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Interview préparée en Mai 2005 et réalisée en Septembre 2005.

Tout vient à point… Une interview initialement prévue au moment de la sortie de Not On Top et de la tournée consécutive mais qui ne trouve qu’aujourd’hui sa place dans nos colonnes. Peu importe que la chronologie se voit contrariée tant on se réjouit de pouvoir échanger avec les prolifiques et fins mélomanes Herman Düne. Par courrier électronique interposé, David-Ivar nous éclaire sur la conception de leur dernier long format. Avec finesse, sans détours…mais pas sans ironie : quand l’interviewer perçoit au travers de quelques réponses la connerie de certaines de ses interrogations…

Ma copine ne possède pas une culture musicale très étendue. Néanmoins elle écoute les disques que je joue chez nous. Dès les premières écoutes de Mas Cambios elle est tombée sous le charme. Durant les années qui séparent vos précédentes productions de Not On Top, elle passait Mas Cambios au minimum une fois par semaine. J’en viens à ma question : elle apprécie également beaucoup Not On Top mais elle le trouve moins " immédiat " (elle reprend moins les paroles en chœur par exemple ;)). Il me semble que vous avez exploré plus de pistes sur Not On Top même si vous conservez cette facilité mélodique qui est la vôtre. Qu’en pensez-vous ?

— Eh, je ne crois pas que la culture musicale y soit pour grand chose ici. Si ton amie apprécie Mas Cambios, elle a certainement la culture pour apprécier Not On Top. Ce serait plutôt une question de goût. J’ajouterai quand même qu’il m’arrive souvent lorsque je découvre un artiste, de placer l’album que j’ai découvert plus haut que les autres parmi ses disques. Goo restera toujours mon album préfèré de Sonic Youth, c’est le premier que j’aie eu, Sweden restera toujours mon album préfèré des Mountain Goats, c’est le premier que j’aie eu. C’est très dur de retrouver les sentiments qu’on a en découvrant un artiste qu’on apprécie, dur de les retrouver plus tard, je trouve... Enfin, pour revenir à Not On Top, je ne pense pas que nous l’ayons écrit ou enregistré de façon moins immédiate. La plupart des prises en studio qu’on a gardées pour l’album sont les premières à avoir été enregistrées. Nous avons aussi toujours aimé les chansons assez simples et courtes avec une sorte de refrain, assez " Pop " parfois, en somme, c’est souvent une forme que j’apprécie de l’écriture en chanson. Bref, je ne pense pas qu’il y ait eu une différence d’intention, entre Not On Top et Mas Cambios. Ce sont des chansons différentes, c’est sûr et l’enregistrement était beaucoup moins précaire.

Cela tient-il à l’accès à un peu plus de moyens durant la phase d’enregistrement ?

— Vu que le " cela " en question n’est pas vraiment clair pour moi, je dirai que l’enregistrement a été différent, mais comme tous nos albums se sont fait différemment avant. Notre album Switzerland Heritage avait bénéficié de beaucoup plus de moyens que Not On Top, déjà. Et je ne pense pas que l’enregistrement change fondamentalement les chansons, pas si elles sont bien écrites, j’espère.

Concernant l’enregistrement, j’ai lu qu’André et David dormaient au studio. Avez-vous besoin de cette proximité avec les instruments/le matériel ?

— Nous dormions tous au studio, Julie, Néman, Lisa, André et moi. André et moi ne dormions pas, en fait, on mixait l’album la nuit, et on enregistrait le jour. Ce sont des bonnes conditions, car les bonnes idées ne viennent pas a une heure fixe, donc le plus on reste au studio, le plus on a de chances de les capturer.

On sait que l’une des particularités de l’enregistrement de Not On Top tient au mixage en mono. Que recherchiez-vous en privilégiant ce type de mixage ? Quels sont les apports du mono ?

— Comme je l’ai souvent répondu à propos de nos dernières productions (toutes en Mono), la question pour moi était plutôt : quels sont les réels apports de la stéréo ? Ou bien : Y a-t-il une réelle raison pour que presque tous les enregistrements soient conçus dans un espace sonore stéréo. Je crois que à moins d’écouter la musique en restant immobile entre deux speakers, la stéréo est beaucoup moins fidèle aux intentions des musiciens que la mono. Et que présumer de la position d’un auditeur pour un mix est un peu autoritaire, un peu comme quand les peintres de la renaissance, avec l’emploi de la perspective, interdisaient les multiples points de vue, la stéréo interdit les multiples points d’écoute, ce que je ne souhaitais pas pour nos enregistrements. J’aime beaucoup la stéréo ceci dit, et je pourrais l’employer, je trouvais juste intéressant de signifier qu’elle n’est pas obligatoire.

