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Lorsque Michel Cloup, Pascal Bouaziz et Julien Rufié adaptent musicalement les mots de Joseph Ponthus issus de son roman À la ligne (feuillets d’usine), le regard adopté se situe fatalement en plein cœur de la terrible servitude qu’impose le mécanisme du travail à l’usine. Le texte de Ponthus décrit avec épouvante et minutie l’héroïsme « banal », pas du tout révolutionnaire, d’un ouvrier dont l’existence ne s’articule qu’autour des lambeaux de cochons, de l’odeur qui autrefois agaçait les narines, de crevettes à trier… Mais ce descriptif hyperréaliste permet à son auteur de n’y apposer aucune revendication sociale, aucune complainte misérabiliste (au contraire, écrits à la première personne du singulier, ces feuillets parlent d’évasion dans la musique populaire, du besoin d’écrire afin de mieux documenter le quotidien vécu dans les conserveries et les abattoirs). Une forme de courage dénuée d’ostentation qui ne pouvait que séduire Cloup, Bouaziz et Rufié, puisqu’eux-mêmes, tout au long de leurs discographies, ne se sont jamais écartés de certaines thématiques liées aux travailleurs de l’ombre ou, comme pouvons-nous l’entendre depuis peu lors de certaines déclarations ministérielles, « non essentiels ». Cela de façon assez godardienne : mettre à égalité l’individu et la logistique du travail demandé – gros plan sur un visage puis insert sur des mains plongées dans le cambouis, l’Homme et la Machine.

La forme adoptée sur disque témoigne également d’un refus pamphlétaire, d’un rejet catégorique du « vouloir dire » qui plombe très souvent les « chansons françaises engagées » : court, frontal, parfois brutal, porté par des guitares électriques canalisées (comme si la colère ne pouvait résister face à la fatigue, aux nuits blanches et aux cauchemars), chaque morceau décrit un instantané de vie, un moment spécifique au sein de l’usine ou lors des faux repos (durant le week-end, l’usine, « cette salope » et « son rythme à la con », bouffe les nuits et perturbe les esprits). Une épure lexicale qui, à nouveau, correspond bien aux précédents ouvrages du trio musical.

Au-delà de son aspect Tobe Hooper (plus que Ken Loach), cet album peut s’interpréter telle une ode au pouvoir cathartique de l’écriture. « Au fil des heures et des jours, le besoin d’écrire s’incruste, tenace, comme une arête dans la gorge » est-il annoncé dès le deuxième titre (“À la chaine”). L’Art, quand bien même parfois ignoré par certains discours officieux, s’impose évidemment, et ce depuis toujours, comme le meilleur moyen de ne pas craquer, de conserver sa propre dignité. Et à l’instar de cet ouvrier s’évadant dans le bien-être procuré par l’écriture, nous ne pouvons imaginer l’existence de Bouaziz, Cloup et Rufié sans leur ciment, leur Xanadu : la musique. En s’immergeant dans le roman de Joseph Ponthus, les trois artistes enregistrent ici un album très personnel, une façon pour eux de dire de quelle façon la résistance est-elle toujours possible : par l’Art.




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