA-DI-DAM

— À l’origine, c’était une mélodie qui dormait depuis des centaines d’années dans l’archaïque huit pistes de Suzie. Elle avait fait l’harmonie à 10 voix toute seule et nous en étions tous amoureux. En studio, nous avons fait cinq voix à cinq garçons et Suzie a fait les 5 ou 6 autres qui restaient. Elle est vraiment la princesse des harmonies. Da-di-dam est une courte pièce salutaire qui ralenti la syncope de l’album pour un trop court moment béni. Certains la voient comme un jingle des années cinquante, d’autres comme une trame sonore pour barbier, d’autres comme un Brian Wilson halluciné.

ET J’APPRENDRAI QUE C’EST L’HIVER

— C’est l’histoire de quelqu’un qui décide de se cracher dans les mains et de foncer. Il passe par Manchester, se fait blinder le coeur à Koursk, est fait prisonnier, s’enfuit de Sobibor, prend un bateau à Anvers et, quelque part (nous nous doutons bien qu’il s’agit d’une île à la Bora-Bora) il reçoit une carte postale qui lui parle de l’hiver, du froid, de la glace. Un journaliste montréalais a salué notre utilisation des violons dans cette chanson. Il n’y a aucun violon, dans cette chanson. Peut-être y a-t-il vu une chanson d’amour ?

EN DANSANT LE YAH

— Un must pour vos soirées dansantes ! Facile à chanter, facile à danser, il vous prendra, à l’écoute de ce morceau endiablé, une folle envie de tout cassé autour de vous, d’abandonner votre travail, vos études, d’embrasser la meilleure amie de votre fiancée même si elle est juste à côté, de grimper au troisième et de réveiller tout l’étage pour qu’on vienne enfin vous retrouver et s’en beurré la gueule une bonne fois pour toute. Le Twist ? Le Mia ? Le Pogo ? Tout ça c’est fini ! Vive LE YAH ! Sunny Duval en est le Grand Architecte.

PAS SANS SAVEUR


— Une vieille légende huronne raconte que Suzie McLelove a composé cette musique et les paroles qui vont avec en l’espace de cinq minuscules minutes... c’est vrai ! J’y étais !! Ce petit bijou punky qui est toujours un moment fort dans les beuveries où nous sommes convié brille entre autres choses par sa simplicité de jamais vu. Qui est le génie qui, avant mademoiselle McLelove, avait pensé faire rimer sans peur avec biscuit au beurre ? Rock and Folk l’a souligné et l’Histoire lui donnera raison. Derrière chaque grande guitare se trouve une femme.

LE ROI EST NU

— Musicalement, il y avait longtemps, peut-être des années, que j’avais cet air en tête. J’imaginais que le chanteur était Dion DiMucci de Dion and the Belmonts. Soudain, après le premier essai studio, le bazar me fit plus penser à The Jam (voir Standards) ou même à The Who (voir So Sad About Us) qu’à un orchestre de Doo-Wop. Bizarrement, à l’écoute du Roi Est Nu, tout le monde me parle de punk rock français, les VRP, les Wampas... Qui a raison ? Un animateur de radio de Toronto m’a déjà dit en interview que les Breastfeeders écrivaient des textes naïfs... j’ai répondu qu’il fallait être bien naïf pour croire que nos textes étaient naïfs. J’ai dit : peux-tu me dire ce que raconte Le Roi Est Nu ? Il est passé à une autre question...

QUI A DEUX FEMMES

— Je voyais effectivement deux filles depuis de trop longs mois et un scaphandrier de l’âme n’aurait rien vu d’autre qu’une eau brouillée et opaque s’il avait plongé en moi. Ce soir-là j’avais trop bu et trop fumé, je me cognais contre les murs au propre et au figuré, un vrai petit modèle réduit de personnage de Dostoievski pour débutant. Je suis rentré chez moi, pathétique et rond, j’ai allumé la radio et deux voix de speakers ont gueulé à l’unisson : QUI A DEUX FEMMES PERD SON ÂME. Ben merde. Shit. Ne sortez cependant pas vos mouchoirs et n’ayez pas peur. Ici on ne s’apitoie jamais : Qui a deux femmes a un beat sautillant à la Otis Redding sur le speed et Antoine et les Problèmes aurait pu nasiller le texte. Sunny Duval adore y torturer ses cordes.

