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Richard Robert est un des chroniqueurs historiques des Inrocks, patron du webzine L’Oreille Absolue et également musicien....

“Vue d’en bas” est née d’une interrogation que certains trouveront peut-être saugrenue, voire malsaine :

Que chante-t-on lorsqu’on est mort ? Quels mots, quels sons, quelles mélodies emporte-t-on de l’autre côté ? Par quelle radieuse mélancolie notre voix intérieure de trépassé est-elle habitée, après qu’on a définitivement pris congé du monde ?

C’est en brassant ces petites pensées que j’en suis arrivé à écrire et à enregistrer “Vue d’en bas”, ma première chanson posthume. Car il ne me fait aucun doute que j’aurai encore envie de chanter après mon départ ; alors autant prendre les devants, et commencer dès maintenant à me doter d’un répertoire sur mesure pour mes longues années d’outre-tombe.

Depuis des siècles, il est admis que la pratique de la musique est un excellent moyen de commercer avec les disparus, de les rappeler à nous, de dialoguer en bonne intelligence avec eux. A titre personnel, et par extension, je la vois aussi comme un moyen de faire cohabiter en moi le vivant que je suis et le fantôme que je serai bientôt, un jour ou l’autre.

Ecrire “Vue d’en bas” m’a ainsi permis de me glisser dans mon costume de futur gisant, dans ce rôle qui sera prochainement le mien ; la musique et les textes sont tombés d’eux-mêmes, presque instantanément. Depuis, d’autres pièces ou chansons du même acabit (du même macchabée ?) me sont venues. J’ai dans l’idée de les rassembler dans un album intitulé “Après tout – musiques pour et par les morts”.

Quand cet ouvrage sera-t-il terminé ? Sera-t-il même jamais achevé un jour ? Je l’ignore. Ces questions, à vrai dire, ne se posent et ne m’intéressent plus.

Je n’ai pas de croyance particulière sur l’au-delà. Dans mes moments de grande songerie, j’aime simplement à penser que mon dernier sommeil sera composé d’une trame plus ou moins décousue, faite de rêves, de souvenirs et de silences ; peut-être parce que rêver, me souvenir et me taire comptent parmi les trois loisirs de mortels que je préfère.

Cet ultime repos, je me l’imagine aussi traversé par des traits et des points, des formes et des plans, des ombres et des couleurs. Ma mort, alors, m’apparaît comme un film mi-abstrait, mi-figuratif, dont ma vie serait en quelque sorte le laborieux, patient et merveilleux banc de montage.

C’est ce qu’essaie de dire “Vue d’en bas”. Je dois à la sensibilité minutieuse et généreuse de Greg Bod d’avoir su retranscrire en images, reflets et échos ce qui, jusque dans ses plus intimes tressaillements, fait la teneur même de cette chanson. La beauté et la justesse de son travail me touchent d’autant plus qu’il l’a accompli sans que je le sache, et sans qu’aucun mot, à son sujet, ne soit échangé entre nous. Pour ce miracle-là, je peux dire sans risque de me tromper que ma reconnaissance à son égard sera, par-delà la vérité passante de nos existences terrestres, éternelle.

Richard Robert




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