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François Joncour : Six années séparent votre précédent disque, Personne ne le fera pour nous, de ce cinquième et nouvel album éponyme, pourquoi ?

Pascal Bouaziz : Plusieurs raisons à cela. J’ai pris un travail à côté, j’ai donc moins de temps… Surtout, j’ai voulu écrire tous les textes d’abord. Je voulais faire l’inverse du précédent album : on avait alors improvisé des musiques sur lesquelles j’avais ensuite écrit les textes. J’essaie à chaque fois de trouver une nouvelle manière de travailler. Or écrire me prend beaucoup de temps. Ca me prend du temps parce que je n’ai pas du tout envie d’écrire deux fois la même chose. Chose que l’on a tendance à faire naturellement. Je ne sais plus si c’est Murat ou Souchon qui dit que l’on a trois ou quatre chansons en soi et que, par la suite, on ne fait que se répéter. Je me bats vraiment contre ça. Certains font ça très bien, ils sortent un album par an et puis les gens sont contents. Je n’y arrive pas. Aussi, ils sortent un album par an parce qu’ils ont des contraintes de tournées, ils doivent gagner leur vie avec leurs albums, ce n’est pas mon cas, ce n’est plus mon cas : j’ai un autre rythme. C’est un peu prétentieux de dire ça mais j’ai une autre exigence : quand on sort un album, il faut qu’il soit aussi bien qu’il peut l’être dans l’absolu et, après, une fois que c’est sûr, une fois qu’il est aussi bien qu’on pouvait l’imaginer, l’espérer, on le sort. Il n’y a pas une maison de disque qui me dit "Eh ben là coco, les gens sont en train de t’oublier, il faut sortir un album…"

François Joncour : Cette contrainte liée au travail que vous avez dû prendre semble féconde…

Pascal Bouaziz : La vie fait que je n’ai pas le choix. Après, je trouve une manière de trouver ça bien... En même temps, c’est intéressant pour moi de travailler, de rencontrer d’autres gens, de prendre le métro. J’ai deux heures de transport par jour, ça permet de lire, de penser, de voir les gens, d’être avec les gens. Je n’écris pas des chansons d’amour inspirées du XVIIIe siècle. Mon univers et les choses qui m’intéressent, c’est la vie de tous les jours. Je me verrais mal être sur une plage avec une maison à Noirmoutier et écrire sur ce que j’écris. Tout s’accorde pour dire que, le travail, c’est pénible mais, en même temps, ça me donne de la matière. Non pas que je croie qu’il faille absolument travailler pour écrire sur les gens qui travaillent mais, quand même, ça m’aide.

François Joncour : Des ombres littéraires planent sur ce disque…

Pascal Bouaziz : Je lis beaucoup, énormément, par goût et aussi parce que j’ai le temps. Je suis quelqu’un du monde des livres. Je passe mon temps à lire, plusieurs livres à la fois. Les premiers albums étaient très inspirés par d’autres chansons, par l’univers des disques. J’écoute autant de musique mais je suis moins dans le monde imaginaire de la musique, je m’en suis éloigné. À une époque, je pouvais être inspiré par une chanson des Smiths, de Manset ou de Sly Stone. J’ai l’impression que cette source d’inspiration est épuisée. Du coup, je vais chercher ailleurs ma nourriture : dans les livres d’anthropologie, la poésie japonaise, un roman russe, etc.

François Joncour : Les ambiances développées dans ces disques sont très sombres et pourtant, jamais déprimante. On y trouve une tension permanente, une énergie revigorante…

Pascal Bouaziz : De toute façon, pour écrire, et pour espérer être entendu, il faut beaucoup d’énergie. J’ai en moi deux personnalités : une très sombre qui porte sur le monde tel qu’il va, et sur l’être humain, un regard désespéré. Une autre partie de moi est énergique et veut en parler, communiquer son ressenti, l’échanger, en faire quelque chose. Les deux parties sont tout le temps en balance. Je crois que c’est le cas de tous les artistes, d’être à la fois dans le ressenti et la contemplation et, en même temps, dans l’énergie et le mouvement, l’action. S’il n’y a qu’une partie, on devient bûcheron et s’il n’y a que l’autre partie, on devient dépressif et on prend des médicaments. Chez les artistes, il y a toujours cette ligne et l’on bascule constamment d’un côté ou de l’autre, et on avance comme ça entre les deux… J’ai l’impression…

François Joncour : La Force Quotidienne du Mal, morceau inaugural du triple album, part d’une ambiance très sombre pour aller vers quelque chose qui s’apparente presque à une lumière éblouissante ; aussi bien dans le texte que dans la musique. Est-ce une remontée des enfers ?

Pascal Bouaziz : Plutôt que « remontée des enfers », je dirais qu’il y a un côté « acceptation » des choses. Il y a un constat très noir au début du texte et puis il y a un moment où l’on se dit que c’est comme ça et qu’il faut l’accepter. C’est plutôt un soulagement par l’acceptation… C’était induit dans le texte mais Pierre-Yves Louis, avec qui j’ai beaucoup travaillé en amont sur les musiques avant de les proposer aux autres membres du groupe, et moi-même avons senti ce mouvement dans la chanson… C’est comme un trou dans les nuages : la réalité est toujours là mais, tout d’un coup, il y a un mini-rayon de soleil et, sans vraiment savoir pourquoi, ça change tout. Mais pour autant, ce n’est pas une fin d’espoir, c’est bien une fin d’acceptation… Je ne sais pas comment dire autrement.

Crédits Photos Emmanuelle Bacquet

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