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Patrice Lecot : Ton dernier album « Casino » date de 2008. Qu’est-ce qui s’est passé depuis tout ce temps ?

Arman Méliès : Il s’est passé beaucoup de choses. J’ai notamment collaboré avec d’autres personnes soit pour l’écriture, soit pour la scène et du coup l’album qui était déjà écrit puis enregistré a mis un petit peu de temps à sortir puisque j’étais fort occupé par ces autres projets y compris par d’autres projets aussi, plus personnels. J’ai enregistré 2 disques instrumentaux : l’un est trouvable sur internet et l’autre devrait sortir en vinyle soit avant l’été soit juste après l’été. Donc voilà, il y a eu pas mal de choses qui ont fait que j’ai dû reculé à chaque fois la sortie de ce disque.

PL : On t’a retrouvé sur l’album « Bleu pétrole » de Bashung pour lequel tu as écrit 2 titres et puis tu as collaboré avec Julien Doré avec qui tu es parti en tournée et on t’a retrouvé aussi sur l’album de H. F Thiéfaine.

AM : Tout à fait. J’ai travaillé avec ces gens là et j’ai eu la chance de les rencontrer et de pouvoir leur offrir des morceaux. Ca m’a pris un petit peu de temps mais ça m’a permis de prendre du recul par rapport à ma musique. Le fait de se consacrer à d’autres personnes permet aussi de voir les choses un peu différemment. D’où certainement l’évolution, non pas dans les compositions du disque, mais en tout cas dans l’esthétique générale qui est marquée par quelque chose d’un peu plus synthétique et d’un petit peu moins « folk » ou « chanson » comme c’était le cas auparavant.

PL : Ce sont ces échanges avec ces différents artistes qui t’ont amené à composer autrement, à voir d’une manière nouvelle ta musique ?

AM : Oui, par exemple la rencontre avec Alain Bashung a été quelque chose de très important. Déjà parce que c’était une personne qui comptait beaucoup, qui était dans mon Panthéon personnel depuis pas mal de temps. Donc le rencontrer c’était déjà un très grand plaisir et un très grand honneur mais en le côtoyant j’ai appris certaines choses dont le fait de toujours vouloir chercher à se renouveler. Alain avait cette faculté à toujours chercher à droite et à gauche en se nourrissant d’influences extérieures, à revigorer son univers personnel et à revisiter sa musique, avec toujours un besoin d’évolution. Ca a été pour moi une grande leçon. Moi qui voyait la musique comme une sorte de sillon que je devais creuser pour affirmer ma singularité, d’un seul coup je me suis dit que ça n’empêchait pas non plus d’aller voir ailleurs pour peu qu’on ne se perde pas en route et donc ça m’a ouvert certaines portes.

PL : Et toi de ton côté quand tu as commencé à enregistrer ce disque tu as eu aussi besoin d’aller chercher d’autres personnes pour t’épauler, pour réaliser cet album ?

AM : Pas véritablement. C’est sans doute, avec le 1er disque qui date d’une dizaine d’années, le disque que j’ai fait le plus en autarcie. J’ai finalisé tout le disque avec Antoine Gaillet, l’ingé-son avec qui j’ai l’habitude de travailler ; mais toute la composition, les maquettes et une partie des enregistrements qu’on a gardé ensuite pour l’album ont été faits vraiment seul. Il n’y avait pas cette recherche d’influence extérieure parce que je savais que je voulais consacrer ce disque aux synthétiseurs et à des choses « modernes » : utiliser de l’éléctro, des boites à rythmes et toutes les technologies actuelles et délaisser volontairement - non pas par dégoût mais par choix esthétique- la guitare pour un temps, pour essayer de voir ce que ça pouvait donner. C’était vraiment le postulat de base : poser la guitare et s’en servir uniquement en cas d’extrême besoin et de tout faire aux synthétiseurs, piano ou boîte à rythmes.

PL : C’est ce qu’on ressent à l’écoute de ce disque qui reçoit un très bon accueil un peu partout. Il est très marqué par les sons synthétiques et il y a même des sons sur la fin du titre « Arlésienne » que je trouve très proches de ce que faisait Jean-Michel Jarre à l’époque d’« Equinoxe » et « Oxygène ». C’est une influence pour toi ?

AM : Oui, ça peut être une influence en effet. Ces disques là que j’ai racheté il y a quelques années en les trouvant dans des brocantes en vinyle ont été, non pas une influence majeure parce que J. M Jarre déjà à l’époque -sans vouloir lui faire offense- recyclait ou en tout cas appartenait à un courant musical qui était un peu l’héritier français, dans une vaine un peu plus mélodique, de ce que pouvait être le krautrock en Allemagne. Et si je dois trouver des influences ou références assez marquantes pour ce disque ce serait plutôt Can, Neu ! et Tangerine Dream mais c’est vrai que l’univers musical des premiers Jean-Michel Jarre c’est ça aussi et je suis flatté si on compare certaines de mes sonorités aux siennes.