Doutez-vous au moment de l’enregistrement ? Par exemple savez-vous parfaitement quand l’album est terminé ou êtes-vous du genre à retoucher l’album indéfiniment ?

— Je pense qu’on doute toujours en enregistrant. Avec l’expérience, ceci-dit, j’ai appris que ces doutes ne portent jamais sur l’essentiel. Du genre : oh j’ai fait telle ou telle erreur technique, ou : la fin du morceau est trop abrupte, ce genre de détails. Je pense que nous avons lentement appris à ne plus s’écouter trop en détail, et à reconnaître ce qui allait à l’encontre de la chanson. Il faut enregistrer la chanson, pour qu’elle s’écoute bien et avec plaisir, c’est cela que nous avons en tête. Maintenant, on doute toujours de nos chansons en studio, ou d’une ou deux chansons, mais le studio n’est pas un temps d’écriture, mais un temps de réalisation et de naturel, si on veut un bon résultat je trouve. Donc, il vaut mieux inspecter son écriture avant le studio, si on ne veut pas paniquer pendant l’enregistrement je trouve.

J’ai beaucoup aimé Goodnight Nobody , la voix de Julie Doiron magnifie vraiment les morceaux où elle apparaît sur Not On Top. Pardon si l’on vous pose souvent la question mais comment s’est faite la rencontre ?

— En 1998 je crois, j’étais en séjour a l’IIT, Illinois Institute Of Technology, pour apprendre l’architecture dans l’école de Mies Van Der Rohe à Chicago. A Chicago, il y avait ce club le Lounge Axe qui est ferme maintenant, où il y avait des bons shows je trouvais. Je connaissais Jason Molina qui chante sous le nom de Songs : Ohia et un soir qu’il jouait là-bas Julie jouait aussi. J’ai beaucoup aimé ses chansons, et Jason me l’a présentée et nous nous sommes bien entendus. Un peu plus tard on jouait dans le même festival à Austin au Texas et on a commencé à parler de jouer ensemble, et puis on l’a invitée à tourner avec nous pour Turn Off The Light, notre premier album, et depuis on se voit aussi souvent que possible. Julie est la personne la plus enthousiaste que je connaisse, et jouer avec elle est toujours un plaisir. Elle est ouverte à tout, et bien sûr, sa voix est extraordinaire, nous nous entendons très bien musicalement, elle a plus d’expérience que nous et nous apprend beaucoup, en plus elle aime chanter des morceaux de New Morning, ce qui est toujours super...

Vous semblez apprécier les collaborations. Julien, un de nos rédacteurs, me souffle que vous avez collaboré avec Françoiz Breut pour son dernier album. Est-ce que ça vous a plu d’écrire des textes pour une autre personne ?

— Bien, oui, on adore les collaborations, on en fait beaucoup. Mais écrire des chansons pour quelqu’un, c’est pas vraiment ce que j’appelle une collaboration. Je pense qu’une bonne chanson peut se chanter par quelqu’un d’autre, donc je suis content quand quelqu’un veut chanter une chanson à moi, ça me fait plaisir. En plus j’aime beaucoup Francoiz, donc ça m’a fait plaisir.

Qui rêveriez-vous d’inviter sur votre prochain album ?

— J’aimerais que notre prochain album soit très simple, je ne sais pas si il y aura des invités. Je ne rêve pas d’enregistrer avec telle ou telle star, ceci dit j’ai la chance que mes artistes préférés soient aussi mes amis ou même de ma famille, donc si je veux enregistrer avec eux, je le peux. Comme : Turner Cody, Jeff and Jack Lewis, Kimya Dawson, Prewar Yardsale, Lisa Li-Lund, Rachel Lipson, The Wave Pictures etc... Voilà la musique qui me fait rêver. Maintenant, j’aimerais beaucoup qu’on m’invite à jouer sur des albums plus souvent. Et je rêverais d’être invité à jouer avec David Berman (Silver Jews), ça, ça serait un rêve.

