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Rencontre avec Xavier Ridel, ambitieux et habité songwriter derrière « Silent Skrik » ; premier véritable album de Waterwalls – parfaite alchimie entre textures sonores et don de soi. Où il sera ici question de paroles bibliques, de Jason Pierce, de Manœuvre & Eudeline tout comme de Diderot…

ADA : « Silent Skrik » donne la sensation que tu possèdes déjà un long parcours, comme si tu avais vécu au moins six vies… D’où te provient cet aspect mélomane ?

Aucune idée. Enfin, comme pas mal de monde, la musique a suivi beaucoup de mes pas. Quand j’étais plus jeune, je passais mon temps à piocher dans les disques de mes parents, à tout passer au peigne fin. Ainsi, une heure pouvait se dérouler, pendant laquelle j’écoutais une dizaine de disques à la suite. Et tout ça pour ne découvrir parfois qu’une seule chanson tirée d’un obscur album, et la réécouter jusqu’à ne plus en pouvoir. Ensuite, il y eut Internet et la découverte d’un véritable monde parallèle, une sorte d’Eden du mélomane. Tout était là, à portée de main. Je me suis plongé tête la première dans ce gigantesque univers virtuel et, pour dire vrai, n’en suis jamais ressorti.

ADA : Tu cites aussi bien Johnny Cash que Fuck Buttons. Un grand écart que l’on retrouve dans ta musique : le songwriting s’associe au soundwriting. Comment ton parcours d’auditeur a-t-il évolué, au gré des rencontres musicales et du hasard des coups de cœur ?

Plus jeune, j’étais un peu décalé, niveau musical. Pendant que les gens de mon collège se trémoussaient en soirées sur la musique de leur époque, je passais mon temps à écouter des trucs aux mélodies évidentes, comme les Undertones, Nikki Sudden ou Johnny Cash. Puis, grâce à Internet, je suis passé par différents stades ; tout s’est déroulé très simplement, au gré du hasard comme tu dis. Par exemple, une des découvertes qui m’a le plus traumatisé c’est le « Ladies & Gentlemen, We’re Floating In Space » de Spiritualized. J’ai cliqué par hasard sur le lien de cette chanson et ce fut une révélation. C’est en fait à partir de ce moment là que je me suis rendu compte que la production, les ambiances crées par différents sons étaient aussi importantes que la chanson en elle-même. Et donc oui, j’ai beaucoup marché par coups de cœur.

ADA : Tu lisais la presse rock, étant jeune ?

Mon père achetait « Rock & Folk » tous les mois, et j’épluchais ce journal jusqu’à la moelle. C’est dans l’air du temps de taper sur la bande Eudeline, Manoeuvre et compagnie ; comme si certains se sentaient obligés de se foutre de la gueule des anciens pour montrer à quel point ils étaient modernes. Bon, ils me font un peu chier aussi avec leurs milliers de couvertures sur les Stones, mais c’est une question de génération, il y a quand même des chouettes choses là-dedans. Je ne le lis plus beaucoup, mais conserve une sorte de tendresse à son égard. C’est quand même le seul magazine qui a les couilles de sortir un dossier dithyrambique sur Johnny Thunders tout en sachant qu’une grande majorité de gens, y compris dans le milieu de la musique, s’en contrefout. Puis je m’achetais « Voxpop » dès que j’avais un peu de sous. C’était, à mon avis, un des meilleurs magazines musicaux français. L’esthétique était parfaite, les articles bien écrits et bien choisis : ils m’ont ouvert à des tas de choses et je regrette vraiment leur absence. Je m’achetais aussi parfois « Les Inrocks » mais ça n’a jamais été ma tasse de thé. Il y a toujours eu un « je ne sais quoi » qui me dérangeait chez eux.

ADA : A quoi ressemblaient tes premières compos ?

Quand j’ai commencé à composer, il y avait deux facettes de la chose. D’un coté, je jouais avec mon groupe des trucs dans le genre punk, en plagiant des riffs comme ceux des Soucoupes Violentes ou des Ruts ; de l’autre, je jouais seul dans ma chambre des chansons crépusculaires, assez sombres pour un mec de treize-quatorze ans. « Dreaming And Hoping, In Vain » est la seule survivante de cette époque et quand je la réécoute, la tristesse qui s’en dégage me fait un peu flipper. Pendant que les autres groupes de mon âge parlaient de filles, d’amour, de rébellion, j’écrivais des paroles à consonance biblique sur la perte de foi et d’espoir, la recherche de lumière, le coté sombre de la drogue, ce genre de choses un peu bizarres pour un adolescent.

