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Il faut avouer que c’est un exercice de style ardu que d’essayer d’être encore poète le long de mélodies, les chanteurs a textes sont une espèce en voie de disparition, simplement parce que les nouvelles oreilles ont des lavages de cerveau chaque jours sur les ondes, et que la curiosité de découvrir n’a plus le temps d’exister, on apprend a mâcher ce qui est déjà digéré, les plats préparés, congelés, aimer une chanson, est un verbe potentiellement moribond, on écoute, aimer, c’est déjà beaucoup trop en demander. Nous sommes êtres d’autres temps, on étudiait refrain, couplet, pour au moins apprécier la nuance, découvrir les seconds degrés, on utilisait pour cela le verbe savourer, non pas avaler. Parfois je regarde mon fils, sa chance d’intelligence, de plaisir et de bonheur passe par le fait presque invisible qu’il hait le regaeton, n’aime pas la pop facile des radios, et sombre souvent dans ma discothèque. Je l’ai surpris il y a peu, fredonnant le "Do you love me" de Nick Cave, et il avoue être enchanté par Bashung, il a 11 ans, papa, bien sur, en est fier, tout c’est fait sans que je l’y pousse, il est libre de ses gouts, c’est peut être cela qui nous sauvera d’être moutons de FM. J’avoue aussi ma crainte que la différence soit un lest, un apartheid, d’où sa liberté totale de gouts. Vive la relève éclairée, illuminée, illusionnée, et vive les artistes qui maintiennent de loin, les étincelles dans les yeux de mon gamin. Je ne serais donc pas du tout surpris que mon fils, un de ces jours, en promenade dans Madrid, commence à chantonner une chanson de Jean-Louis Bergère. Cet artiste, écrivain-chanteur et magicien, a tout pour lui plaire, le bon gout musical et l’art des mots, j’ai lu quelque part qu’il était un ovni dans le panorama de la chanson française, je le trouve au contraire beaucoup plus humain que d’autres, son ciel est terre, et je trouve même qu’il en est une évolution positive, dans le sens de son contre-sens, son contre courant, sa forte personnalité artistique, le jonc qui plie et ne rompt pas, et au-delà, suivant le bon critère de mon fils, hors-normes business, qui fait son petit chemin dans ce qu’il aime, qu’il apprécie, là où il se trouve bien, qu’il y a-t-il d’ovni dans cela ?

Ce qui surprend encore et toujours chez Jean-Louis (tu me permettras cette familiarité), c’est cette surprise chronique de découvrir un aspect toujours moderne sous cette patine de chanteur "a chanson" cousu a l’ancienne, et pour autant qu’on s’attende a l’émerveillement a chaque opus, on se surprend de l’embellissement, de l’effort fait pour envoler, du chemin fait depuis la dernière proposition. On s’étourdit dans le maelstrom de ses disques, c’est une hypnose jolie, calme, salée de petites larmes et épicée de contemplations heureuses , les émotions justes et fortes pour que le relief nous donne cette impression de mouvement, de voyage, ses sonorités sont toujours en avant, une indéniable capacité a fasciner dans une profondeur inattendue, et les textes sont des jours a jours de lendemains a portée de main, scènes d’amour et désamours, passages de rues, théâtres d’existent et histoires communes d’imaginaires qui se tordent dans un réalisme poétique, tout vient en fait de la délicatesse de l’artiste, épiée dans les recoins de vie, surveillée depuis l’onirisme, enveloppée de surréel, une délicatesse somptueuse, léchée comme les épidermes d’Ingres, appliquée comme une matricule d’honneur en langue française, un artisanat d’orfèvrerie douce-amère, où se terre la colère, d’où émane la lumière, délicatesse fine, chérie, cajolée, de celles qui soulèvent le diaphragme de nos torses en un soupir de plaisir intense et intime, et c’est simplement admirable, la disposition perpétuelle qu’a Jean Louis a nous laisser flotter en surface de son monde, pénétrer de temps a autre, quand ses mots le permettent, un peu plus profond, et s’enrichir de l’écoute, parce qu’il s’agit d’un très haut niveau musical-écriture apte pour tous, offert, donné, généreusement offert, a son image. Alors voici sans doute le futur dont les pères devraient rêver pour leurs fils, cette survie-sauvegarde de l’intellect, de la culture, ces chansons qui vibrent dans les plèvres, que chantonne l’enfant surprenant pour son plaisir, qui vont au-delà du mouvement, voici le moment de plaisir, de bonheur que l’on aimerait voir dans les oreilles de nos fils, simplement, le bon gout qu’il soit ce qu’il soit, mais qu’il soit bon, agréable, et pédagogique, et intelligent, poesie,poesie. Oui, j’aimerais, en bon père, que mon fils soit de ce côté-là de l’art, qu’il vive ces histoires, qu’il bouge sur ces notes, qu’il apprécie ces phrases et en fasse patrie, le vocabulaire de sa vie, oui, j’aimerai que mon gamin, un petit matin, me susurre "Inouïe" ou "Murnau", je n’aurai alors, plus besoin de revendiquer la musique, elle sera là.




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