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« Ela » est un disque qui a du être joué avec un grand sens du respect, tant il porte une attention toute bienveillante à l’environnement immédiat et à l’entourage. Celui de Dom la Nena et, par extension, le nôtre. Il ne faudra rien voir d’insultant là-dedans, mais ses chansons accompagnent à la perfection un moment de sociabilisation chez soi, au salon avec des invités. Elles ressemblent à la musique idéale pour un appartement mal insonorisé, loué par une jeune personne prévenante. Rien de risible dans ces faits. Il s’avère simplement que l’album à les qualités requises pour savoir se faire discret avant que quelqu’un, fatalement, ne le remarque et s’en enquiert.

C’est un disque rusé, chanté dans une langue (le portugais) que peu de gens susceptibles de l’entendre maîtrisent. Et donc, en plus d’être adroitement discret, il nous échappe avec malice. Suffisamment pour qu’on ait envie de lui courir après, en tout cas.

On hésite toujours un peu à l’écoute d’ « Ela ». La chanson qui sent le single à plein nez (« No Meu Pais ») ne montre le bout du sien qu’en deuxième position, précédé par un magnifique titre d’ouverture... Lui même retardé par les grincements provenant du siège de piano. Ou des lattes de parquet, ou de la pédale de sourdine. En tout cas quelque chose qui ne cherche pas à se déguiser et qui annonce le caractère plutôt acoustique, tout en prises rapprochés, de ce qui va se dérouler.

Au final, on ne sait pas non plus si Dom La Nena chante en portugais ou en portugais du Brésil. Impossible de juger si elle a un bon accent ou si elle fait des bourdes. Ce qui est sûr, c’est que ça ne sonne pas gimmick. Ça sent même carrément l’hommage fait à la famille ou à sa propre histoire de la musique.

Sans vouloir à tout prix ramener la langue portugaise aux traditions musicales dont elle a été l’outil poétique, il faut dire qu’il y a à la fois du fado et de la bossa nova dans « Ela ». Mais jamais jusqu’au bout et parfois même pas du tout. D’abord sur le fil entre les deux, on finit souvent par atterrir tout à fait naturellement sur des territoires qui avaient jusque-là échappé à un tel métissage. Sur « O Vento », comme sur d’autres chansons de l’album, Dom La Nena double sa voix à l’unisson, exactement comme l’aurait fait la froide et fragile Stina Nordenstam. La suivante, « Batuque » est un autre joli piège. Dans un premier temps, elle déroule une carpette à nos pieds et nous affronte avec toute l’artillerie samba qui s’y trouvait (le rythme, les percussions, presque de la cuica). Et puis, plus les secondes passent, moins on comprend où on est censés se trouver. Les images mentales disparaissent et on se sent peu bête en repensant à notre peu de foi initial.

« Ela » est un disque adorable : on se sent plutôt à l’aise dans ses surprises et bonnes attentions. On sait bien que la porte est toujours ouverte, pour laisser filer les courants d’air des meilleurs jours d’été selon leurs rythmes aléatoires et éviter de se laisser enfermer dans une petite boîte. Le désavantage de la situation, ce sont les amis qui débarquent à l’improviste. Parce que l’élément le moins intéressant de cette œuvre de bravoure, ce sont ses invités.

Piers Faccini est crédité, remercié, loué dans les notes de pochette, et pour cause : il joue une bonne moitié des instruments sur le disque. On comprend aussi, sans trop de difficulté et via une lecture un peu jalouse des mots-dédicaces qui lui sont adressés comme autant d’ex-votos, qu’il a fait office de mentor dans la concrétisation de toutes ces merveilleuses idées. Reste que lorsque le parrain se fait trop sentir, c’est à dire lorsqu’il finit par trahir sa présence en donnant de la voix un peu avant la moitié de l’album, on regrette un peu que l’illusion d’un disque en solitaire n’ait pas duré plus longtemps. Un peu plus tard, une autre voix masculine viendra à nouveau souffler sur le château de cartes qu’on construisait, seul avec Dom. On devine, grâce à l’atmosphère de digne camaraderie qui se dégage de l’ensemble, qu’un bon bagage d’histoires, de symboles et d’affects explique la présence quasi-obligatoire de ces invités (faire briller l’oeil du programmateur n’est clairement pas le projet ici). Tout le monde s’est sûrement tombé dans les bras à la fin de la session et on entend presque les tapes dans le dos.

Le problème n’étant pas leur apport, ni leur interprétation ; c’est à la fois moins personnel et presque plus terrible, mais c’est véritablement leur présence qu’on aimerait éviter. Dans le bal des apparitions, c’est donc Camille qui s’en sort le mieux : on ne la remarque même pas. Un vrai sens de la politesse.

Heureusement, aucune de ces rares visites impromptues ne saurait gâcher le plaisir de vivre un moment au milieu des compositions de Dom La Nena, toutes très belles et, donc, brillamment discrètes. On rêve d’un prochain disque un peu cabossé, ou relâché, encore un peu plus reclus. Ce qui ne veut pas dire triste, froid et désemparé ; non, une fois les invités partis, et leurs traces effacés, il y a toujours ce moment où l’on savoure le plaisir de sauter à pieds joints ou de se vautrer sur le canapé, pile là où ils étaient assis.




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