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Crédibilité

Damon Albarn est dorénavant considéré comme une éminence de la musique, comme l’idéal point de ralliement entre la curiosité avant-gardiste (voire conceptuelle) et l’ouverture grand public. L’unanimité ne laisse planer aucun soupçon quant-à la crédibilité d’Albarn : l’ex Blur se range aujourd’hui aux côtés d’un Bowie (qui l’a adoubé) et d’un Brian Eno (qui collabore sur une chanson de « Everyday Robots »). Une reconnaissance plutôt tardive à l’échelle de la pléthorique discographie d’Albarn : il fallut effectivement attendre le pacifiste « Think Tank » (septième album de Blur !) – en 2003 – pour que l’écrasante majorité ne cesse de chipoter à propos de ce multi-instrumentiste (et parolier) d’exception. Rappel des attaques…

Lorsque « Leisure » (le premier Blur) débarque en plein règne baggy, personne n’y croit : les uns accusent Albarn et ses camarades de profiter de la renommée des Stone Roses et des Mondays pour faire craquer les midinettes, les autres admettent que Blur détient un certain savoir-faire malheureusement au service d’un propos avoisinant le néant absolu.

Conscient de l’impasse, le groupe se réinvente en farouche défenseur de la cause mod : la presse salue cette inattendue transformation mais précise néanmoins qu’Albarn est un peu hors du coup.

Suite logique de « Modern Life is Rubbish », « Parklife » fait joyeusement mentir les sceptiques : non seulement l’album cartonne dans toutes les chaumières du monde entier, mais il est dorénavant impossible de contester l’ingénieux songwriting du groupe. Ce qui n’empêche pas les médias (anglais comme français) de parler d’une petite mode estivale… Avec le triple disque de platine « The Great Escape », c’en est trop pour les commentateurs hipsters qui n’aiment que trop rarement être pris en flagrant délit de jugements erronés : il est l’heure pour Albarn de subir un injuste retour de bâton (la presse internationale se complait à balancer des pics vachards à son égard, et paradoxalement vante les mérites de… Northern Uproar, The Bluetones et Strangelove !).

Avec « Blur » (aventureux croisement entre le Bowie berlinois et le rock – faussement – slacker), le succès jamais démenti rencontré par Damon Albarn provoque toujours, chez certains, un agacement qui justifie les commentaires absurdes : cette fois-ci, « on » reproche à Blur de s’inspirer de Pavement et de Beck pour se façonner une image déglinguée (mais avec un balai dans le cul). L’opportunisme aurait justement consisté, pour Albarn et ses compagnons, à resservir des louches et des louches de « Girls & Boys ».

« 13 » est un disque tellement époustouflant que tout son mérite est attribué à Graham Coxon ; Albarn, lui, n’est qu’un gland ayant la chance de bosser avec le meilleur guitariste de sa génération…

Et les désobligeances se poursuivent… Le premier Gorillaz recueille (logiquement) un triomphe aussi critique que commercial, mais il s’en trouve encore pour accuser Albarn de se planquer derrière une fumisterie situationniste et des personnages de cartoons. « Mali Music » embarrasse les experts en sonorités maliennes : d’un côté, Albarn permet à cette musique issue de l’Afrique de l’Ouest d’atteindre un inespéré public occidental (et cela bien avant Vampire Weekend ou Foals) ; de l’autre, médisance oblige, la démarche d’Albarn est forcement calculée (comme si la passion musicale de celui-ci ne pouvait que se circonscrire à un axe Terry Hall / Paul Weller)…

Renommée

Il est toujours revanchard de souligner à quel point défendre Damon Albarn, dans les 90’s, était parfois synonyme de gros risques (les débats pouvaient en arriver aux mains, généralement lorsqu’un mec fringué en duffle-coat nous tenait lieu d’interlocuteur).

A cette époque, les fans d’Albarn ou bien se cachaient ou bien n’osaient pas confesser le frisson ressenti en découvrant « End of a Century », « This is a Low » ou « The Universal ». Il était certes beaucoup plus facile d’atteindre le respect d’autrui en vantant les mérites d’un groupe de musiciens prolétaires plutôt qu’issus de la middle-class britannique…

En fait, et c’était finalement une très bonne chose, nous partagions le talent de Damon Albarn avec… nos copines ! Nous les adorions, nos copines collégiennes puis lycéennes : quelques années auparavant, c’était en leurs compagnies que nous parlions de notre amour pour les Smiths, de la découverte PJ Harvey, de la beauté macabre de Nick Cave (effectivement, il était parfois dangereux de faire écouter un disque de Morrissey à l’un de nos camarades masculins ne jurant que par Iron Maiden et Motörhead – du moins, avant le raz-de-marée Nirvana).