ADA : Envisages-tu « Silent Skrik » comme ton véritable premier album ?

Clairement oui. J’avais sorti deux EP avant « Silent Skrik », que je n’avais partagé avec personne et qui continuent de trainer sur bandcamp sous un ancien nom. Mais ce « cri silencieux » est, pour l’instant, la chose la plus sincère et la plus personnelle que j’ai accomplie dans ma vie. C’est pour cette raison que je peux le considérer comme un véritable premier album. C’est une sensation très différente d’un truc que tu sors avec un groupe. Ici, outre le mastering, tout vient de moi, de l’artwork à la production, de la composition à l’enregistrement. Plus qu’un album, c’est presque un fragment de mon âme. Voldemort a ses Horcruxes, de mon coté j’ai mes chansons.

ADA : Peux-tu me parler de la conception de ce disque ? Par exemple, es-tu parti d’ossatures pour organiser la cathédrale sonore finale ; ou bien étais-tu, dès le départ, attaché à une sonorité précise, à une idée de production ?

Je pars pratiquement toujours de chansons composées à la guitare acoustique, sur lesquelles j’ai déjà apposé un air et des paroles. Ce n’est qu’après cette étape que vient le moment d’arranger mes titres et de les enregistrer plus ou moins proprement. Mais en tous les cas, je n’ai jamais d’idée précise quant à la production, tout vient naturellement.

ADA : Richement produit (quand bien même à la maison), « Silent Skrik » laisse toujours respirer les compositions. Beaucoup d’artistes français, je trouve, misent actuellement un peu trop sur une production tellement chiadée que le propos s’en retrouve englouti par la prouesse du mix. Ce n’est pas ton cas. Sur ce point, à quel moment sais-tu que le nombre de pistes est suffisant ? Que ton idée vient de se concrétiser sans besoin d’en rajouter plus ?

A mon avis, cela tient pas mal au fait que mes chansons sont avant tout composées en acoustique. Je suis tout à fait d’accord avec toi pour le coté chiadé de la production. Grâce aux ordinateurs, c’est aujourd’hui tellement simple de bien mixer ses chansons, d’ajouter quinze mille pistes, que certains groupes en oublient de composer de vraies chansons. Ensuite, comme je te l’ai dit, il n’y a jamais d’idée de départ. Je ne sais absolument pas à quoi va ressembler ma chanson avant de l’enregistrer, d’où l’intérêt de tout faire chez moi. Je rajoute ceci, j’enlève cela, tout se fait en instantanée, à l’oreille. Du coup, le moment où je sais qu’une chanson est terminée est très étrange. C’est une sensation un peu indescriptible en fait. J’écoute le titre et d’un seul coup, je me retrouve face à quelque chose de nouveau, quelque chose que je n’imaginais pas du tout. Je me prends ça dans la gueule. Et sans savoir pourquoi ni comment, je sais que c’est fini ; le principal étant que le mix final corresponde parfaitement aux émotions ressenties au moment de la composition.

ADA : « Unknown Pleasures Records » distribue ton album. Une rencontre évidente ?

À vrai dire, au départ, je ne voulais pas être édité sur un label. Je ne sais pas trop de quoi j’avais peur mais je flippais. « Silent Skrik » était prêt à sortir en digital, je n’avais plus qu’à trouver le courage de le partager, ce qui était en fait une véritable épreuve tant cet album me semblait personnel. Et puis un ami m’a offert le Tribute à Daniel Darc qu’avait sorti « Unknown Pleasures Records ». Je ne me suis pas trop intéressé au label à ce moment là, mais le nom a dû rester gravé dans un coin de mon esprit puisqu’un jour je me suis retrouvé à cliquer sur le lien d’une interview de Pedro, le patron d’UPR. J’ai très vite accroché à sa vision de la musique et j’ai pas mal flashé sur sa propension à dire les choses sans prendre de gants. Après avoir écouté leurs artistes, je lui ai envoyé un message et c’était parti. Je sais qu’UPR a un côté pas mal tourné vers l’EBM et l’electro un peu dure et sombre, ce qui n’est pas forcément ma tasse de thé. Mais leurs productions ne se limitent pas du tout à cet aspect : au final ils sont assez éclectiques tout en gardant une ligne directrice assez forte. Qui plus est, je ne suis pas un adorateur du vinyle. J’aime beaucoup l’objet mais j’ai toujours été fan du format CD, ce qui a aussi joué. En tous les cas, tout en m’aiguillant quand j’en avais besoin, le label m’a laissé une liberté totale ; même quand je les ai un peu fait chier avec l’artwork du disque, et je les remercie mille fois pour tout.