Not On Top et Goodnight Nobody quoique différents dans l’atmosphère qu’ils créent me semblent quasi indissociables. Vous paraissez vous être fondus dans l’univers de Julie Doiron et réciproquement, comment expliquez cette proximité d’état d’esprit ?

— Comme je te l’ai dit, on passe beaucoup de temps avec Julie, c’est normal qu’on soit proches en son, et en idées. Et nous sommes devenus amis par la musique, et c’est notre plus fort point commun. Elle joue sur une guitare Hagstrom, par exemple, et ces guitares étaient fabriquées dans le village de mon Grand-père, en Suède... Enfin, je veux dire, notre connection est d’abord musicale, même si maintenant nous sommes très proches en d’autres points aussi...

Quels retours avez-vous de Not On Top depuis sa sortie ?

— Bien, Not On Top, les gens qui l’écoutent ont l’air de beaucoup aimer les chansons, ça fait plaisir. Je pense que les gens font de plus en plus attention à nos paroles maintenant, ce qui a toujours été de la plus haute importance pour nous. J’ai eu quelques compliments sur le son aussi, surtout par des gens qui s’y connaissent (soient des musiciens, soient des producteurs/ingénieurs), j’étais content de ça. C’est vrai, par contre, que beaucoup parlent encore de " Lo Fi " a propos de Not On Top, ça m’a surpris, je ne pense pas que l’album soit Lofi du tout.

A qui présentez-vous vos albums en premier en général ?

— En sortant du studio, je cours chez Ome, qui fait la batterie sur Turn Off The Light et They Go To The Woods. C’est l’avis qui compte le plus pour moi, car nous avons grandi ensemble et découvert la musique ensemble, ensuite je le fais écouter à mes parents. Ils sont assez sévères en musique, donc ça me fait peur des fois, mais ils ont un don pour savoir si une chanson est bonne ou pas, c’est assez fascinant. Si je passe le test Ome et parents, après ça, honnêtement, peu d’avis me font peur, je dois dire, et si Ome et mes parents aiment un album, je le considère bon.

Comment s’est opéré le contact avec PIAS ?

— Assez simplement je dois dire, nous avons signé un contrat et ils ont sorti Not On Top en France, et ils ont l’air d’aimer l’album, donc tout est bien pour le moment.

Que vous permet la distribution dont vous bénéficiez désormais ?

— Je dois dire, pour l’instant, je n’ai pas vraiment vu de différence, nous sommes toujours très underground, il me semble, et tout est toujours très DIY (fait maison) en ce qui concerne Herman Düne. J’aimerais bien que tout devienne plus facile du jour au lendemain, mais je crois que ça ne marche pas comme ça, à moins d’être sur une major ou un truc comme ça...

Votre audience semble s’accroître de manière régulière depuis le début. A Paris vous semblez pouvoir compter par exemple sur une base d’auditeurs conquis qui donnent leurs couleurs à vos concerts : une communion entre le groupe et des gens ultra-respectueux et en même temps la grosse fête. Comment l’expliquez-vous ?

— Eh, je crois que ça prend du temps, si on n’utilise pas de plan marketing ou des armes de lavage de cerveau comme ça, pour qu’un public prenne conscience qu’un artiste existe, et qu’il a quelque chose à dire, de la façon dont il le dit. Donc, je crois que ça a pris du temps pour que les gens s’habituent à nos concerts assez improvisés, sans set list, sans forcement jouer tout l’album. Ils ont dû s’habituer à s’intéresser à des nouveaux morceaux, qu’ils ne connaissaient pas, à en écouter les paroles. Et puis maintenant, un certain public vient nous voir souvent, pour être surpris à chaque fois.

Au sujet des concerts, vous avez tourné et tournerez encore notamment pour présenter Not On Top. J’ai raté votre concert au Grand Mix mais me souviens avec émotion du concert de juin 2004 à La Pizza Soleil [au passage des nouvelles de Royal City ?]. Je sais que vous n’avez jamais de plans prédéfinis pour le live, comment jouer vous vos morceaux sur scène en ce moment ?

— Je n’ai pas de nouvelles de Royal City, ce groupe m’ennuie un peu je dois dire, c’était une des rares fois ou nous ne partions pas avec des bons amis. Je ne sais pas comment on va jouer la prochaine tournée, Je crois que Julie fera la basse, donc ça dépendra un peu d’elle, des morceaux qu’elle préfère.

