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Après une petite excursion pour prendre de la hauteur vers les ruines du château en surplomb de Vendôme, on se rend en début d’après-midi à la chapelle Saint Jacques pour attaquer la dernière journée du festival avec Edouard Ferlet et son « human piano » devant une salle (plus que) comble.

Seul sur scène, il est entouré d’un piano droit et d’un piano à queue. On découvre au fur et à mesure de son set l’intrication des 2 pianos, l’un étant joué, l’autre piloté par des programmations, et parfois joué également par l’artiste avec différents ustensiles pour sortir des sonorités moins attendues d’un tel instrument. C’est très maitrisé techniquement, les compositions, assez longues, sont d’une belle richesse sonore mais tournent parfois à la musique pour musiciens ; sur la 2e moitié du set, les nappes et ambiances nous apportent ce regain d’émotion qui nous manquait auparavant.

Suit l’ensorcelante Shannon Wright qui attire un public venu de toute la région pour présenter en solo piano son dernier album, le splendide Providence. Elle s’installe devant son instrument, et déroule ses plus beaux morceaux composés au piano dans une ambiance quasi religieuse. C’est la première fois qu’elle ne joue que de cet instrument en concert, elle alterne habituellement entre guitare et clavier. Le pari du dépouillement est d’emblée gagné, car derrière sa mèche de cheveu, son expressivité incroyable tant au piano qu’à la voix la fait passer du calme à la tempête en quelques secondes, emportant tout (et tout le monde) sur son passage. Comme à son habitude, elle ne parle pas entre les morceaux mais sourit aux applaudissements en regardant le public, qui lui envoie de l’amour. Après chaque titre, on la sent encore dans son émotion, à fleur de peau, fragile et écorchée vive en même temps. Elle crée une connexion directe sur son âme, son monde intérieur, elle baisse toutes les barrières et nous laisse venir à elle, sans fard ni pudeur. Rien pour la protéger, et c’est fascinant de voir quelqu’un se mettre à nu ainsi alors qu’on la sait pleine de retenue autrement. C’est pour cela qu’on devient vite addict, ce lâcher prise, ce lien direct est d’une rare intensité.

À peine le temps de nous remettre de nos émotions qu’on se retrouve à la Fabrique du Docteur Faton pour assister au concert de Binidu, trio composé des 2 de Pneu (guitare / batterie + bidouilles) - qu’on verra plus tard au sein de la Colonie de Vacances - et de Vincent Dupas à la guitare et au chant (My name is nobody, Fordamage). L’éclairage est minimaliste, et réagi au son, qui lui est gros. Le chant en anglais par-dessus cet entrelacs sonore est noyé dans des effets. C’est barré, c’est math-rock, ça joue fort, ça envoie de belles envolées énergiques entêtantes et ça fait danser les mômes !

Nous n’avions pas encore abordé l’aspect culinaire du festival, qui propose le soir toute une panoplie d’assiettes végétariennes, de plats du jour, de croques-monsieur et sandwichs divers et variés, sans oublier les desserts excellents, tout ceci bien cuisiné et différent chaque jour. On salue l’effort des Rockomotives qui se fournissent auprès de producteurs locaux et des bénévoles souriants qui nourrissent les festivaliers affamés jusqu’au bout de la nuit et les abreuvent de vins et bières locales.

Nous sommes donc au Minotaure pour le début de la soirée la plus électrique et sonore du festival, mais on est cueilli à contre-pied par le groupe anglais à sonorité acoustique Buriers. Violon / violoncelle / guitare / batterie, et un chant plus près du spoken word. La musique planante est un écrin pour des textes navigant entre poésie et réalisme. Le chanteur James P. Honey blague avec le public entre les morceaux et redevient plus sérieux en évoquant le brexit. C’est une belle découverte et on se laisse porter par la chaleur de ce groupe londonien.

Le moins que l’on puisse dire c’est que les propositions du festival sont atypiques et nous font approcher des contrées vers lesquelles nous ne nous serions peut-être jamais aventurés seuls. Nous découvrons donc le groupe suivant, Catastrophe, et leur opéra pop en français et anglais. On sent qu’ils ont envie de nous donner envie, ils se donnent à fond pour un show très chorégraphié qui se rapproche d’une comédie musicale. On salue l’originalité de la formule, mais on remballe malgré tout notre costume d’Indiana Jones, on s’est perdu sans trouver l’arche sur ce coup.

Vient le trio Delgrés que l’on écoute pour la 3ème fois cette année, ce sont les chouchous des programmateurs de festivals il semblerait et on comprend bien pourquoi. Leur blues mâtiné de créole est puissant et fait danser le public dès les premiers accords. On les sent plus qu’à l’aise et toute la salle reprend en chœur leurs paroles engagées : « ramenez-moi au pays de mes ancêtres… ». Le chanteur Pascal Danaë nous rappelle que le nom du groupe vient de Louis Delgrès, combattant de la liberté guadeloupéen en 1802, qui se dressa contre Napoléon. Le soubassophone est impressionnant et ses basses nous font vibrer à l’unisson du rythme de la batterie. Imparable !

