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En 1980, Lester Bangs donnait une interview à un animateur du programme radio News Blimp. A la question : " Comment devient-on critique rock ?", il répondit : " Si tu veux mon avis, tout le monde peut devenir critique rock. A partir du moment où tu te rends chez un disquaire et que tu choisis tel disque plutôt que tel autre, t’es critique rock. Pour ce qui me concerne, ma légitimité vaut celle d’un autre… ". La modestie des passionnés. La modestie de ceux qui réservent leurs coups d’éclat pour -en l’espèce- leurs écrits. Le coup d’éclat, l’une des caractéristiques stylistiques de Bangs, dont les Editions Tristram présentent la suite de ses Psychotic Reactions & Autres Carburateurs Flingués parus en 1996.

Quand Psychotic Reactions explorait certains articles de Bangs parus dans Creem entre 1972-1976, Fêtes Sanglantes s’attarde sur les années new-yorkaises du rock-critic (1977-1982). Le lecteur y découvrira également les saillies autobiographiques de l’auteur ainsi qu’un extrait de son roman inachevé, Tous mes amis sont des ermites. S’il en était besoin, Fêtes Sanglantes confirme donc le caractère très fictionnel des écrits de Bangs. Par ailleurs, le style flamboyant et si caractéristique de l’auteur -collision de mots, digressions permanentes, ruptures de rythme, néologisme, narration heurtée…- donne la pleine mesure de l’attachement féroce de Bangs pour la musique au sujet de laquelle il écrit.

Ce styliste génial semble chercher dans l’écoute des productions qu’il commente l’émotion initiale du concert des Rolling Stones auquel il assistait, jeunot, en 1964. Gare donc si la musique qui croise ses oreilles n’approche pas l’excellence figée par ses souvenirs. Ainsi la chronique de Kick Out The Jams du MC5 dans laquelle Bangs déplore d’avoir dépensé autant d’argent pour se procurer " ce machin ridicule, arrogant et prétentieux ", véritable " bouzin énergie-totale recouvrant ces étendues de clichés et de boucan hideux, juste bons pour le dépôt de ferraille ". Savoureux si l’on garde à l’esprit qu’à notre époque la majorité des groupes de rock se réclament de Wayne Kramer et les siens.

Autre moment savoureux -pour moi, à tout le moins- le passage où le rock-critic s’en prend à Dylan dans un article intitulé ironiquement "Dylan badine avec le Mafia Chic : c’est pas un délinquant, juste un incompris ". Je connais peu Dylan mais cette méconnaissance n’empêche en rien de saisir la raison du courroux de Bangs. Celui-ci s’attarde sur un titre de Desire, " Joey " -selon lui une " ballade pesante et bâclée de onze minutes ". Ce titre de Dylan consacre " Crazy Joey " Gallo, gangster assassiné en 1972 à Little Italy lors d’un épisode de la guerre des gangs, comme martyr populaire. Durant plusieurs pages, Bangs démonte la pensée de Dylan quand elle s’exerce de manière manichéenne sur le terrain du crime. Schématiquement, il lui reproche de travestir la réalité meurtrière de la guerre des gangs pour nourrir ses chansons et de se tromper de cause à défendre. Un passage exceptionnel où Bangs paraît abandonner un temps sa mauvaise foi pour faire œuvre de fin sociologue/historien.

Car Fêtes Sanglantes ne se résume pas à un tire aux pigeons, à un jeu de massacre orchestré avec férocité et cynisme. Non seulement Bangs y dit son amour pour les artistes qui comptent (voir la chronique de Horses de Patti Smith) mais il y dit surtout -avec beaucoup d’acuité- tristesse et désillusions nées de l’observation d’un monde en déliquescence. Evoquant Jello Biafra des Dead Kennedys, il écrit en 1981 : " Tu hais réellement la vie américaine actuelle, Jerry Brown et Ronald Reagan. Moi aussi". On donnerait cher pour lire son analyse vingt-ans plus tard. Un désir inassouvi. Restent Psychotic Reactions et maintenant Fêtes Sanglantes, deux sommes indispensables.




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