PL : Sur ce disque « AM IV », composé de 10 titres, il y en a un qui retient l’attention, c’est le superbe « Sylvaplana » qui dure 10 minutes. C’est pas commun de mettre un titre aussi long sur un album !

AV : Effectivement. Mais comme par ailleurs je commençai vraiment à expérimenter pas mal de choses au format instrumental en quittant le format « chanson » qui va de 3 à 6 minutes avec les couplet-refrain-pont - un format qui peut me convenir sans problème- mais là j’avais envie d’aller voir ailleurs. Et puis ça m’est apparu comme une évidence que les 3 parties devait être enchainées, qu’il y avait vraiment une cohérence. Ca racontait vraiment quelque chose et surtout, vu la longueur du titre je me rendais compte que ce n’était pas quelque chose de très habituel sur un disque de « chanson » mais pour moi c’est très important que ce titre figure au milieu du disque et non pas à la fin comme on peut se permettre parfois. Pour moi, ce morceau-là était vraiment la colonne vertébrale de tout l’album et c’était important qu’il soit à cette place.

PL : Tout à la fin du disque, on retrouve le titre « Mes chers amis » que tu avais sorti en 2012 mais il est ici en version instrumentale...qu’est-ce qui c’est passé ?

AM : Déjà, il y avait des petits soucis de droits parce que jamais nous n’avons eu l’autorisation d’utiliser le discours en question, qui était un discours écrit par Nicolas Sarkozy et Henri Guaino, sans qu’il n’y ait non plus de refus manifesté. Comme c’est un peu compliqué juridiquement, c’est peut-être déjà une chose qui pouvait poser problème et puis surtout, autant au moment de la sortie de ce titre là ça nous paraissait d’une actualité évidente puisque c’était pour la campagne pour les élections présidentielles, autant 1 an- 1an et demi après, je trouvais que ça avait tendance à connoter un peu le titre, à l’ancrer dans une période précise et à faire oublier que c’était avant tout un morceau de musique. Donc, je l’ai retravaillé un peu pour la version instrumentale et je me suis dit qu’à terme c’est un titre qui vieillirait sans doute mieux comme ça, même si je ne renie pas du tout l’utilisation du discours qui pour moi faisait sens et fait toujours sens quelque part. Mais voilà : sur un disque, je me suis dit que dans 5 ou 10 ans, je serais sans doute plus content d’avoir cet instrumental plutôt que d’avoir un discours politique ancré dans une période.

PL : Cet album est sorti sur le label « At(h)ome », c’est un changement de label pour toi. Pourquoi avoir fait le choix de sortir le disque chez eux ?

AM : C’était la fin de mon contrat avec Warner chez qui j’avais sorti mes disques précédents et j’avais envie de retourner à quelque chose d’un petit peu plus humain. Même si avec Warner il n’y a jamais eu de problème majeur, je me sentais parfois un peu perdu parce que c’est une grosse machine qui peut être terriblement efficace quand il s’agit de vendre de la musique qui est un peu « formatée » dans le sens où c’est une maison de disque qui sais très bien travailler des musiques qui ont déjà leur public. Quand il s’agit de travailler des « artistes en développement » , c’est un peu plus compliqué et on n’était pas toujours sur les mêmes longueurs d’ondes, et je les sentais parfois un petit peu embarrassés par les propositions que je leur faisais. Quand je leur amenais des titres, ils disaient que ça leur plaisait beaucoup mais qu’ils ne savaient pas trop quoi en faire... Au bout d’un moment, je me suis dis que j’allais plutôt aller voir des gens qui étaient directement réceptifs à mes chansons et il s’est avéré que j’ai revu les personnes du label At(h)ome que j’avais rencontré déjà plusieurs fois durant mon parcours et puis on s’est dit que c’était le bon moment pour travailler ensemble.

PL : Maintenant que le disque est sorti, tu vas allé le défendre sur scène. Il y a déjà quelques dates d’annoncées...Est-ce qu’on aura la chance de te voir dans la région de Blois/Tours/Orléans cette année ?

AM : Plutôt à la rentrée parce qu’il y a quelques concerts qui commencent à être programmés – une dizaine d’ici l’été et sans doute 3-4 festivals- mais c’est un peu des « concerts de chauffe ». Au fur et à mesure, je travaille sur le répertoire. Il faut apprendre avec les musiciens à jouer les nouveaux morceaux et ré-arranger les anciens pour faire quelque chose de cohérent avec le disque actuel et avec la formation actuelle, donc on travaille un peu tout ça. Il y a 2-3 concerts par mois pour se chauffer et puis après, il y aura une véritable tournée à partir du mois d’octobre où je pense qu’on pourra être présents.

Retranscription de l’interview réalisée par Patrice Lecot le 04/04/2013 dans le cadre de son émission Autre Chose - Certaine des émissions sont écoutables ou telechargeables ici : https://soundcloud.com/patrice-lecot/autre-chose-04042013

Patrice LECOT