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Toute une première génération de rock-addicts fut éduquée par les écrits de Michka Assayas au temps où celui-ci, du haut de son insolente juvénilité, dressait des lauriers à des groupes tels que Joy Division, XTC ou Young Marble Giants dans un journal français pourtant peu porté sur le plus confidentiel du rock 80’s (« Rock’n’Folk », pour ne pas le nommer). La génération suivante (la notre, en fait) découvrit la plume romantico-acerbe d’Assayas via ses louanges de Morrissey ou de Costello dans un bimestriel baptisé « Les Inrockuptibles ». Mais Assayas, lassé de la chose rock au moment où Christian Fevret le convia à rejoindre l’équipe de ce « chroniques & interviews », se vit surtout offrir une tribune libre dans laquelle, selon les envies et les considérations, le jeune homme élégant pouvait passer de Drucker à Céline, de Bono à Thomas Bernhard… Pourtant, une logique liée à ce passé de rock-critic, quoi qu’il ait pu en dire, habitait toujours Michka Assayas au moment de ses écrits généralistes. Car entre un coup de gueule à l’encontre du recyclage rhythm’n’blues opéré par U2 à la fin des années 80, une réflexion sur Céline ou le récit d’un premier voyage aux Etats-Unis, Assayas, plutôt que de parler de rock, en capturait l’esprit, son essence. Pas un hasard si au moment de chroniquer une imminente venue de Morrissey à Paris (en 91), le chroniqueur ne disait absolument rien de l’ex Smiths ni de son dernier album solo pour, inversement, s’épancher longuement sur la fascination que pouvait toujours exercer une ancienne idole sur un fan se sentant bizarrement retomber en enfance…

Et c’est précisément cette logique, cette cohérence avec soi-même que l’on perçoit en dévorant « In a Lonely Place », petit condensé (certes incomplet) des écrits dits rock qu’Assayas publia entre 1980 et l’an 2000 : la fougue enfantine qui consiste à volontairement se positionner contre les idées reçues (Joy Division et New Order sont authentiques là où Police et AC/DC n’en veulent qu’à votre porte-monnaie), la logique adolescente qui oblige à un certain recul analytique (le dandysme de Bryan Ferry entraîne Roxy Music à sa perte, Abba c’est génial et je vais vous expliquer pourquoi) jusqu’à la plénitude adulte permettant de revenir sereinement, avec recul et sans enjeu, sur des pensées aussi naïves (pour un écrivain reconnu) telles que « le quatrième solo de Morrissey restera sans doute comme son meilleur »…

Il est permit de lire les compilations écrites de journalistes aussi époustouflants que Lester Bangs ou Simon Reynolds en sautant les chapitres, en adoptant son envie de lecture aux sujets abordés par leurs auteurs. Rien ne changera vraiment dans la compréhension globale du bouquin. Avec Michka Assayas, c’est différent. De la même façon qu’un livre nommé « Faute d’identité » (Grasset, 2011) en révélait beaucoup sur Assayas ; de la même façon « In a Lonely Place », quoi que souterrainement, dévoile le récit d’apprentissage d’un enfant en train de devenir adulte au fil de ses écoutes et des réflexions en découlant. Flauberien, Michka Assayas saisit le temps qui passe, la désillusion des premiers amours, la nostalgie de l’enfance, les certitudes qui s’effondrent ou qui persistent…

Et puis il y a Joy Division. Hyper confidentiel dans nos contrées au moment où Ian Curtis mettait fin à ses jours, le groupe ne touchait qu’un public de « trois pelés neurasthéniques qui en plus ne l’écoutent jamais » et à aucun moment ne pouvait envisager le statut légendaire auquel il aurait droit bien des années plus tard. Ce qui n’empêchait pas un Michka Assayas aussi prophétique que provocateur d’affirmer, dès 1981 (à propos de « Closer »), « je ne crois pas que je parle de l’année 1980, mais de la décennie ». Et puis il y a U2. On connait tous l’amitié entre Assayas et Bono. Et honnêtement, beaucoup (dont moi) durant longtemps se demandèrent pourquoi Assayas mettait-il tant de ferveur à défendre bec et ongle une formation a priori éloignée de la ligne esthétique acclamée par cet érudit (qu’est-ce qui pouvait donc relier le dépouillement ascétique des Young Marble Giants ou la sobriété des Smiths au lyrisme assez pompeux de U2 ?). Dans une série d’articles consacrés à U2, Assayas, dès les prémisses du groupe, en fait sa découverte personnelle, sa propre cause, cela pour de nombreuses qualités perçues (sincérité, don de soi, volonté de soulever les montagnes) qui, selon lui, pardonnent les maladresses (absence de vision claire, manque de confiance). Pas de quoi nous faire soudainement aimer U2 mais des arguments enjoués qui aident à comprendre pourquoi Assayas ne cessa de défendre cette formation (et ce, faut-il le rappeler, dès le tout premier single du groupe, un « 11 O’Clock Tick Tock » produit par Martin Hannett).

Dans la continuité de ses romans souvent autobiographiques, « In a Lonely Place » n’est guère pour Michka Assayas une façon de rappeler quelle instance il fut durant les années 80 lorsqu’il n’écrivait essentiellement que sur le rock. Non. Même si l’article le plus récent de « In a Lonely Place » date d’il y a quatre ans, cette compilation d’écrits rock se place comme une suite logique à « Exhibition » ou « Faute d’identité » (pour ne citer que les romans les plus connus de l’auteur). Le point commun ? Sans doute ce qui attira instantanément ce jeune rock-critic dans la musique de U2 au cours de l’année 1980 : le don de soi. Ce don de soi que l’on retrouvait, le 08 mars dernier dans l’intimité chaleureuse du disquaire « Nationale 7 », lorsque Michka Assayas, mandole en mains, gratifia l’audience d’une reprise maladroite mais touchante de… « A Lonely Place ».




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