Tout le monde connait Didier Wampas, et bizarrement nous ne l’avions pas encore vu en concert. On se faisait une certaine idée de ce que cela pourrait donner et nous étions loin du compte, c’est encore plus fou que ce que l’on pouvait espérer. Le groupe pose à peine les pieds sur scène que la fan base hurle de joie. Les morceaux sont délivrés à cent à l’heure, courts juste comme il faut, du punk à l’ancienne quoi ! Bon, par contre les musiciens sont tous en ear-monitor, ça casse un peu la punk attitude, faut bien avouer. Mais heureusement le leader, Didier, reste avec les bons vieux retours et fout le bordel du début à la fin, incontrôlable sur scène et dans la salle. Parce que le monsieur ne reste pas sagement sur le plateau, oh que non, mais adore jouer avec, dans, autour, sur le public. Un technicien (dédié à ses facéties) essaie tant bien que mal de faire suivre le fil du micro tout au long du set, pas facile de tenir le chanteur en laisse, c’est qu’il se débat le bougre ! Il court, saute, hurle, surfe sur les fans, jette le micro en l’air – qui se prend dans la rampe de lumières – cela devient ensuite un jeu de retenter l’exploit puis de le faire rebondir à terre pour simuler des rythmiques – le technicien son ne doit plus avoir de cheveux en fin de tournée. On se surprend à reprendre les paroles des chansons, parce que finalement, elles font parties de nous, de l’inconscient collectif, on les a tous déjà entendu ici ou là. Ce sont des tubes en puissance, simples, efficaces, marrant juste ce qu’il faut, militant sur les bords un peu aussi. On assiste à des moments de ferveurs, quand Didier fend la foule, poussé sur un flight-case, puis fait s’assoir tout le monde autour de lui (et ça marche !), ou encore invite au pogo, toujours dans le respect de l’autre. Si t’as jamais assisté à un concert des Wampas, t’as raté quelque chose ! Merci les rockos, c’est enfin chose faite pour nous.

L’intensité musicale ne cesse de monter et atteint son apogée avec Ifriqiyya Électrique. Un mur de sons déferle sur nos oreilles et nous scotche devant les vidéos qui défilent sur un immense écran derrière les 4 musiciens alignés. Dernier projet en date de François-Régis Cambuzat (L’Enfance Rouge), le groupe nous embarque dans une transe collective, aux sonorités africaines, mélange de musique répétitive avec chants répétés comme des mantras, et de sons saturés comprenant bandes rythmiques martiales quasi indus et guitare + basse. La fatigue auditive commence à se faire sentir et c’est une déferlante qu’on a finalement du mal à absorber totalement.

L’intensité sonore ne retombe pas car suit un jeune groupe nommé Stuffed Foxes (prochaine sortie du label Figures Libres) formé de 6 musiciens (dont 3 guitaristes !) qui pilonne le public d’un mur de son noisy/shoegaze, accompagné d’un chant avec un delay très présent. Aux envolées soniques alternent des passages plus planants et parfois psychés. Nous encaissons les décibels mais la lutte devient difficile, autant que d’apprécier ce groupe à sa juste valeur.

Faut-il encore présenter la Colonie de Vacances ? Ce procédé inédit de 4 groupes (Marvin, Pneu, Electric Electric, Papier Tigre) disposés dans 4 angles, formant un super groupe qui envoie du son en quadriphonie vers le centre où se trouve un public rendu fou par les rythmes dansants ou martelants des batteries et les sons acérés des guitares, basses et claviers. Ça n’est pas encore le moment pour reposer ses oreilles, mais c’est tellement jouissif qu’on s’en fout éperdument, et qu’on danse, qu’on se bouscule comme des dératés. Selon l’humeur, on se met au centre où ça pogote – et on participe, forcément – ou on fait le tour pour prendre la température et voir de plus près chaque groupe. Le son tourne, se fixe, se répond, c’est puissant, hyper carré, dingue en un mot. Moment de communion incroyable où l’hébétude de certains nouveaux adeptes rejoint la frénésie joyeuse des habitués de la colo. On en sort épuisés mais ravis !

Ainsi s’achève cette 28ème édition des Rockomotives qui nous aura ébouriffé de ses découvertes audacieuses et ravi par ses moments de douceur et de ferveur, comme le concert de Shannon Wright, alternant avec ses déflagrations explosives comme les Psychotic Monks ou la Colonie de Vacances. Trois jours, ça passe vite, mais on repart avec de beaux souvenirs sonores, des moments d’apesanteur, de chaleur humaine, de sourire sur les lèvres, de pogos et de transes musicales. Un pari gagné encore une fois par la programmation, l’organisation et les bénévoles toujours sur le pont. Et les artistes, bien sûr, parce que sans eux, pas de magie.

Photos FLK - Album complet : https://www.flickr.com/photos/infinir/albums/72157712106531792




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