C’est le moment de vérité, nous vivons les dernières heures du romantisme. Un nihilisme incurable précipite le monde à une ruine culturelle prochaine, une aporie des esprits que les médias et journaux embellissent au milieu d’un chaos d’esthétisme détestable, où chaque individu se projette dans une faille virtuelle, s’inventant une existence fantasmée devant un auditoire inexistant, l’émotion n’est plus qu’un concept désincarné. Tout semble donc irrémédiablement foutu, le dégout de ce système perverti, auquel on se conforme par facilité, n’offre que très peu de perspectives. Notre mémoire sélective se focalise uniquement sur le buzz du moment, la curiosité devient complètement accessoire, la paresse intellectuelle notoire. Face aux vicissitudes existentielles, nous nous réfugions dans des paroles et des actes abscons.
Dans le cas de Shana Cleveland, la musique est une radiographie des flux spirituels dans sa plus pure expression. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir sur son précédent album. Ce projet solo est celui d’une douleur, d’une souffrance intime, que la guitariste-chanteuse a surmonté. De son groupe surf-psyché La Luz, l’écart de style est d’une évidence criante, même si cette luminosité florale toujours présente, colore l’obscurité, Shana y apparait tel un fantôme. Aux éventuels troubleurs de solitude, la forêt semble être le lieu privilégié pour se protéger. A ghost qui inaugure Manzanita, est d’une transparence qui ne veut déranger personne, un bruissement capable malgré tout de provoquer des frissons. Il n’est nullement question d’énergie du désespoir, le carburant de Shana est avant tout naturaliste. Et la magie devient pérenne sur toute la durée du disque. Faces in the firelight prolonge cet état de conscience visionnaire, sans jamais verser dans le sentimentalisme théatral. Un concentré de chansons où s’entrecroisent interludes, bourdonnements aux couleurs mélodiques parfois pop, dans un format ne dépassant que rarement les 3 minutes. Shana se consacre, avec un soin particulier, à embellir cette folk mélancolique lui conférant un statut unique.