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Je n’avais plus de nouvelles de Jean-Louis Prades, le musicien. Certes il communique souvent via un réseau social, nous offrant certaines de ses belles divagations musicales pendant lesquelles il semble ne plus tout à fait être dans notre monde, le regard donnant à sa musique l’ordre de se plonger dans l’inconnu.

Devenu de façon très perfide dans mon cerveau bien dérangé, à la fois une sorte de Jean-Louis la brocante version vinyle et spécialiste qui s’ignore d’un service après-vente en Hi Fi, j’avais presque oublié que le maitre d’Imagho faisait de la musique et pouvait même composer des chansons. Mais avait il encore le temps, entre sa quête d’un album d’Anthrax et de son pressage bolivien réalisé par un fan yougoslave en exile pendant la guerre, sa réparation d’un ampli, car l’ampoule fabriquée en Slovénie était une arnaque totale et que seules celles fabriquées dans un établissement centenaire à Durnstein sur les bords du Danube trouvaient grâce à ses yeux (enfin oreilles).

Mais c’était oublier qu’il y a quelques années nous étions quelques-uns (perso radin comme je suis je ne me souvenais pas avoir participé) a avoir financé la sortie d’un album chanté. C’était sans compter sur un label pas trop vertueux, et l’abandon d’un projet qui pourtant promettait en témoignait un morceau offert pour une de nos compilations.

C’est alors qu’entre deux brocantes et nettoyages de vinyles, Jean Louis Prades eu la bonne et riche idée de se décider à sortir son disque. Il fallait pour cela refaire le mix, le mastering et l’artwork (label pas très vertueux…vous voyez), et courir après un label, mais comme Jean-Louis ne pouvait pas courir trois lièvres à la fois, il coupa la poire en deux (je suis, je pense, atteint de la Benjamin Grivosite qui consiste à utiliser le plus d’expression toute faite) et monta son label, le bien nommé Images Nocturnes. Fort de cet élan, Jean-Louis inversa la rotation de la planète et le Soleil qui a l’origine était à Tokyo, se transforma en Soleil, le Soleil de tout le monde, et pas seulement celui des nippons.

Si jusqu’à présent Imagho est connu pour une œuvre instrumentale (sa modestie ou son scepticisme lui feront dire connu uniquement par les gens de sa rue) « Soleil » est une tentative gonflée de faire des chansons (j’aime dire faire plus qu’écrire, car dans faire il y a une vision d’une forme d’artisanat d’art qui colle bien à Jean-Louis) sans pour autant se plier à la grille obligatoire. Et c’est là que « Soleil » est un coup de maitre, qui pourrait rendre fou de jalousie quelqu’un comme Dominique A, car si le grand A n’a jamais caché son envie de réussir à marcher dans les pas de « l’imprudence » (la tentative est avouons le raté avec "Tout sera comme Avant" ) et pour « Laughing Stock », il n’est pas encore parvenu, là où Imagho semble s’être posé avec la plus grande des facilités, s’éloignant du « codifié » pour l’aventure. Car « Soleil » est un disque d’une incroyable cohérence entre les sons, les mots, même dans une forme de dénuement (Le magnifique « Exemplaires »). Quand je taquine les passes temps de Jean louis, cela met en exergue une qualité indéniable qui saute aux oreilles, c’est la profonde patience (maniaquerie ?) et un sens plus qu’aigu de la mise en scène de ces propres chansons (« Déjà-Vu » à ce niveau-là est un petit chef-d’œuvre de 4’29", d’une sensibilité de chaque instant).

Là où la musique d’Imagho pouvait jusqu’à présent devoir passer par un filtre chez l’auditeur pour être pleinement appréciée, « Soleil » est un uppercut de beauté (terrassé par la fragilité solaire de "Chaque Saison") , mais sans violence, un coup au cœur, et le phrasé subtilement posé n’est pas nom plus étranger à cette réussite (je l’imagine aisément poser ses mots comme un maquettiste posera une pièce minuscule sur un bateau gigantesque). « Secréte » est de ce point de vue un morceau terrassant de beauté, un morceau violant pour mon épiderme.

En 9 titres, Imagho fait plus que de redonner vie à un projet avorté (une reconstruction comme il est écrit dans le digipack), il s’offre une nouvelle vie pendant laquelle il aura le pouvoir de ne jamais oublier qu’en signant un titre comme « Paradis Perdu » il fait plus que de la musique, il entre dans une famille rare celle des poètes des mots et du son. Un disque brulant d’une passion quasi divine. Merci Jean-Louis.