ADA : Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de revenir à l’écriture ?
Lunt : Ce n’est pas moi qui ait attendu mais c’est la musique :-)il faut écouter cet album comme on dégusterait une sorte de whisky sonore. Au delà de ces métaphores, la raison est simple en fait, je travaillais pour d’autres artistes et il était à la fois difficile de s’impliquer dans leurs créations et de revenir aux miennes, mais surtout je voulais que les choses soient en coherence car une critique assez juste qui m’avait été faite par mon ami JL Prades (alias Imagho) c’est le manque de coherence du premier Lunt qui deservait la sincerité du propos. Puis il y a des evènements personnels qui ont retardé aussi les choses, et je dirais tout simplement qu’il n’y a pas que la musique dans ma vie. Des personnes comme Angil ou moi nous ne désirons pas faire de la musique quelque chose de professionnel afin de ne pas être des sortes de bureaucrates musiciens.
Mais il faut nuancer immediatement ce propos car cela ne veut pas dire pour autant que nous ne prenons pas ce que nous faisons très à coeur, cette distance permet justemet de s’y impliquer. Il y a une difference colossale entre être musicien et être un artiste , mais ça certains intermitents ne le comprendront jamais, je ne pense pas qu’on puisse être inspiré toute sa vie ou de façon constante car le désir s’epuise dans l’attachement trop fort qu’on porte à cet objet si problématique qu’est un album.
ADA : Ce n’est d’ailleurs pas étrange pour toi de revenir sur le devant, après avoir été aussi souvent derrière ?
Lunt ; Je ne suis pas aussi devant que ça car je n’ai pas du tout envie de faire des concerts, ou alors improvisés. J’ai par contre, le secret espoir narcissique :-) que cet album permettra aux gens qui ont suivi Waur depuis des années de comprendre ce que j’ai pu apporter à une sorte de trame d’arrière plan du label, et que j’ai mis l’inspiration des artistes tels qu’angil ou half aslepp dans une sorte de tube à essai d’où sont sortis autre chose de leur cru, que j’ai participé à donner forme à leurs inspirations et aspirations sans pour autant m’y substituer. C’est une chance de faire des disques avec des gens qui ont autant d’idées.
ADA : Tes collaborations ont elles influencé ton écriture ?
Lunt : Je viens de répondre en partie à la question dans la réponse précédente. Je dirais que Angil par exemple m’a permis de trouver un echo en moi à la recherche de la simplicité des mélodies qui « parlent » à l’auditeur, melatonine la recherche de l’energie, half asleep la melancolie simple, dana hilliot le côté lo fi et direct, se jeter à l’eau en se laissant aller à l’authenticité de l’expérience.
ADA : Comment c’est imposé cette approche moins expérimentale que pour tes premiers disques ?
Lunt : Elle s’est imposée à minima je dirais : c’est à dire que certaines chansons m’ont mis en danger comme sparks and darkness, ou split my body et j’ai cherché une épure dans le song writing qui est difficile à trouver. Je ne voulais pas tout mélanger et je te rassure j’ai déjà des albums expe qui attendent bien au chaud.
ADA : Il y avait des sons que tu ne voulais plus entendre, et a fortiori d’autres que tu voulais retrouver ?
Lunt : Je voulais une guitare folk qui tienne l’album de bout en bout, et une homogeneité des prises, pas avoir à recoller les morceaux a posteriori. Le seul morceau qui fasse exception est switch the letters (titre paradoxal en fait) qui a été composé au piano, une sorte de musique facile pour gens difficiles, et cette singularité n’est pas génante car c’est une sorte d’interlude.
ADA : Tu n’as pas été tenté d’ouvrir ton disque aux artistes avec qui tu avais travaillé ?
Lunt : Non parce que justement je m’etais beaucoup impliqué avec eux, pour les batteries j’avais besoin d’être en confiance avec Michael, je voulais inviter mon ami Thom à se faire plaisir comme on s’est fait plaisir avec eUd, et les ex Western special qui sont des musiciens très inspirés et que j’ai connu par un autre biais que la musique. J’ai pu rencontrer un jeune homme (Collin Delovan) qui a fait les vibraphones avec moi, et rencontrer quelqu’un d’aussi prométteur en tant que musicien m’a fait chaud au coeur et a été plus important que les prises en elle même.
