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À l’heure du coronamachin, la « joie de vivre » morrisseyenne n’est sans doute guère le meilleur antidote pour retrouver le moral. S’ajoute à la torpeur actuelle le fait que l’ex Smiths survie en catimini dans nos existences : chaque nouvel album, depuis l’affreux Years of Refusal, ne dépasse jamais deux ou trois écoutes en souvenir du passé, pour rejoindre aussitôt la poussière des étagères CD. Sans même parler des inexcusables propos racistes et autres sorties de routes dont Morrissey se gargarise dorénavant avec une inquiétante satiété. Ce n’est plus « I still love you / Only slightly less than I used to », comme le chantait Steven sur un prophétique “Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before”, mais plutôt « Morrissey : ferme ta gueule ! »

Il y a tous ces arguments. Et ce nouvel album qui nous prend par surprise. Car, eh oui, I am Not a Dog on a Chain est certainement le meilleur Morrissey depuis Ringleader of the Tormentors (2006, quand même). Un enthousiasme à cependant prendre avec des pincettes : pas de quoi rivaliser avec Viva Hate, Vauxhall and I ou même Kill Uncle. Morrissey, selon l’adage, chante aujourd’hui de mieux en mieux des mots de moins en moins inspirés. C’est le principal problème de I am Not a Dog ainsi que de toutes les compositions du Moz depuis le testamentaire “Speedway” : Steven n’y parle que de réminiscences, il puise dans le passé, balance des jeux de mots foireux, se contente finalement de peu. Sur ce point, mieux vaut ne pas trop prêter attention aux textes de I am Not a Dog tant le niveau se limite à la phrase assassine ou faussement introspective (quand il ne s’agit pas de raconter les souvenirs d’enfance).

Reste la musique, la grande affaire perdante de Steven depuis le départ de Johnny Marr. Entre rockabilly fier du biceps et grattes dégueulasses, Morrissey semblait totalement se contrefoutre de l’écrin sonore. Ce n’est pas le cas ici : sur l’ouverture “Jim Jim Falls”, Morrissey se frotte à l’électro-pop ( !?) pour un résultat qui devrait rejoindre certains sommets de l’auteur (dommage que le texte…). En seconde position, “Love is on its Way Out”, malgré un final grandiloquent, plait pour son synthétique un peu crade. Dans un registre The Smiths, donc pop avec jolies grattes, le titre “What Kind of People Lives in This Houses” est absolument réjouissant – malgré des paroles routines. “Knockabout World” est une autre réussite : Morrissey y pousse la revendication (« You’re OK by me  ») sur un mélange d’électro vintage et de guitares façon Vini Reilly. Dans un autre registre, “Once I Saw the River Clean” s’offre un pied-à-terre dans le Berlin bowien de Station to Station

Du Morrissey explorateur, qui s’étiole malheureusement en fin de parcours : avec ses presque huit minutes m’as-tu vu, “The Secret of Music” est un titre d’autant plus inutile que sa longueur permet de percevoir la vacuité du texte. Idem avec “My Hurling Days Are Done”, morceau de clôture qui aimerait bien retrouver le venin de “Speedway”, sauf que la chanson ne monte jamais en puissance, et son texte ne peut rivaliser avec les méchancetés de Vauxhall and I.

Malgré lui, malgré nous, en 2020, Morrissey, avec un nouvel album mineur mais digne, s’offre le luxe d’égayer nos journées confinées. Qui l’aurait cru ?