« Everyday Robots » le confirme : les filles (génération 35 / 47) sont toujours aussi éprises de Damon Albarn, et elles en parlent actuellement avec une rigueur scientifique, une ferveur théorique qui laissent à penser que, plus jeunes, nous avions bien choisi nos girlfriends. Chose nouvelle : « Everyday Robots » est un album que les anciens détracteurs de Blur refusent de passer sous silence. Le chroniqueur peut adorer comme moyennement apprécier, qu’importe : de nos jours, ceux qui hésitent sur « le cas Albarn » (fumiste intelligent, génie mineur ou bien icône abusivement fanatisée ?) écouteront toujours chacune de ses nouvelles sorties (avec ou sans Blur, Gorillaz, Paul Simonon ou Amadou & Mariam)…

Solo

« Everyday Robots » est proposé comme étant le premier album solo de Damon Albarn. Ce serait oublier que, sous son propre nom déjà, le musicien avait publié, en 2003 et à tirage hyper limité, un superbe « Democrazy » : collection de démos poignantes et modestes, hésitant alors entre Nick Drake et Syd Barrett, « Democrazy » ressemblait à quelques pages brouillonnes extirpées d’un journal intime.

Question : Damon Albarn évolua-t-il un jour autrement qu’en solo ? Ou, plus précisément : Albarn ne fut-il point le compositeur de toutes ses chansons, chansons qu’il ne cessa ensuite de travailler avec des amis collaborateurs ?

(Mettons à part le binôme Albarn / Coxon, alchimie tellement foudroyante - comme, auparavant, Morrissey / Marr puis Forster / McLennan - qu’il est toujours difficile, à moins de se lancer dans des fouilles archéologiques, d’épiloguer sur comment Graham et Damon façonnèrent, probablement dans la confrontation, les chansons de Blur.)

« Everyday Robots », sur la question de la collaboration, ne diffère guère des précédentes aventures musicales d’Albarn (Blur excepté) : après Jamie Hewlett (Gorillaz), le trio Simonon / Allen / Tong (The Good, The Bad and The Queen), c’est au tour de Richard Russel d’apporter un écrin aux nouvelles optiques souhaitées par Damon.

Pas plus autobiographique ni solo que ses disques antérieurs, « Everyday Robots » donne (à tord) la sensation d’un Albarn en mode intimiste comme jamais. Cela ne tient qu’à l’épure des chansons, à leurs volontés de resplendir dans une nudité appropriée… Au niveau du fond, « Everyday Robots » raconte des souvenirs personnels (principalement liés à Whitechapel et Colchester, où Albarn naquit puis grandit) mais sans nostalgie ni mélancolie. « Everyday Robots » est un album serein, une suite de ballades bucoliques procurant bien-être et harmonie. Dans le genre « cœur à vif », Albarn ne se mettra jamais plus à terre que lors de « 13 » ; disque dans lequel, porté par la frustration électrique de Graham Coxon, le songwriter n’encaissait décidemment pas sa rupture avec Justine « Elastica » Frischmann (inoubliable et flippant « I lost my girl to The Rolling Stone »)…

Mélomanie

Avec « Think Tank », « Everyday Robots » est l’album qui voit Damon Albarn s’affranchir de toutes influences ou références citationnelles. Mais chez Albarn, que l’imagerie flirte avec la tradition british, qu’elle puise dans la world music ou révèle un amour soudain pour l’indie-rock 90’s, il s’agit toujours d’une nouvelle facette humaine que dévoile l’auteur / compositeur.

Cas d’école, Damon Albarn : chaque album dévoile la stupéfiante évolution mélomane de celui-ci. Nous l’avons d’abord connu en pleine familiarité avec la paire (oubliée) World Of Twist / Ride, puis ne jurant que par les Specials et les Jam pour ensuite se reconvertir en cousin britannique de Stephen Malkmus (un rapprochement guère si absurde tant les trajectoires individuelles de l’ex Blur et de l’ex Pavement partagent de nombreuses similitudes)… Ces dernières années, Albarn endossa le rôle du passeur (son amour pour la musique malienne), de l’expert en melting-pot (The Good, The Bad and The Queen), de l’artiste multimédia (Gorillaz)…

Si « Everyday Robots » se vend comme « le premier album solo de Damon Albarn », ce n’est donc certainement pas en raison de son aspect intimiste (certes présent, mais pas plus qu’avant) ; mais bel et bien car, pour la première fois depuis l’ultime ( ?) tentative de réanimation Blur, Albarn ne s’abrite ici derrière aucun concept, aucun souci d’effacement…




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