Le révérend Howard Finster a fait connaître son œuvre au grand public grâce à ses pochettes pour les albums de Talking Heads (Little Creatures, 1985) et de R.E.M. (Reckoning, 1988). Aujourd’hui, La Jungle lui retourne la politesse en s’emparant à son tour de l’art brut et en confiant son artwork à des artistes appartenant à ce courant anti-académique, pour en faire « une partie intégrante » de Blurry Landscape, nouvel album du duo de Mons.
C’est Dubuffet qui, dans les années 40, met en avant ce concept d’art brut (en anglais Outsider Art). Il fait ainsi le tour des asiles psychiatriques, des prisons ou des villages et constitue une collection d’œuvres inédites. Ce qui intéresse Dubuffet c’est que les auteurs autodidactes de ces œuvres n’ont pas conscience d’être des artistes et ils garantissent ainsi ce qui fait l’essence même de l’art, à savoir la pulsion créatrice sans filtre. Difficile de trouver une meilleure définition de la musique luxuriante et spontanée de La Jungle.
Jim & Roxie ont donc fait confiance à Hideki Oki et ses animaux fantastiques pour leur portrait sur la pochette (C’est bien Roxie à droite, hein ?) et c’est Juliette Zanon (qui avait déjà fait un artwork pour Elodie Pasquier en 2017) qui a illustré le 7’’ qui accompagne la sortie du light blue LP. Les onze morceaux qui composent Blurry Landscape ont été illustrés et leurs titres donnés par des artistes rassemblés notamment grâce au Art et Marges musée de Bruxelles.
A l’heure où l’on écrit ces lignes, on ne dispose que d’une version numérique de ce 6ème album de La Jungle, alors « let’s play a game » en essayant de retrouver, à partir de la liste des artistes fournie par le groupe, celui ou celle qui a illustré et nommé ces 11 morceaux. On a quand même de grandes chances de se planter mais on aura passé un bon moment.
Chronique brutale
Pour être tout à fait honnête, si on va faire un tour sur le bandcamp du groupe, on sait que Panther’s Rib Cage, morceau dance floor compatible, a été confié à Inès Reddah qui dessine « des silhouettes aux cheveux électriques », « des foules », avec des gens « les bras en l’air ». On sait aussi que Le chemin Rapide qui adopte paradoxalement un tempo plutôt lent propice aux incantations et des slides de basse hypnotiques, a été représenté par Samuel Trenquier dont le travail rappelle l’art naïf du douanier Rousseau, sans doute en raison de ses origines gabonaises. Pour le reste, va falloir deviner...
Blurry Landscape s’ouvre sur Tomorrow, introduction éminemment rythmique puisque 100% percussive. Alors on se dit que Lien Anckaert pourrait bien correspondre. Pas de paroles dans ce morceau et Lien ne sait pas lire ; alors elle fabrique des calligrammes tout en ayant une appétence pour le rythme et la répétition, ce qui tombe plutôt bien. Pour l’ultra rapide et très « flanger » The Marvellous Forest of our Dream, c’est à coup sûr André Robillard qui s’y colle, lui qui a rencontré Dubuffet et qui est aussi musicien et fabricant de fusils à partir d’objets de récupération « pour tuer la misère ». L’œuvre de cet artiste paranoïaque est à découvrir à Beaubourg.
Laurence Halleux a forcément illustré La compagnie de la chanson avec ses accumulations qui rappellent la pochette de Hail to the Thief de Radiohead. Le pattern de Roxie est ici digne des « Princes du Pacifique » lorsque La Jungle était venu brûler une vache et pas mal de festivaliers au Blackwoodstock Festival, en Nouvelle Calédonie en 2022.
Pascal Leyder qui se distingue par ses décors urbains est inévitablement l’auteur de Hatching the Light et Camille Mildrez a probablement illustré Stop, interlude en guise de cinquième morceau et respiration nécessaire dans cet album (et cette chronique) impénétrable.
On verrait bien un portrait monochrome du Tigre en bottes vertes par François Peeters pour un morceau qui rappelle les heures de gloire de LCD Soundsystem quand le « Once in a lifetime » scandé dans Bass from Funky Jacky correspondrait bien au Golden Boy qui revient dans l’œuvre fantasmée de Dominique Théâte.
Pour finir, The Growl and the Relief trouve nécessairement sa place dans les cirques graphiques du mélomane Kostia Botkine alors que le futuriste Voyage vers de cosmos en vaisseau d’argent ne peut qu’appartenir à Serge Delaunay, disparu depuis et qui dessinait voitures et engins spatiaux.
On verra bien si on y a vu clair dans ces paysages flous le 23 juin mais d’ici là, on ne peut que saluer le travail d’un duo dont l’expression artistique va bien au-delà de la musique.