Tu entends parfois la nuit les horloges qui palpitent dans les murs de maison endormie ?
Tu entends parfois le crissement de la pointe du crayon qui trace ces parallèles qui ne se rejoignent jamais ?
Tu entends parfois, tu perçois parfois ce néant obsédant qui t’attend là tapi dans l’ombre ?
Il est des musiques qui vous sauvent de vous-mêmes, "In Roses", second album des américains Gem Club est de ceux là... Comment traduire les peurs , les doutes que l’on tait en notes graciles ?
"Your eyes are almost dead
Can’t get out of bed
And you can’t sleep
You look in the mirror
You look in your eyes
Say you realize
Everybody goes
Leaving those who fall behind
Everybody goes
As far as they can,
They don’t just care.
They stood on the stairs
Laughing at your errors
Your mother’s dead
You’re a holocaust."
Je me rappelle encore cette première écoute de "Holocaust" de Big Star repris par This Mortal Coil sur "It’ll end in tears" (1984).... Je me rappelle ce piano presque désaccordé comme désincarné... Je me rappelle ce frisson indicible... "In roses" me ramène à ces tonalités pour toujours automnales...
Pourquoi sommes-nous attirés par ces musiques qui blessent, qui font mal ?
Car de douleur, ici il est question... Car ici le compromis est absent, car ici il est question de miasmes et d’humeurs...
Ce n’est pas dû qu’à la voix si souvent proche de la rupture de Christopher Barnes...
Ce n’est pas dû qu’à ces notes de piano qui évoquent un Blue Nile diaphane ("Fire Weeks")....
J’aime ces chansons avec ces titres qui évoquent les prénoms de personnes que l’on se plait à imaginer bien vivantes, on le fantasme cet individu dans ses contradictions et ses suffisances... On sent sa main qui tremble sur la peau, le vacillement de son regard, le voile de l’ombre qui habite son visage ("Michael")
"In roses", ce sont comme 11 particules, 11 fragments élémentaires de multitudes d’êtres en suspens, 11 chroniques d’une certaine violence ordinaire, 11 tumultes désordonnés du détail....
"I have no more to give
slowly circles have come to close"
"In Roses" est un perpétuel va et vient entre les espaces ouverts et les cloisonnements oppressants ("Hypericum")
En vieillissant, nous devenons économes dans nos mots comme si nous devions en supporter le poids... Est-ce pour s’épargner du temps ? Pourtant, à force que le temps passe, ils perdent de leur saveur, ces mots...
L’emphase nous semble au mieux dérisoire, au pire ridicule... Les sourires tendent à se faire grimaces, les rires plus étranglés...
La vie rend taiseux, plus de cri ni de sarcasme, l’attirance du silence ("Idea for strings")
La grâce est rare mais vital comme dans ces jeux de voix qui irradient...
La vie passe de saison en saison, avec ces personnages qui se croisent dans des valses sans rythme, ces mêmes personnages à différentes étapes de leur vie comme dans "La Danse de la vie" d’Edvard Munch, autre explorateur des béances....
"Soft season" est de ces emprunts, clin d’œil à cet autre désespéré lucide, Bill Callahan et son "All your women things" du chef d’oeuvre "The doctor came at dawn" ...
Il y a cette même peinture de l’étrange, des "Freaks", de ces êtres des bordures dans la musique de Gem Club, cette même paradoxale splendeur transcendante dans la désespérance que dans le cerveau malade de David Lynch.
"Please come oon let the salt water
give
and i see it
in the strange nights you’re based
with a lasting eye"
La menace est toujours sourde, là cachée dans ces irréels obscurs... Puis vient le temps des respirations haletantes comme ce corps qui se noie et qui cherche le dernier souffle, comme cet enfant qui sort de sa prison matricielle et qui ne veut pas pousser ce cri qui le libèrera ("Braid")....
Avez-vous déjà regardé des larmes qui coulent ? Où elles commencent ? Où elles finissent ? Avez-vous déjà mesuré ce temps fragile, cette vie éphémère d’une goutte d’amertume ?
Avez-vous déjà ressenti cette sensation, de ceux que tout abandonne, de ceux qui ont compris qu’il n’y avait rien à entendre à ce marathon frénétique ? ("Marathon (in roses)")
Nous savons qu’un jour, nous sortirons de ce corps, nous savons qu’un jour, nous ferons un avec l’espace, nous savons qu’un jour, nous serons dérives, pures dérives, nous savons qu’un jour, nous ne serons que silence, pas grand chose d’autre que des soupçons dans le vent, des murmures improbables dans le chaos des instants ("Polly")
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