J’évoquais récemment en ces pages le fabuleux – posthume et donc inachevé – Picture of a Bunny Rabbit du chanteur et violoncelliste natif d’Oskaloosa (Iowa) Arthur Russell, compagnon de route de Philip Glass, David Byrne et Allen Ginsberg, décédé à l’aube des 90s en laissant derrière lui des milliers d’heures d’enregistrements posthumes, archivés par la bibliothèque municipale de New-York. Rewind : du premier album d’Arthur Russell, Tower Of Meaning, œuvre commandée puis refusée par le glorieux (mais replet, car soucieux de plaire à une critique paresseuse, et c’est toujours le cas) Robert Wilson, néanmoins publiée en 1983, il n’existe à ce jour que 320 exemplaires. Fast forward : Peter Broderick, en héritier adoubé, fait depuis des années vivre l’œuvre de notre écorché préféré, qui au fond ne rêvait que de lisibilité, en témoignent son chant clair et ses arrangements épurés. On peut tendre vers l’avant-garde, par culture, par principe, par technicité, par solitude, mais en l’absence de snobisme le goût pour l’universalité reste et c’est ce qui fait la grande force d’Arthur Russell, son éternelle musicalité partageuse. Accompagné des français de l’Ensemble O, l’ami Peter revisite en live – rares overdubs à l’appui, dissonance versus métrique aléatoire, rien d’incompatible – non seulement Tower Of Meaning mais également des compositions rares, qui eussent mérité une audience plus élargie. Un bémol : le meilleur d’Arthur Russell, ce qui m’a saisi quand j’avais quinze ans, c’est son chant et sa voix et ce chant si riche, et cette voix si ample et impliquée ce soir elle me manque, tant elle imprégnait son œuvre. A la manière d’un Glenn Gould qui fredonnait / bourdonnait au dessus de son clavier ou d’un Kurt Cobain dont les doigts brûlaient, Arthur SAVAIT. En définitive, Give It To The Sky, malgré une beauté et une exécution indéniables, nous fait surtout ressentir l’absence : dans les angles morts des vivants subsistent les morts tant chéris, jamais à tort.