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Figure de la scène underground caennaise et membre de Beach Youth, Étienne Froidure rassasie ses envies de compositions sous l’égide d’un insecte à la mauvaise réputation culturellement discutable : qui sommes-nous, espèce prédatrice sans conscience globale et à la vision court-termiste, pour injecter de l’éthique dans un monde animal que par ailleurs nous utilisons à peu de choses près uniquement à des fins nourricières ?

Théocrite, au 3ème siècle avant Jésus Christ, avait décrit la mante comme étant prophétesse (on parle d’un peuple qui pratiquait la divination à base de sacrifice animal) puis avec chrétiens le tigre de l’herbe est devenu la mante religieuse, parure métaphysique dont se passe aisément La Mante, qui fait du terre à terre son jardin, en témoigne le titre de son premier album, Musique Pour Les Oreilles, publié par le label caennais WeWant2Record (Concordski, Fugu, Trotski Nautique).

Chant clair et arrangements solaires, guitares arpégées et batteries aériennes, claviers amis et arrangements délicats, en une évocation 60s et néanmoins moderne, La Mante effeuille avec délicatesse névroses et avanies, la voix nimbée de réverbération, apaisée et néanmoins flirtant avec ce qui transforme l’âme en déchetterie à ciel ouvert. Merveille d’harmonies et de ponctuations luxurieuses est Que Diable, qui fait suite à une courte introduction dont la durée est La Mesure. Une mesure donc, qui prend son temps mais s’avère évidemment trop courte : le plaisir est dans la frustration.

Il y a dans le phrasé calme et apaisé d’Étienne Froidure, soucieux d’insouciance solaire, un réconfort tel qu’on le retrouve chez Daho (la voix blanche), sans la posture faussement moderniste. La Mante est résolument passéiste, au sens où les instruments sont joués à la main, ici des cordes, là un xylophone, notre homme sait en son voyage pop extatique s’accompagner : Christelle Raquillet (flûte), Gautier Caignaert (batterie), Guilherm Frénod (batterie), Arthur Chen (guitare), Adrien Leprêtre (piano), Tiago Ribeiro (piano) et Manuel Decocq (violon).

Les chansons s’enchaînent sans pour autant lier l’auditeur, tant chaque composition, que ce soit par le texte – intime et humaniste – ou les arrangements – riches et légers, tels que Belle and Sebastien savaient à leur prime écrire – visent juste. Ici et là la justesse mélodique me rappelle Savel mais les références 60s et 70s élargissent le spectre musical d’un Musique pour les oreilles qui atteint sa cible. Un morceau tel que L’Hameçon, c’est exactement ce que rêve d’écrire le brestois Lesneu : emphase, certes, mais légèreté, car omission du moi lourdingue, sachant que les guitares twang sont résolument exquises.

Si, sur le vénéneux Charmeur de Serpent, on croit par intermittences (les inflexions aiguës) entendre Daniel Balavoine, Asobi Seksu n’est pas loin et ramène notre homme à bon port, comme un Ulysse imperméable aux sirènes de la facilité, en témoigne la fin minimaliste centrée sur un beat binaire. La Mante est joueur et invoque pas mal de démons ludiques, mais jamais ne mise plus qu’il ne saurait perdre, quand bien même sa dernière chemise serait au clou : Musique Pour Les Oreilles est une valeur sûre, truffée de malice et de savoir-faire. Applaudissements mérités.




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