Avec « Une autre année qui commence », la tentation de faire table rase de celle qui se termine, l’injonction à se jeter à corps perdu dans celle qui s’ouvre peut parfois nous happer et donner le vertige. Vite, vite, encore plus vite en 2018.
Reposer sur la platine Etats des Lieux Intérieurs dernier disque de Michel Cloup et Béatrice Utrilla paru en novembre dernier et qui ne s’en ai jamais beaucoup éloigné depuis, devient alors la meilleure des prescriptions.
Les six minutes instrumentales de Dernière Visite, longue et envoutante plage de guitares électriques apaise, distend le temps et nous amène vers Une Autre Année. Sur ce morceau Michel Cloup et Béatrice Utrilla ouvrent, dans un même mouvement musical, une nouvelle séquence en miroir à l’époque au dialogue initié entre eux au milieu des années 90 lorsque cette dernière inspira l’artwork de #3 de Diabologum album dont nous ne cacherons jamais ici notre vénération sans borne.
L’un et l’autre vont sur la durée du disque s’interroger mutuellement, se répondre, et approfondir leurs questionnements intimes et thématiques de prédilection.
Dans le prolongement de la même boucle de guitare qui va au fil des morceaux gagner en intensité au fur et à mesure que la batterie va gagner en présence, Michel Cloup replonge dans le questionnement obsessionnel de la quête de sens de nos existences, des origines, de l’absence ( « cette douleur fantôme ») de l’engagement politique, du besoin d’ancrer nos actes dans le temps long sur Dans ma tête, Une Voix puis sur le bouleversant Et Mes Souvenirs Dans Tout ça ? pour culminer sur l’incandescent sedétacher 2017.
En alternance de ces morceaux, la voix envoutante de Béatrice Utrilla délivre deux morceaux qui creusent le même sillon de façon en apparence plus calme. Ces Images, déchirante description des relations humaines à l’ère digitale (trop / trop peu) à la rythmique hypnotique et Amour / Fiction, sublime évocation de la fragilité du rapport amoureux aussi simple et limpide dans sa construction que bouleversante dans ses répercussions sur nos états intérieurs.
Il y a dans la dualité de ce morceau un écho à la force du cinéma (thème très présent dans tout le disque) de Hong San Soo pour dépeindre ce même état dans ses deux sublimes derniers films : Le jour d’après et Seule sur la plage la nuit.
La force inestimable du disque réside probablement dans la capacité de Michel Cloup et Béatrice Utrilla d’ouvrir avec suffisamment de retenue et de pudeur leur intimité pour laisser la place à la nôtre parfois trop étouffée de s’y projeter, de s’y identifier et d’y puiser de la force. Alors oui, avec la même énergie que délivre les deux dernières minutes du morceau qui clôt le disque : « On continue.
Disque essentiel, impossible à cantonner à un top de fin d’année tant il est évident qu’il nous accompagnera longtemps, peut-être même « comme cette vielle photo de famille » laissée en héritage finira-t-il par dire mieux que nous, un jour, qui nous étions. Et aujourd’hui déjà qui nous aspirons à être.
Finir ici, Avant de recommencer ailleurs, autrement.
https://www.beatrice-utrilla.com/
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