ADA : our l’écriture t’est il difficile de t’éloigner de l’intime ?
Lunt : C’est une question qui me touche car tu as compris quelque chose d’essentiel. Je dirais que oui, et qu’une dimension supplementaire c’est que je ne peux pas exposer des chansons tant que je n’ai pas « digéré » ce dont elles parlent ou évoquent. Il y a un profond désir de vivre dans cet album quand je le réécoute et pourtant il a été composé dans des moments très durs.
ADA : Si je dis disque sans artifice, tu me traites d’aveugle ou de sourd (rires) ?
Lunt : Tu y vois clair car la pochette a été faite « à la main » et tu n’es pas sourd car comme précisé sur le disque j’ai masterisé sans autre effet en entrant dans un revox à bande et en ressortant.
ADA : D’ailleurs les influences que tu revendiques sont plus littéraires, cinématographiques ?
Lunt : La chose agaçante c’est cette confusion des chroniqueurs souvent entre ressemblance et influence. Quand je réécoute Helmet, il est par exemple evident pour moi qu’ils composent comme un groupe de Jazz travaillerait sur un thème, avec une perception particulière des breaks, et une rythmique à couper le souffle, mais leur son est metal et à rapprocher du hardcore. Sonic Youth improvise dans une grammaire musicale qui provient du jazz avec des sons noise et leur sémantique est atonale. Ca c’est une premier aspect, et donc je ne nie pas la ressemblance avec Mark Hollis ou R.E.M mais l’inspiration des structures est ailleurs.
La deuxième chose c’est la connexion de la musique avec d’autres champs intellectuels.
Je disais à un ami, à propos de mon nouvel appartement : j’ai envie que ma vie dans cet appart ressemble à un album de Mark Hollis » :-) Ce qui est biensur une metaphore de dépouillement, d’ascetisme sans austérité, et de quelque chose qui se suffise à lui même, chose qu’on retrouve par exemple dans l’esthetique zen. Donc à l’inverse oui, les références peuvent être plus littéraires car si la musique ne sert pas à transformer des choses qui lui sont extérieures, et qu’elle prétend à une sorte d’autonomie totale elle se condamne à la stérilité. Jays des Broadway a intitulé un de leurs morceaux Big Fish en référence au film, et c’est ce genre de choses que je trouve intéressant, comment les choses sont connectées dans une synthèse permanente pas en restant dans une horizontalité où la musique doit se faire avec des intruments, ca c’est un moyen pas un but.
ADA : Pour la musique, tu as écouté quoi ces dix dernières années (rires) ? Qu’est ce qui t’as marqué ?
Lunt : Maurice Ravel, Ligeti, Rachmaninoff, et deuxième partie de la réponse : le sophiste de Platon, la critique de la faculté de juger de Kant, et dernièrement W.R.Bion en psychanalyse. J’ai complètement perdu mon côté geek listener :)Les derniers cds que j’ai achetés sont des compils de Hint et des Deity Guns (Eric Aldéa avant Bastard), donc des terrains que je connaissais bien. Je les ai mis dans ma cdthèque à côté de Bastard, Baka !, Imagho et Neurosis ; en coherence donc :)
Ma dernière découverte , toute fraiche, c’est une PS3 et Final Fantasy XIII, God of War III pour se défouler. Tu sais tout(rires) :-)
ADA : Pour défendre ce disque sur scène tu as des idées pour faire évoluer les chansons, où tu veux rester fidele aux titres tels qu’ils sont ?
