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Et oui, la France a aussi de grands songwriters. Parmi eux, Jullian Angel qui nous offre ici son troisième album, "kamikaze planning holidays". Un titre étrange qui éveille la curiosité. Derrière le titre, douze titres profonds et intenses. Voilà quelqu’un qui vit les mots qu’il chante (en anglais), dont les mélodies sont la traduction des états d’âme. Cet album fait suite au magnifique "Life was the answer", et au Ep "For a ghost". Ayant placé la barre si haute avec son précédent album, c’est avec impatience que j’ai dévoré le disque. Non sans une pointe de crainte...Va-t-il être supérieur (ce qui paraît impossible), inférieur (ce qui serait déjà excellent), ou aussi bon ? Et bien, il est différent, tout en restant dans la même veine...Ressenti étrange, difficile à expliquer. Jullian Angel vit sa musique, et forcément, celle-ci est chargée et évolue selon son état d’esprit, ce qui rend les comparaisons futiles. Kamikaze planning holidays est un excellent album, une œuvre personnelle, avec ses portes d’entrée comme le single "the strong" ou l’imparable mélodie de "saved by the monster".

Un disque folk, certes, car centré autour d’une approche guitare/voix, mais surtout un disque de songwriting puissant, avec une identité toute singulière, affutée par les épreuves de la vie. Pour situer le style, les influences sont une aide, pas une finalité. Vous y croiserez quelques spectres magnifiques, Leonard Cohen, Jason Molina pour l’ambiance des guitares de "insane men are locked outside", Tindersticks pour le côté lancinant et la voix parfois, Nick Drake...Pas beaucoup d’heureux c’est sûr, et si l’on peut craindre en pensant au destin du dernier cité, il ne faut pas s’inquiéter, l’ange qu’on vous présente vient déjà de l’autre monde. Musique parfois spectrale, voyage dans un espace sans frontières, cet album est intense et nécessite un contexte. Comme un grand vin, il faut lui laisser toutes les chances de se déployer. Un conseil : asseyez-vous confortablement, fermez les yeux, les volets, laissez le son vous entourer, vous engourdir. L’introduction du disque vous invite doucement avant de faire filer 12 titres intemporels, autant de morceaux qui sonnent comme des classiques immédiats, car la mélancolie est éternelle et commune à tous. Prenez le temps, un disque, c’est le condensé de son processus de création, celui-ci a du être difficile tant le temps paraît chargé dans ce voyage en noir et blanc, à l’instar de la superbe pochette. Des textes magnifiques et magnifiés par des arrangements parcimonieux, panoplie d’instruments de la tristesse, ainsi que par les interventions de Valérie Leclercq (Half Asleep) à la flûte et au chant. "N’ayez pas peur du monstre, vivez avec votre danger" car le monstre vit sur la même terre, respire le même air. Ces textes remplis de spectres dévoilent une écriture presque thérapeutique, surtout dans le très beau et triste "live on beauty", récit d’une vie au conditionnel. Chaque mélodie sert les mots. Pour les non anglophones, faites-vous traduire ces textes qui sont autant de poésies, leçons tirées des larmes dans lesquelles il aurait pu se noyer. Et quel plaisir de voir en crédit : écrit, produit, enregistré et mixé par Jullian Angel.

Un esprit d’indépendance qui mérite d’être défendu, le contenu est magnifique, le contenant aussi, et l’âme qui relie les deux est toute aussi belle car seulement soucieuse d’exprimer avec sincérité ce qu’elle souhaite, sans faire de compromis, sans se soucier des contraintes et des risques, sans penser aux profits, comme un kamikaze. Une production Escape Fantasy et Les Disques Normal, qui commencent à compter quelques perles à son actif d’activiste d’une musique libre qui n’a pour seules limites que l’imagination émancipée de ses auteurs.

Barclau