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Nouvelle rubrique sur A Découvrir Absolument. Nous demandons à des musiciens un petit texte sur un objet musical qu’ils aiment utiliser. La rubrique ne s’adresse pas qu’aux spécialistes, donc le champ est large : ça peut aller d’un appareil technique préféré à un accessoire toujours présent quand ils enregistrent une chanson ou dans un contexte musical, en passant bien sûr par un instrument, objet fétiche, etc.

Je me suis d’abord dit, je ne vais pas pouvoir le faire, j’ai appris à me déprendre de l’attachement aux objets, même ceux dont les gens sont ordinairement fous, mon portable est loin d’être mon ami et l’ordinateur est un outil de travail, que j’échangerai volontiers contre un autre plus performant. Mon rapport à ma voiture est strictement fonctionnel, je suis ravi d’y passer moins de temps que dans les années précédentes. Mes pinceaux, je m’en moque, je préfère de toutes façons peindre avec les doigts.

Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. Petit, j’ai été fou d’une machine à écrire. Plus tard j’ai gardé des années comme un talisman dans la poche à capote ou médiator de mes jeans un petit coquillage en forme d’oreille. J’ai longtemps dormi avec ma première guitare électrique, je sais, c’est ridicule. Quand j’ai eu le gros carton en voiture qui a précédé de peu, peut être même d’une certaine façon déclenché mon premier album, j’étais presque aussi triste (au début seulement n’exagérons rien) d’avoir explosé la voiture que des dégâts sur mon corps. C’était autrefois, et je suis bien en peine aujourd’hui de trouver un objet auquel j’aurai un attachement particulier, des disques peut être, des livres sans doute, je ne sais pas trop il y en a trop, je ne saurai jamais choisir.

Mais bon, il y a quand même un truc, et tant pis pour le cliché. Je garde tous mes instruments ; même ceux dont je ne sais plus jouer, même ceux qui sont déglingués, mêmes ceux qui sont simplement très mauvais parce que je les ai achetés ou qu’on me les a donné à un moment ou je n’avais de toutes façons pas les moyens de me payer mieux.

J’ai dans mon bureau une trompette calamiteuse, en mauvais état et dont je n’ai jamais vraiment su jouer. J’ai dans ma bibliothèque un ampli park 15 watts repeint en orange qui ne fonctionne plus depuis une bonne dizaine d’année ainsi que deux ukulélés dont un est à peu près inaccordable, une guitare folk jolie mais très bas de gamme et difficile à jouer ainsi qu’une douze cordes en piteux état. J’y ai aussi un mini accordéon dont les soufflets, les touches et les bretelles sont cassés. Dans le vide poche de ma voiture, j’ai un harmonica cabossé qui n’a probablement jamais été juste. Quelque part, sous le canapé peut être, j’ai une flûte à coulisse qui ne coulisse plus, J’ai un petit glockenspiel un peu faux que j’ai acheté une misère dans un cash converter’s.

Dans mon cabanon, j’ai ma première guitare classique à moi (la première que j’ai jouée, encore pire, m’avait été léguée par un cousin et m’attend chez ma mère) et surtout ma vieille Les Paul épiphone que j’ai tant martyrisée dans mon passé bruitiste ( je me sentais tellement créatif à jouer de la guitare avec un balais d’essuie glace) qu’un micro en est à moitié arraché. J’ai même eu des réticences à laisser Mathilde se séparer de sa première batterie, qu’on avait récupérée dans une cabane à huîtres contre une ou deux pintes de bière. Tout ça ne sert pas à grand chose, ça prend de la place mais je n’envisage même pas de m’en séparer, parce que dans ces bouts de bois, de plastoc, de métal, il y a tout un tas de rêves. Ceux que j’avais quand je me les suis procuré, ceux qui sont nés de la musique que j’ai essayé de faire avec et s’il y a une seule chose qui mérite qu’on se retourne dessus avec nostalgie, ce n’est, à mon sens, ni nos amoureuses, ni nos amis, ni nos faits d’armes plus ou moins débiles mais nos rêves.