Terre fertile d’aventures expérimentales exigeantes, le label canadien – basé à Vancouver – Redshift Records (Brian Abbott, Cris Inguanti, Rachel Kiyo Iwaasa, etc.) accueille le premier album de la compositrice Emilie Cecilia LeBel, originaire de Montréal et par ailleurs enseignante à la MacEwan University d’Edmonton, dont la devise latine discendo floremus (en gros : en apprenant, nous nous épanouissons) a été remplacée par un trivial choice and flexibility qui ne mange pas de pain.
Field Studies, fruit de quinze années passées à arpenter les sinueux sentiers de la musique contemporaine, entre orchestral et minimal, harmonique et atonal, acousmatique et électronique, se perçoit comme le portrait en creux d’une artiste interdisciplinaire, sans œillères et amie du silence – qu’elle balafre ici et là de dissonances discrètes – qui, de pianos à la réverbération profonde en volutes de flûte ou de saxophone, propose plus qu’elle n’impose, même si le talent pour le clair obscur dont elle fait preuve est indéniable.
En cinq longues plages instrumentales, interprétées entre 2016 et 2022, Emilie Cecilia LeBel nous fait le beau cadeau d’une fin d’après-midi contemplative, tandis que sur les toits de Paris le soleil printanier glisse lentement, de tuiles en cheminées, jouant avec les nuages et le vent léger qui secoue le tilleul au pied de mon balcon.
Evaporation, blue, pour piano solo et harmonica, se fait la merveilleuse introduction d’un ...and the higher leaves of the trees seemed to shimmer in the last of the sunlight’s lingering touch of them... de haute volée durant lequel l’ensemble Ultraviolet joue à la lisière du climax post-rock, sans jamais chercher à l’atteindre, puisque tout l’éclat de ce morceau est dans la retenue. Plus tard, sur Drift, c’est la chanteuse Jane Berry, au phrasé quasi-religieux, mais d’une religiosité athée baroque et contemporaine, qui accompagne des accords de piano plaqués et dissonants. L’influence d’Arvo Pärt, peut-être.
Austère et néanmoins riche, Field Studies n’en oublie pas de se montrer accessible, et c’est sa grande force : il suffira de suivre la flûte alto de Even if nothing but shapes and light reflected in the glass, entrelacée avec son inquiétant jumeau le saxophone baryton, dont les glissements mélodiques font tomber la pluie, pour s’en convaincre, même si le Further migration (migration no. 1) et son violon âpre, joué par Ilana Waniuk, nous disent le contraire. Emilie Cecilia LeBel explore le champ des possibles, avec patience et générosité, à nous de nous mettre au diapason et de lui faire confiance, ça vaut franchement le coup.