Lunt : Il y a dix ans j’ai fait partie des gens qui ont acheté des boucleurs après avoir vu Joseph Arthur en tournée (soyons honnêtes) et on arrivait sur scène en esbroufant tout le monde. Aujourd’hui ca peut encore être interessant (Laetitia de Raymonde Howard est vraiment au point dans sa technique de scène, et c’est un instrument de composition à part entière de son projet d’où l’intérêt. ) mais je ne veux pas arriver sur scène et servir la même rangaine aux spectateurs. Je ne veux pas non plus faire des chansons avec live ableton, donc j’aimerais revoir complètement ma manière de faire scéniquement mais ca demande des dispositifs ergonomiques et d’interfaces auquel je ne suis pas habitué et loin de ma connaissance. Rafael toral fait des choses interessantes dans le domaine. En même temps je me méfis des choses qui tuent la spontaneité. Ce que je voudrais c’est faire un trio ou quatuor guitare basse batterie chant et faire quelque chose de très emocore style début 90, sans artifice.Mais ca demande un temps que je n’ai pas pour l’instant.
ADA : Comment c’est passé l’enregistrement du disque ? tu as travaillé longtemps seul ? Avec cette casquette de producteur, la lutte n’a pas été difficile avec celle ce d’auteur compositeur (rires) ?
Lunt : Non ce qui est difficile c’est de ne pas se mettre la barre d’emblée trop haut, et d’avoir immédiatement un bon son de qualité pour ne pas s’user et refaire des prises, il n’y a pas eu de preprod, les choses sont venues directement pour saisir l’emotion du moment. Le son est inséparable du songwriting pour moi, et je dois partager cette perception avec quelqu’un comme Jim O’ Rourke je pense. Un instrument ce sont des fréquences à mon oreille, et des sons concrets peuvent faire des instruments ; c’est parfois complètement obsédant. Je me balade dans une ville comme Paris, dans une permanente rêverie où je convertis des sons dans ma tête.(pas tout le temps je te rassure lol)
ADA : Tu peux nous parler un peu plus (cf Happiness is transient) de Gerald d’Unique ? Cette année 2010 semble être un tournant pour WAUR ?
Lunt : e ne suis pas si sur que ca soit un tournant sur la démarche et le style (si c’est ça que tu veux dire) je pense qu’à force de travail et de cris lointains dans la brume quelques organes de presses comme Liberation ou Bernard Lenoir ont enfin tendu l’oreille ; et avec tout le respect que je peux avoir ca n’est pas trop tot. Je suis admiratif du chemin parcouru par Angil, si on voit ses collaborations par exemple.(the and).
Concernant Gerald, il faut s’imaginer le travail que represente la gestion d’un label. Tout d’abord on rentre le soir après le boulot, on fait des enveloppes promo en se demandant encore si ca sert à quelquechose, on relance par mail son distributeur une nieme fois, on parlemente au téléphone avec les artistes qui ne sont pas toujours faciles en regard de certains choix lol, il faut mettre a jour un site web, monter à Paris ou dans des festivals faire des stands etc des choses ingrates qui demandent un grand courage et au final ce sont les rencontres humaines qui sont les plus satisfaisantes ; le tout n’est pas d’avoir des contacts c’est surtout de les maintenir. Tout ca pour dire, que je n’ai pas eu le courage de Gerald, et que je ne pouvais pas être au four et au moulin (son et gestion), j’ai donc laché cette partie là et je suis president d’honneur d’unique records ce qui me va très bien :-).Unique à la base c’est une histoire d’amitiés, et je mets ce mot au pluriel car sur notre route il est important d’avoir eu Michael comme ami, ou Thomas, partager la convivialité des broadway et ces choses peuvent être bien plus importantes qu’un disque à long terme. Cette chanson happiness is transient est un hommage spontanée à Gerald, et le texte evoque bien ce courage nécessaire et d’autres choses plus intimes dont je ne trahirai pas la confidence :)
ADA : L’avenir ce sont des concerts, des nouvelles collaborations, un disque en préparation ?
Lunt : Je voudrais relancer une branche experimentale mais sans subdivision du label, et avec moins de travail que la confection de pochettes cd-r dédiées, soit des sorties expe en cd exceptionnellement, soit un net label intégral et ce ne sont pas les références qui manquent. Ca s’appellerait the tremens archives, et ca pourrait être lancé pour la rentrée. Une révélation en exclu pour ADA :-)
ADA : Le mot de la fin est pour toi
Lunt : visiblement nous n’habitons pas si loin l’un de l’autre donc j’attends que tu m’invites à prendre l’apero quand le froid du mois de mai sera passé.