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Je me souviens avec tendresse d’Emil Cioran – que j’ai malheureusement lu en long et en large à un âge où le nihilisme ne fait pas bon ménage avec l’ingénuité débile dont a besoin la jeunesse immortelle – se plaignant, dans les pages d’un Paris Match des années 90, du mauvais traitement infligé par une Sorbonne cruelle, qui le privait de la possibilité de déjeuner au restaurant universitaire, pour la simple et bonne raison qu’il avait dépassé l’âge, malgré son statut précaire d’étudiant perpétuel et l’absence de luxe dans lequel il vivait, hébergé qu’il était dans une chambre de bonne du 5ème arrondissement, par une admiratrice zélée et sans attente d’un retour sur investissement, hormis, je suppose, de passionnantes conversations sur l’inutilité d’exister.

Et le bougre, sur son banc au Jardin du Luxembourg, offusqué, râleur, perdu, photographié de biais, en couleurs passées, ayant traversé mille avanies (dont celle d’avoir perpétuellement tort), rédigé des manuels de non-savoir vivre pris au premier degré par des admirateurs incultes dénués d’ironie, colérique à cause d’une simple (mais vitale) privation de steak haché et de frites, me semblait, à l’instar de Bukowski et autres fieffés intellectuels concentrés sur leurs estomacs (Jim Harrison et son régime de 10 000 calories en tête), d’excellentes figures tutélaires.

Toutes anecdotes décousues pour dire quoi ? Historiquement, la Roumanie est francophile et notre aventureuse Léa Lotz, dont j’ai suivi les pérégrinations sur les réseaux sociaux – j’admire le courage qu’elle a de dire oui à tout et de se lancer dans des projets parfois flous, l’on sent chez elle une force morale, éthique et culturelle très forte, qui lui permet de se jeter sans crainte dans le vide –, a parcouru seule l’Est, guitare en bandoulière, à l’invitation de structures heureuses de l’accueillir, donnant des concerts hautement appréciés durant lesquels elle se livrait toute entière, inquiétudes à l’appui (dans quel état j’erre ?).

De ses pérégrinations récentes en Transylvanie, elle a mis en scène une vidéo – Sighișoara –, où affleurent certains marqueurs de l’œuvre de Bleu Reine : lyrisme, guitares tranchantes, chant à l’os, qui répète et construit, refrain addictif, jusqu’à l’hypnose. Il faut dire que Léa avait assisté quelques années plus tôt à une veillée funéraire, consacrée au poète Dan Lotoţchi, dont la voix résiste au temps et se fait fragrance sur ce nouveau single.

Les cendres du poète posées sur une table, les amis émus, rencontre improbable, des chansons qui égrainent, les graines du temps, et des graines qui se plantent, des années plus tard, dans l’esprit d’une voyageuse à l’esprit fertile, de quoi se confier au temps, et attendre un premier album qui fera florès.

Épilogue de cette chronique certainement trop longue (mais aimante - sorry), une traduction revisitée en français d’un poème de (feu) Dan Lotoţchi.

Il y a dans la cour quelque chose que tu ne peux pas nommer

il y a dans la cour la neige qui est tombée

Je la regarde tomber

D’abord fragmentée

Par son regard distributif

Sur les chemins du sens.

Ils ne produisent pas de descriptions, ni même

Le sentiment d’être dans le paysage

Comme dans un genre littéraire

Je ne m’élève pas au-dessus de la neige

Avec le sentiment que je décris

C’est ce que je peux appeler en moi

Participer au monde

Sans l’exhaustivité de le nommer

Combien de neige est en moi

Combien reste ce combien

L’humanité m’est présente comme une différence

Dans tout ce qu’ils appellent neige

Si élevé est ce texte

Ce qui a commencé une fois

Produira l’avalanche sur la pente

Lequel de moi

Cela ne fait de moi qu’un participant

De ce spectacle insignifiant

Qui est le monde

Je m’étouffe, entraînant littéralement ma respiration.

Avalanche




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