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Nous avions quitté Gaël Desbois avec, Je Vous Attends, album sur l’espoir de retrouver deux enfants adoptés à Kinshasa. Celui-ci faisait suite à Crimson King, disque sur le deuil. L’enracinement d’un arbre, fruit du déracinement d’un homme face à la perte dans ce dernier, ou dans le cas de Je vous Attends, dans celui de son pays. Le Corps Humain, troisième album solo de ce grand navigateur de la musique indépendante française, est une jonction entre ces deux déracinements, celui de la traversée (Stella) celui que font des centaines de migrants, jouant avec leur vie au milieu de l’océan, pour un monde meilleur. Il est empreint d’une gravité que la froideur de la musique ne viendra pas réchauffer, pas plus que des textes d’une violence salutaire (Le Corps Humain, chanson titre édifiante sur la vie d’un humain né quelque part, mais pas là où il faut.). Il est recouvert par un voile poétique (dans les textes et dans la musique au carrefour de Depeche Mode ou Alan Vega), comme ce linceul que l’on pose sur le corps inerte finissant son voyage sur une plage de sable, véhiculé par le ressac d’une eau (l’élément mi-ange mi-démon) qui fait de sa surface la frontière entre la vie et la mort.

Jamais plombant, car donnant à son auditeur des clés aux verrous multiples, Le Corps Humain, questionne tout autant notre perception de la musique que notre humanité (Nous Sommes, sont ils passés, sont ils encore là, leur corps debout sur la terre ferme ?). Sans jamais donner de leçon, Chasseur nous livre une vision factuelle et froide, jouant juste avec un filtre poétique pour que nous continuions à regarder devant nous, laissant le nombril nourricier de côté, pour se nourrir de l’histoire des autres, qui sont, comme nous.

L’album aurait pu s’appeler la traversée (Devant Nous, tube imparable, comme l’étoile polaire avec laquelle nous pourrions nous guider au milieu de la mer), mais il n’aurait pas eu le même impact, car si l’exode est une chimère pour les Occidentaux que nous sommes (même si la guerre récente en Europe a fragilisé nos certitudes), Le Corps Humain lui est une chose que nous partageons tous, mais qui, ne joue pas toujours avec sa survie suivant l’endroit où il viendra au monde. Chasseur, cueilleur d’humanité.