ADA : Tu es également chroniqueur pour le Webzine « Sound of Violence ». Ecrire sur la musique, pour toi, est-ce un complément à la composition ? Dans le sens où, parfois, entre deux albums ou deux compositions, se pencher sur le travail des autres permet d’obtenir une meilleure distance sur son propre univers…

En fait, ce qui me plaît là-dedans, c’est le coté analytique de la chose. Je pense prêcher un convaincu en te disant que l’écoute d’un disque en tant que chroniqueur ou en tant que ‘civil’ diffère totalement. Quand tu chroniques un CD tu es obligé de te poser et de te concentrer réellement sur les influences, les sons, la production. Beaucoup de musiciens le font, évidemment, mais mettre des mots là-dessus aide à aller plus loin. Tout le monde possède une approche émotionnelle de la musique. Si les sensations ressenties à l’écoute d’un album restent pour moi essentielles, l’analyse est également très enrichissante. Sans compter que ce boulot me permet de découvrir un tas de chouettes choses et d’interviewer des musiciens venus d’autres horizons, qui peuvent avoir une vision de la musique différente de la mienne, ce qui est toujours intéressant.

ADA : Via la précédente question, comment définirais-tu ton rapport à l’écriture ? Un besoin, une manière d’exorcisme, une nécessité ?

Un peu tout à la fois. Diderot disait à propos du poète que ce dernier devait se sentir mal dans son monde pour créer. Je m’accorde totalement à cette vision. Ecrire est une façon de me recroqueviller sur moi-même en position fœtale, hors de l’espace-temps, tout en extériorisant certaines choses qui me pèsent. Et j’ai besoin de cela, parce qu’il y a tant de choses à oublier sur cette Terre. Il y a une face cachée derrière chaque miroir, un écho négatif qui ne demande qu’à surgir. Seule la foi peut sauver l’être humain. Qu’importe si cette foi est tournée vers Dieu, vers l’amour, la justice ou quelque autre concept. L’important est de croire. Et de mon coté, j’ai foi en l’écriture.

ADA : En tant que musicien et chroniqueur rock, tu écoutes quoi, en ce moment ?

Pas mal de trucs assez différents. En premier lieu, je suis dans ma période Koudlam. Tout sonne juste dans ses chansons, en particulier ses faussetés. J’ai rarement eu de tels frissons qu’à l’écoute de « Sunny Day », quand il commence à gueuler et que sa voix déraille. Je suis aussi récemment revenu sur le premier album solo de Julian Casablancas qui, à mon sens, est proche du chef-d’œuvre. Sinon, j’ai du mal à me remettre du LP « Nemure », sorti par les Dead Mantra en septembre, et de pas mal de productions du label Cranes Records en fait. Les compilations du collectif Nothing tournent également pas mal chez moi, même si je ne suis pas fan de tous leurs groupes. Après, il y aussi de la techno, avec Recondite ou Shifted ; les américains de Disappears ; l’album « Position Normal » de Steeple Remove (sorti chez Gonzaï Records il y a quelques jours), ce genre de choses. Pas mal de trucs français finalement. Une très belle scène est en train de se former dans notre pays, c’est vraiment chouette.

ADA : Et donc : existe-t-il des albums ou des artistes ayant défini ton actuelle conceptualisation de la musique ?

Il y en a beaucoup, et pas que des musiciens à vrai dire. Mais parmi ces derniers, je citerais Wu Lyf, dont la découverte m’a vraiment marqué. On sent qu’Ellery James Robert met réellement toutes ses tripes dans son chant, c’est assez incroyable. Ensuite il y a eu la découverte de ce songwriter de génie qu’était Rowland S. Howard, celle de l’album « Immunity » de Jon Hopkins, des textures aériennes de Slowdive. Puis les envolées lyriques de M83, la gravité de la voix de Johnny Cash, l’intensité de Ian Curtis... Tous ces musiciens m’ont autant marqué l’un que l’autre ; et si « Silent Skrik » est un album très personnel, je crois qu’une part de chacun d’eux s’y retrouve.



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