Après la déconvenue des derniers albums d’El Perro Del Mar et Lambchop, j’aborde le nouveau (treizième ? dix-huitième ?) disque de Yo La Tengo avec appréhension : le syndrome va-t-il se reproduire, suis-je programmée pour désaimer mes idoles ? À propos des Sex Pistols, le NME titra : « The band you love to hate ». Yo La Tengo, qui m’a fait vivre mes plus belles expériences de concerts, serait véritablement le groupe que je détesterais détester. Ohm (http://www.deezer.com/track/62953994) ne me rassure pas. Six minutes d’un accord fixe dans un morceau sans structure : je m’ennuie. Ô Dieu d’Hoboken, fais que tout l’album ne soit pas de cette teneur. Fais qu’il s’agisse simplement d’une chanson symptomatique du petit jeu d’échanges d’instruments auquel se prête le trio depuis quelques années pour casser la routine.
James McNew aurait emprunté la maraca en plastique rouge de Georgia, au son tellement typique qu’il sonne comme un hochet de votre enfance. Georgia Hubley s’amuserait à la guitare. Comme elle ne sait pas trop-trop faire la main gauche, on l’aurait réglée sur le même accord ouvert qu’il y a quelques années, dans Cherry Chapstick (http://www.deezer.com/track/943660). Lequel morceau a d’ailleurs son jumeau quasi-identique dans ce nouvel album : Paddle Forward (http://www.deezer.com/track/62953997). Ça ne s’arrange pas. Une chanson chiante en ouverture, puis une redite, puis plus loin, une image d’Épinal yolatengesque qui donne l’impression d’être jouée sans conviction, Stupid things (http://www.deezer.com/track/62953998). Sitôt écoutée, sitôt oubliée. Même Well you better (http://www.deezer.com/track/62953996), au tempo plus enlevé qu’à l’habitude et malgré l’apparition d’une wah-wah sur la guitare d’Ira Kaplan (une première depuis longtemps), n’est pas une grosse surprise.
MAIS. Il y a un mais, et je n’ai jamais autant aimé ce mot charnière. Merci, Dieu d’Hoboken, sois loué pour ta sollicitude, et pour la clairvoyance des joueurs de cordes et cuivres lors des journées de studio de « Fade ». Car l’autre moitié de l’album, celle qui est arrangée, est magnifique. Sur Is that enough (http://www.deezer.com/track/62953995), les violons sont parfaits. Produits avec un son sec et lumineux, arrangés avec brio par Jeff Parker (collaborateur de Tortoise et ami de John McEntire, qui a produit l’album), ils rappellent « How I quit smoking » de leurs amis de Lambchop. Si Two trains (http://www.deezer.com/track/62954001) est presque trop proche de l’atmosphère crépusculaire que leur meilleur album, And then everything turned itself inside-out (http://www.deezer.com/fr/album/106181), I’ll be around (http://www.deezer.com/track/62953999) est beaucoup plus convaincante. La guitare acoustique fine, les claviers obsédants et le drone aigu lancinant rappellent cette époque des Américains sans chercher à en reproduire l’ambiance comme une ombre de soi-même. Même impression sur la belle The point of it (http://www.deezer.com/track/62954002). Cornelia and Jane (http://www.deezer.com/track/62954000) est une incroyable chanson en suspens, avec des cuivres d’une douceur toute McEntirienne. Les arrangements sauvent aussi la magnifique chanson de clôture, Before we run (http://www.deezer.com/track/62954003), où l’ampleur des cuivres dans les graves répond aux coups dynamiques de violon/alto. « Fade » est un album relevé par ses arrangements, comme on relève un plat avec une épice bien choisie. Pour le coup, le Dieu d’Hoboken s’appelle peut-être John McEntire. Mais sur cette moitié éclairée de l’album, le groupe est bien là, sur son trône, aucun doute.