Après deux EP enregistrés dans les années 2010 et des collaborations avec Chloé Lacan et Verone, qu’elle a par ailleurs accompagnés en tournée, la Nantaise Claire Redor livre un magistral premier album en forme d’éloge de la lenteur – tant elle a su prendre son temps pour en peaufiner le moindre détail, épaulée dans sa quête du juste, du sincère, du touchant, par ses amis de Facteur Chevaux (Fabien Guidollet et Sammy Decoster) – mais également ode à la créativité féconde, au vu des compositions subtiles, arrangements malicieux et autres mélodies entêtantes qui parsèment les onze titres de « Fruit Mûr ».

Si le piano est son instrument de prédilection, Claire Redor – dont la lettrée voix d’argent narre avec délicatesse les doux instants perdus ou à venir – s’aventure hors des sentiers battus de la chanson française, avec pour seule boussole l’intemporel instinct du beau, de la beauté sans fard, pure et simple, pure de simplicité, mariant le souffle au silence, nouant roseau au chêne, volutes aériennes et tellurique volupté : il suffira d’écouter « Ainsi la nuit » et son merveilleux final quasi post-rock tout de chœurs noyés, ou la surprenante kermesse freak de « Fanfare », pour se laisser convaincre par un « Fruit Mûr » dont l’apparente fragilité, magnifiée par une production soyeuse, laisse ici et là deviner torrents et tourbillons intérieurs.

Entre le mélancolique « Prière », qui pourrait illustrer la bande son d’un film français des sixties (au hasard, « La Chamade » ?), l’atmosphère très Twin Peaks – voix réverbérées et sifflements catchy – de « L’algue et l’iris », les discrètes boucles électroniques de « Ondine », le jazz bizarre à la Tom Waits de « Je sais que tu chantes la nuit à la porte du jardin » et l’inspiré violoncelle d’Erwan Martinerie, il y a beaucoup à entendre et à savourer dans ce si poétique et envoûtant « Fruit Mûr », qui confirme avec brio les belles promesses entrevues ces dernières années et, surtout, place d’emblée la barre très haut, très très haut.