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Attention O.M.N.I. !

Pourquoi qualifier cet étrange effort d’objet musical non identifié ? Parce qu’il est justement indéfinissable. Il persiste après écoute telle une rumeur, une idée lointaine, une trace originelle au creux d’un sillon accidenté.

Dire de ce disque qu’il est facile d’accès serait inexact, l’empêcher de nous pénétrer par sa seule complexité serait également une erreur.

I Am Mute, c’est l’anti Daft Punk, l’anti-électro, l’anti-techno, l’anti-musique comme on la connait, la rupture bienvenue. Le Créateur casse les codes pour revenir à l’essence même de la musique, à sa conception charnelle, à son arrivée au monde. C’est redonner aux sons ses lettres de noblesse. C’est se jouer du silence pour mieux s’entendre crier.

La première piste nous emmène au plus profond, dans les abysses, celles d’un océan inconnu, peut-être à la poursuite de Chtulhu, à l’aide d’un sonar travaillant sans relâche, pendant plus de 15 minutes. Selon l’humeur, l’exploration pourra se faire intime, intérieure, le morceau, introspectif, et pourra donner envie à certains de se recroqueviller dans un coin, non sans un certain inconfort, pour revenir à l’état embryonnaire. Au sommet, on verra la mer danser le long des golfes clairs-obscurs, tel un Rembrandt baroque, embarqué dans un voyage aux confins de soi, proche du remugle des algues mortes, au sein du smog le plus déroutant…

« We are multitudes, we are humen, yeah ! » Cavalcade hurlante, urgence de condamné, nous sommes nez à nez avec la bête, dans un face-à-face subjuguant, ensorcelant. Les voix éparpillées, éclatées ça et là produisent le bruit mélodique caractéristique au projet complet, écho bienvenu d’une conscience surnageant au milieu des débris flottants…

Les deux sommets suivants, que je ne peux dissocier, forment selon moi l’endroit et l’envers du même enjeu. L’implosion et l’explosion, la situation vécue à travers les yeux d’un survivant passif, lessivé, et la vision du forcené en lutte, vainqueur d’un combat titanesque.

Neant I c’est la tête qui bourdonne, la fuite en avant, un son marteleur, harcelant les tympans pour une chasse à l’homme stupéfiante.

La dernière partie, longue de 15 minutes, comme presque toutes ses aînées, finit de nous questionner quant aux intentions réelles de l’auteur de ce projet pharaonique. Où Diable veut-il en venir ? Difficile à aborder, à comprendre, And Deaf impose dans la durée l’idée qu’il ne faut pas réellement tenter de comprendre à tout prix une œuvre artistique, aussi étonnante soit-elle.

Cela pourrait être un véritable handicap mais il n’en est rien. Quand on accepte de faire partie de ce long voyage chaotique, on s’attache comme on peut, on se lance et on tient bon.

On ressort de cette écoute bruyant ou bien totalement silencieux, complètement ébahi, torpillé, bousculé, vidé, presque en paix avec nos démons, véritable catharsis, pour l’auditeur mais on le soupçonne, évidemment, pour l’artiste aussi. En définitive, cet album, dont on ne saura pas dire avec certitude s’il est un bon disque tant il provoque, innove, est à découvrir tant il ouvre d’autres voies, tant il explore d’autres horizons. Du sang, de la sueur et des larmes ont été versés pour produire ce monument, respectons cela, même s’il n’est pas forcément conseillé de vouloir trop gratter derrière la brutalité des sons pour laisser apparaître les traumatismes cachés, que l’on imagine violents, béants. S’il emprunte beaucoup plus à la musique classique qu’à l’électro (l’objet est « catalogué » « dark ambient »), on le classera non sans une certaine amertume entre un John Luther Adams halluciné et le fabuleux Drinking Songs de Matt Elliott, dont le clin d’œil au transcendant Kursk semble évident.




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