J’ai lu l’ensemble du journal de tournée. David, tu as cette théorie sur une limite de 3 semaines en tournée : quand le groupe n’est pas suffisamment avancé dans la tournée pour pouvoir l’apprécier pleinement mais suffisamment éloigné de la " maison " pour se sentir un peu nostalgique. Qu’en est-il ces derniers temps ?

— Je crois que c’est comme ça, en effet, Trois semaines c’est trop court pour une tournée. Apres ce seuil, la tournée devient un incroyable moment de bonheur, en général.

Dans ce journal tu évoques notamment quelques concerts en Hollande je crois où les promoteurs abusaient du terme " antifolk " pour vous présenter à tel point qu’un jour le gérant d’une salle pensait voir débarquer Kimya Dawson ! A vous lire j’avais l’impression qu’effectivement vous tentiez de vous dégager de ce terme qui n’est finalement qu’une construction. Je me trompe ?

— Je sais pas, ça me dérangeait à l’époque ou Kimya et Adam avaient beaucoup de succès avec les Moldy Peaches, parce que j’avais l’impression que les promoteurs se " servaient " de leur nom, comme si le nôtre n’était pas suffisant ou quelque chose comme ça. Maintenant, ça ne me dérange plus. La mode est un peu passée, et j’entends le mot Antifolk différemment. Je veux dire, il serait absurde de dire que je ne fais pas partie d’un groupe d’artistes qui sont pour la plupart mes amis, et avec qui je passe beaucoup de temps, principalement à faire de la musique. Je n’aime pas le mot lui-même, c’est ça le problème, je le trouve un peu idiot, maintenant, je n’ai pas honte de mes amis, donc voilà, pourquoi pas antifolk ? Ca ne fait pas vendre plus de disques pour autant, c’est un peu ça le problème, ceci-dit...

De la même façon, vous devez avoir votre lot de questions au sujet de la lo-fi. Devoir répondre à ce type de questions pour un album aussi travaillé que Not On Top ne vous agace-t-il pas ?

— La LoFi, je sais pas, ça ne veut rien dire, vraiment... Daniel Johnston écrit de très belles chansons et les enregistrait avec un magnétophone, Ok, c’est LoFi. The Mountain Goats aussi, LoFi. Ces deux artistes ont des moyens immenses maintenant, et ils font toujours des bonnes chansons. Il y a eu plein de super artistes Lo Fi, comme Refrigerator, Royal Trux ou John Davis par exemple. Ce que j’aime, c’est les bonnes chansons, de toute façon. Il y a eu aussi plein de trucs vraiment nuls enregistrés en LoFi, je pense à God Is My Co Pilot par exemple. En résumé : avoir un son cheap, rustique ou avoir peu de moyens pour enregistrer, ne change pas le critère principal de qualité, qui concerne l’écriture elle même. Après, il faut savoir se servir de ce qui est bien dans diverses techniques, et des fois tel ou tel instrument sonnera bien enregistré avec du matériel peu cher, il ne faut pas l’oublier lorsque l’on a plus de moyens pour enregistrer. En clair, c’est pas parce que l’on a 48 pistes pour enregistrer qu’il faut avoir 48 instruments sur chaque chanson.

Pour conclure : dans quelles circonstances conseillez-vous d’écouter Not On Top ?

— Les vôtres... Je veux dire les meilleures conditions sont les plus personnelles. J’aime écouter New Morning pour m’endormir, John Wesley Harding en conduisant, Goo quand il fait froid, White Light/ White Heat quand il fait chaud, Lee Dorsey le matin, j’aime danser avec les Meters, et écouter les Shangri-Las à Hannukkah, J’écoute New Skin For The Old Ceremony en Suède et I see A darkness quand je vais a la plage, je ne sais pas, J’adore Ice Cube quand je prends le métro, enfin, tu vois ce que je veux dire. J’aimerais bien que certaines personnes aiment Not OnTop d’une façon particulière, et le rattachent à des moment spéciaux.

Quels sont chacun vos titres favoris ?

— Sur Not On Top, mes titres favoris sont " You Could Be A Model Goodbye ", " Slow Century ", " Walk Don’t Run ", " This Will Never Happen " et " Eleven Stones ", je suis très fier de ces chansons...

Quels sont les derniers Cds qui passent dans votre van de tournée ?

— Little Wings " Magic Wand ", je pense que c’est un CLASSIC, j’aime cet album de tout mon coeur, sinon, le nouvel album de Jeff Lewis, et celui de Turner Cody...



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