OÙ ALLEZ-VOUS SI VITE ?

— Superbe riff d’appellation contrôlée embouteillé au Château McLelove. Ça commence en attaquant doucement le palais avec ce vouvoiement qui n’a pas été utilisé depuis le siècle dernier. Je raffole des passages « les trains n’arrivent jamais à l’heure — ni l’argent, l’amour en couleur », « la langue au chat et l’âme au diable » et le truc sur les balles perdues et les mots que personne ne lit. S’il faut nous trouver des perles se sera peut-être en pigeant dans le sac d’où allez-vous si vite. Écrite sur mon balcon en une nuit par Johnny Maldoror et moi, Suzie l’endisquait le lendemain avec une guitare un peu Byrds et un truc avec des cloches.

TUER L’IDOLE


— Nous étions le « house band » d’un festival de films et nous avions comme engagement de composer un joli petit thème musical illustrant le cinéma. Le voici. Rock n’roll et bien bâtard. Fait étrange et insolite : sans être au courant de rien on faisait rimer Hollywood et Nathalie Wood sans savoir que cette dernière n’aurait, semble-t-il, pas tombé du fameux yacht fatal, mais qu’elle aurait été jetée par-dessus bord par son mari ou par son amant ou peut-être même les deux. Il est à noter aussi que le riff principal déboulonne les statues.

TU N’ES PAS MON CHIEN

— J’étais certain, en sortant ce morceau, de me faire cruxifier pour plagiat d’un certain 45 tours britannique sorti en janvier 1965 sur étiquette Brunswick et puis non, personne n’a trouvé. Des deux côtés de l’Atlantique, on ne me parle que d’Iggy Pop et des Stooges et de leur I Wanna Be Your Dog. Il paraît que ce serait une réplique à cette chanson. Pas du tout : j’avais vu cette superbe fille qui sortait d’un magasin quelconque et son chien, qui devait l’attendre dehors depuis deux maigres petites minutes, débordait d’une joie sans borne de la retrouver, il explosait littéralement de bonheur et de plaisirs comme s’il s’était passé une éternité entre l’entrée et la sortie de la maîtresse dudit magasin quelconque. S’il avait parlé, je crois qu’il lui aurait dit : « j’ai cru mourir sans toi, ne me quitte plus jamais, même une minute, ne pars plus, je suis à toi, tout à toi, tu me sauves la vie à chacun de tes respires ». Il n’y a que dans les films et que dans les chiens qu’on entend parler comme ça.

SEPTEMBRE SOUS LA PLUIE

— Pour être franc, c’était un soir d’octobre. Je voulais écrire et je m’étais acheté du vin. Pour m’aider. J’en étais à la moitié de la bouteille et rien ne venait. Dehors il ne pleuvait pas, mais ça respirait le gros automne bien triste et propre à fourguer de la nostalgie de jours meilleurs. J’ai mis un vieux vinyle, un album d’anciens succès jazzy des années 50, Sentimental Journey, « the golden treasury of freshly-recorded songs and melodies of memory and nostalgia ». Il y avait cette chanson, September In The Rain. J’ai traduit le titre en français, stoppé la platine et le reste a suivi. Je me souviens que lorsque nous avons voulu essayer la cornemuse qu’on entend au début et au solo de notre Septembre sous la pluie, certains musiciens ont voulu quitter le groupe et notre maison de disque a menacé de déchirer le contrat. Mais lorsqu’ils ont entendu le résultat, ils étaient tous soudain bien contents d’avoir eu l’idée de la cornemuse en premier.



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